Mis en ligne le 12 septembre 2016
Article du mois

Commentaire d’article médical scientifique

AM Gillinov, E Bagiella, AJ Moskowitz, et al. N Engl J Med, published on April 4, 2016. Doi: 10.1056/NEJMoa1602002

Par le Pr Jean-Luc Fellahi (Hôpital Louis Pradel – Hospices Civils de Lyon) pour le Comité Scientifique de la SFAR

Position du problème : La fibrillation atriale postopératoire (FAPO) est une complication fréquente et grave après chirurgie cardiaque. En dépit de l’existence de recommandations internationales qui suggèrent en première intention le choix des bêtabloqueurs pour la prévention et le traitement de la FAPO [1], une controverse demeure quant à l’utilisation préférentielle d’une stratégie de contrôle de la fréquence ventriculaire (rate-control visant à simplement ralentir la fréquence cardiaque) ou de contrôle du rythme cardiaque (rhythm-control visant à rétablir d’emblée un rythme sinusal).

Rationnel pour l’étude : La littérature comparant les deux stratégies thérapeutiques chez le patient chirurgical est souvent ancienne et limitée à des études rétrospectives ou observationnelles. Une étude pilote randomisée ayant inclus 50 patients est également publiée [2]. Ces études associées à l’étude AFFIRM en cardiologie médicale [3] servent de base scientifique aux recommandations, volontiers extrapolées à la chirurgie non cardiaque et à la réanimation. Il manquait donc clairement à ce jour un essai multicentrique randomisé d’envergure. L’objectif de ce travail était d’évaluer le rapport risques/bénéfices des deux stratégies thérapeutiques après chirurgie cardiaque afin de faciliter la prise de décision médicale en routine.

Méthodes : Etude prospective, randomisée, contrôlée, multicentrique conduite dans 23 centres aux USA et au Canada sur une période de 12 mois (ClinicalTrials.gov number, NCT02132767). Les patients étaient inclus s’ils étaient programmés pour une chirurgie de revascularisation coronaire et/ou de remplacement valvulaire aortique et/ou mitral et s’ils développaient dans les 7 premiers jours postopératoires une FAPO persistant plus de 60 minutes ou récidivante, en l’absence d’antécédent de fibrillation atriale. Les patients du groupe rate-control étaient traités par des médicaments chronotropes négatifs (bêtabloqueurs, inhibiteurs calciques) avec l’objectif de ralentir la fréquence ventriculaire en dessous de 100/min ; Les patients du groupe rhythm-control étaient traités par amiodarone puis par cardioversion électrique en cas de FAPO non réduite après 24-48h. Dans les deux groupes, les patients étaient systématiquement anticoagulés à dose efficace pendant 60 jours si la FAPO persistait plus de 48 heures. Le critère de jugement principal était le nombre total de journées d’hospitalisation dans les 60 jours suivant la randomisation. Les critères de jugement secondaires étaient la durée initiale d’hospitalisation, l’incidence globale des complications, le nombre d’implantations définitives de pacemakers et la mortalité. Le diagnostic de FAPO était porté sur des données télémétriques pendant les 7 premiers jours postopératoires puis sur des ECG 12 pistes à la sortie de l’hôpital, à 30 jours et à 60 jours après la randomisation.

Résultats : Sur les 2109 patients éligibles sur la période de l’étude, 695 (33%) ont développé une FAPO et 523 ont été randomisés : 262 dans le groupe rate-control et 261 dans le groupe rhythm-control. Les caractéristiques cliniques et démographiques des patients étaient comparables dans les deux groupes. Il n’y avait pas de différence significative entre les groupes sur le critère de jugement principal (médiane, IQR) : 5,1 jours (3,0-7,4) vs 5,0 jours (3,2-7,5) ; P=0,76. Il n’y avait pas non plus de différence significative sur la durée initiale d’hospitalisation, la mortalité ou l’incidence globale des complications postopératoires. Les déviations de protocole atteignaient 25% des patients dans les deux groupes pour des raisons différentes : inefficacité des traitements destinés à ralentir la fréquence ventriculaire en dessous de 100/min dans le groupe rate-control, effets indésirables de l’amiodarone dans le groupe rhythm-control. 89,9% et 93,5% des patients étaient en rythme sinusal stable sans FAPO à la sortie de l’hôpital (P=0,14) et 84,2% et 86,9% des patients à 60 jours après la randomisation (P=0,41). Enfin, le pourcentage de patients sous anticoagulants à la sortie de l’hôpital était comparable entre les deux groupes.

Commentaires : Cette étude est intéressante dans la mesure où elle représente le premier essai randomisé multicentrique comparant deux stratégies thérapeutiques chez le patient chirurgical. Aucune de ces deux stratégies ne semble présenter d’avantage décisif en termes d’efficacité. Les résultats rejoignent ainsi ceux de l’étude AFFIRM conduite en cardiologie médicale il y a plus de 10 ans [3]. En revanche, la stratégie du rate-control semble plus sûre (lorsqu’elle est efficace) tandis que la stratégie du rhythm-control souligne les nombreux effets indésirables potentiels de l’amiodarone, largement sous-estimés en pratique par les anesthésistes-réanimateurs. Là encore, les résultats rejoignent ceux de l’étude AFFIRM et renforcent, me semble-t-il, les recommandations internationales qui suggèrent le recours en première intention à une stratégie de rate-control par l’utilisation de bêtabloqueurs ou d’inhibiteurs calciques [1].

Bien sûr, cette étude présente des limites, en partie soulignées par les auteurs. Notamment, la méthode utilisée pour le diagnostic de FAPO ne correspondait pas au gold standard. Du coup, il est possible que l’incidence réelle de la FAPO ait été sous-estimée dans les deux groupes. Réaliser des enregistrements Holter ECG continus pendant 60 jours pour tous les patients était sans doute irréalisable. En outre, la fréquence des échecs thérapeutiques dans le groupe rate-control est étonnamment élevée dans l’étude (51%) et ne correspond pas aux observations habituelles. Cela pose deux questions importantes non abordées par les auteurs : celle du choix arbitraire d’une fréquence ventriculaire cible inférieure à 100/min pour tous les patients (choix non étayé au plan physiologique par une approche individuelle de l’équilibre énergétique de la balance du myocarde), et celle des modalités d’utilisation périopératoire des médicaments proposés, en particulier les bêtabloqueurs (choix de la molécule, de la voie d’administration, de la dose et du timing périopératoire). Un algorithme écrit et validé d’optimisation périopératoire du traitement bêtabloqueur est en effet garant d’une efficacité accrue en pratique quotidienne [4].

Pour la pratique, on retiendra : Aucune des deux stratégies proposées pour le traitement de la FAPO chez le patient chirurgical ne semble posséder d’avantage décisif. Si les médicaments employés pour le rate-control se révèlent souvent peu efficaces, l’amiodarone (rhythm-control) est fréquemment associée à des effets indésirables justifiant son interruption. Il appartient ainsi aux équipes médicales de guider leur décision sur une analyse individuelle bénéfices/risques, en se rappelant que les recommandations actuelles préconisent en première intention une stratégie de rate-control à l’aide des bêtabloqueurs.

Bibliographie :

  1. January CT, Wann LS, Alpert JS, et al. 2014 AHA/ACC/HRS guideline for the management of patients with atrial fibrillation. Circulation 2014;130(23):e199-267
  2. Lee JK, Klein GJ, Krahn AD, et al. Rate-control versus conversion strategy in postoperative atrial fibrillation: trial design and pilot study results. Card Electrophysiol Rev 2003;7:178-84
  3. The Atrial Fibrillation Follow-up Investigation of Rhythm Management (AFFIRM) Investigators. A comparison of rate control and rhythm control in patients with atrial fibrillation. N Engl J Med 2002;347:1825-33
  4. Fellahi JL, Fornier W, Fischer MO, et al. The impact of an algorithm on the optimization of betablockers after cardiac surgery. J Cardiothorac Vasc Anesth 2015;29:32-7