Mis en ligne le 23 août 2016
Article du mois

Peter J. Kudenchuk et al. – New England Journal of Medicine – May 2016

Analyse de l’article par le Dr Romain Jouffroy, SAMU de Paris,

CHU Necker – Enfants Malades, pour le Comité Urgences de la SFAR

L’arrêt cardiaque (AC) représente un problème de santé publique majeur à l’origine d’environ 300 000 décès par an aux USA (1). La fibrillation ventriculaire (FV) et la tachycardie ventriculaire (TV) sans pouls sont considérées comme les formes d’arrêts cardiaques extra hospitaliers (ACEH) de meilleurs pronostics car les plus « simples » à traiter grâce à un choc électrique externe (CEE). Mais alors que le taux de succès immédiat de ce CEE est en général élevé, il est souvent observé de fréquentes récidives de FV ou TV, avec une relation inverse entre nombre de CEE et pronostic (2 – 4).

Parmi les différentes thérapeutiques médicamenteuses permettant d’améliorer l’efficacité des CEE et de prévenir la récidive de FV ou TV, il a été observé une supériorité de l’amiodarone par rapport à la lidocaïne et au placebo en terme de retour à une activité cardiaque spontanée (RACS) et de survie avant l’admission hospitalière (5, 6). Cependant les effets de ces molécules sur la survie à la sortie de l’hôpital et sur le pronostic neurologique demeurent incertains.

Objectif de l’étude :

L’objectif de cette étude était de comparer les effets de l’amiodarone, de la lidocaïne et d’un placebo sur la survie à la sortie de l’hôpital au décours d’un ACEH réfractaire secondaire à une FV ou une TV sans pouls.

 

Méthode :

Cette étude contrôlée, randomisée, en double aveugle a été effectuée au sein de 10 sites nord américains participant au programme ROC (resuscitation outcomes consortium). L’étude a été financée par l’Institut Canadien de Recherche en Santé et la firme Baxter® a fourni gratuitement les médicaments testés sans interférer par ailleurs dans l’essai.

Les patients éligibles à l’inclusion devaient être des adultes présentant un ACEH réfractaire non traumatique par FV ou TV sans pouls, avec un abord intra-vasculaire ou intra-osseux mis en place. L’ACEH était défini par la persistance ou la récurrence du trouble du rythme après délivrance d’au moins un CEE. Les patients ayant déjà reçu de l’amiodarone ou de la lidocaïne ainsi que ceux présentant une hypersensibilité à l’un de ces produits ont été exclus.

L’inclusion a été effectuée par les paramedics de 55 centres de services d’urgence et la réanimation cardiopulmonaire pré- et intra-hospitalière a été conduite selon les recommandations 2010 de l’AHA (7).

La randomisation a été effectuée par tirage au sort aléatoire avec des blocs stratifiés par site et équilibrés 1 :1 :1 (amiodarone 150mg, lidocaïne 60mg et placebo=sérum salé isotonique) permettant l’administration d’une première double dose (dose unique en cas de poids inférieur à 45,4kgs) du produit tiré au sort puis d’une simple dose en cas d’échec ou de récidive du trouble du rythme. L’amiodarone utilisée était une nouvelle forme d’amiodarone (Nexterone, Baxter Healthcare®) choisie pour réduire l’effet hypotensif de l’adjuvant habituel de l’amiodarone.

L’analyse per protocole a été choisie dans cette étude avec comme critère principal de jugement la survie à la sortie de l’hôpital, en comparant l’amiodarone versus le placebo. Des comparaisons secondaires ont été effectuées entre lidocaine versus placebo puis lidocaine versus amiodarone. Un recueil des événements indésirables potentiellement imputables aux médicaments testés a été effectué.

Le nombre de sujets nécessaire a été déterminé à partir d’une réduction de mortalité à la sortie de l’hôpital de 6,3% entre amiodarone et placebo avec une puissance de 90%. Deux analyses intermédiaires annuelles de sécurité ont été effectuées.

Principaux résultats :

Entre le 7 mai 2012 et le 25 octobre 2015, 7051 patients ont été éligibles parmi les 37889 ACEH non traumatiques pris en charge. 2384 patients ont été exclus (principalement en raison d’une violation de protocole, d’un défaut de kit d’étude et de la disparition du trouble du rythme), ce qui a permis d’inclure et de randomiser 4667 patients.

974 patients ont reçu de l’amiodarone, 993 de la lidocaïne et 1059 du placebo, avec un nombre de patients survivants à la sortie de l’hôpital de respectivement 237 (24,4%), 233 (23,7%) et 222 (21%).

La différence absolue de risque entre amiodarone et placebo était de 3,2% (p=0,08).

La différence absolue de risque entre lidocaïne et placebo était de 2,6% (p=0,16).

La différence absolue de risque entre amiodarone et lidocaïne était de 0,7% (p=0,7).

Le taux de survie était similaire dans les 3 groupes (amiodarone 18,8%, lidocaïne 17 ,5% et placebo 16,6%).

Les analyses de sous groupes ont observé :

* en cas d’ACEH survenu devant témoin : une amélioration de la survie entre amiodarone et placebo et entre lidocaïne et placebo mais pas entre lidocaïne et amiodarone.

* en cas d’ACEH non survenu devant témoin : aucune différence entre amiodarone, lidocaïne et placebo.

* une augmentation de la survie après admission hospitalière chez les patients ayant reçu de l’amiodarone ou de la lidocaïne versus du placebo.

* une réduction du nombre de RCP effectuées pendant l’hospitalisation chez les patients ayant reçu de l’amiodarone ou de la lidocaïne versus du placebo.

* aucune différence entre les médicaments testés en terme de survenue d’événements indésirables.

Conclusion des auteurs

Dans cette étude randomisée, les auteurs ont constaté que ni l’amiodarone ni la lidocaïne ne permettent par rapport à un placebo d’améliorer la survie à la sortie de l’hôpital et le pronostic neurologique au décours d’un ACEH réfractaire non traumatique par FV ou TV sans pouls.

Points forts

  • Essai randomisé en double aveugle
  • Collectif important de patients
  • Conformité des pratiques de la RCP par rapport aux recommandations en vigueur
  • Analyses effectuées en per protocole et en intention de traiter
  • Partie intéressante de la discussion sur la prise en compte de la présence du témoin et du devenir même si le design de l’étude n’avait pas cet objectif
  • Peu d’effets secondaires observés

Points faibles

  • Conclusion inadaptée puisque le calcul du nombre de sujets nécessaires a été effectué pour rechercher un effet entre amiodarone et placebo et non des comparaisons multiples 2 à 2
  • Utilisation d’une nouvelle forme d’amiodarone non utilisée dans les études antérieures
  • Posologie de la lidocaïne utilisée inférieure aux recommandations : la dose administrée était de 60mg, non standardisée par rapport au poids du patient et potentiellement inférieure à la posologie recommandée de 1mg/kg dans une population nord américaine
  • L’hémodynamique au décours des CEE et du RACS n’est pas précisée, de même que les traitements éventuellement utilisés pour maintenir l’hémodynamique en post CEE ou post RACS
  • Absence de précision sur la majoration du nombre de sujets nécessaires imputable aux analyses intermédiaires effectuées
  • Données non directement transposables au système pré-hospitalier médicalisé français
  • Définition du caractère réfractaire de l’ACEH différente de la définition française
  • Nombreuses analyses de sous-groupe

Discussion de l’article

Les ACEH non traumatiques secondaires à des troubles du rythme représentent environ 18% des ACEH mais sont ceux qui ont le meilleur pronostic compte tenu de la relative facilité et de l’efficacité du traitement par CEE et de la généralisation de la disponibilité des défibrillateurs externes automatisés. Une des problématiques fréquente est la récidive ou le caractère réfractaire des troubles du rythme pour lesquels des études antérieures avaient fait retenir le choix de l’amiodarone, du fait de son caractère bénéfique en terme de RACS. Cette étude observe l’absence de différence entre l’amiodarone et le placebo sur la survie à la sortie de l’hôpital et le pronostic neurologique.

Dans la discussion, les auteurs soulignent que l’étude était probablement sous-dimensionnée et que le nombre de sujets nécessaires pour observer une différence sur le critère de jugement principal choisi était en réalité le triple par groupe. De plus, les délais d’instauration des traitements étudiés sont réduits dans la présente étude par rapport aux études antérieures favorables à l’amiodarone (19 minutes dans l’étude actuelle versus 21 et 25 minutes dans les études préalables). L’effet bénéfique des médicaments anti-arythmiques est probablement d’autant plus marqué par rapport à la prévention de la récidive ou au caractère réfractaire de l’AC que le délai par rapport à la survenue initiale de l’AC est important.

Comme il est évoqué par l’analyse de sous-groupes effectuée en prenant en compte la RCP effectuée par le premier témoin, il n’est plus observé de différence entre les médicaments sur l’objectif principal. Ceci conforte l’idée sous-jacente que la survie au long cours dans les ACEH non traumatiques secondaires à des troubles du rythme est liée principalement à la présence d’un témoin sur place effectuant la RCP de base et la défibrillation précoce. Les médicaments anti-arythmiques prennent leur place dans la prévention et le traitement des récidives des troubles du rythme. En effet, si l’obtention du RACS semble un pré-requis à la survie avec un bon pronostic neurologique, il n’en demeure pas moins que les déterminants de ce de dernier sont nombreux, en particulier la qualité de la réanimation péri-AC.

Que retenir ?

Il n’y a pas de bénéfice au traitement par amiodarone versus placebo pour l’amélioration du pronostic neurologique et de la survie à la sortie de l’hôpital en cas d’ACEH réfractaire secondaire à une FV ou à une TV sans pouls.

Il semble qu’il n’y ait pas de différence d’efficacité entre les 2 principales molécules anti-arythmiques disponibles que sont l’amiodarone et la lidocaïne pour l’obtention d’une guérison sans séquelles.

La survie à la sortie de l’hôpital et le pronostic neurologique ne sont pas uniquement déterminés par l’obtention d’un RACS stable.

Le rôle du premier témoin et de la défibrillation précoce sont renforcés comme des déterminants principaux de la chaine de survie. Leur absence annihile tout espoir de guérison ad integrum.

Références :

  1. Mozaffarian D, Benjamin EJ, Go AS, et al. Heart disease and stroke statistics — 2015 update: a report from the American Heart Association. Circulation 2015; 131(4): e29-322.).
  2. Eilevstjn J, Kramer-Johansen J, Sunde K. Shock outcome is related to prior rhythm and duration of ventricular fibrillation. Resuscitation 2007; 75: 60-7.
  3. Berdowski J, ten Haaf M, Tijssen JGP, Chapman FW, Koster RW. Time in recurrent ventricular fibrillation and survival after out-of-hospital cardiac arrest. Circulation 2010; 122: 1101-8.
  4. Kudenchuk PJ, Brown SP, Daya M, et al. Resuscitation Outcomes Consortium–Amiodarone, Lidocaine or Placebo Study (ROC-LPS): rationale and methodology behind an out-of-hospital cardiac arrest antiarrhythmic drug trial. Am Heart J 2014; 167(5): 653-9.e4
  5. Kudenchuk PJ, Cobb LA, Copass MK, et al. Amiodarone for resuscitation after out-of-hospital cardiac arrest due to ventricular fibrillation. N Engl J Med 1999; 341: 871-8.
  6. Dorian P, Cass D, Schwartz B, Cooper R, Gelaznikas R, Barr A. Amiodarone as compared with lidocaine for shock-resistant ventricular fibrillation. N Engl J Med 2002; 346: 884-90.
  7. Neumar RW, Otto CW, Link MS, et al. Adult advanced cardiovascular life support: 2010 American Heart Association Guidelines for Cardiopulmonary Resuscitation and Emergency Cardiovascular Care. Circulation 2010; 122: Suppl 3: S729- 67.