Mis en ligne le 28 octobre 2016
Article du mois

Baharoglu MI et coll. Lancet 2016;387:2605-13.

Anne Godier et Gérard Audibert, pour le Comité Scientifique de la SFAR.

Contexte :

L’hémorragie intracérébrale spontanée est un évènement grave, grevée d’une mortalité de 40% à un mois. Dans plus d’un quart des cas, elle survient chez un patient traité par agent antiplaquettaire (AAP), et la mortalité en est alors encore augmentée. Il a été suggéré que l’inhibition des fonctions plaquettaires induite par les AAP augmente le risque de croissance précoce de l’hématome et aggrave ainsi le pronostic.

Dans ce contexte, la transfusion plaquettaire est régulièrement proposée après une hémorragie intracérébrale spontanée survenant chez un patient traité AAP afin de corriger l’hémostase et de limiter l’extension de l’hématome. Pourtant le bénéfice d’une telle pratique n’a jamais été rigoureusement évalué et l’intérêt de la transfusion plaquettaire précoce reste incertain.

Objectif :

L’objectif de l’essai PATCH (1) était d’évaluer si une transfusion plaquettaire réalisée précocement après une hémorragie intracérébrale permettait de réduire la mortalité et le handicap de patients traités par AAP.

Matériel et méthodes :

Essai randomisé multicentrique mené dans 60 hôpitaux des Pays-Bas, du Royaume Uni et de France. Etaient inclus des patients majeurs traités par AAP présentant hémorragie intracérébrale supra-tentorielle spontanée, avec un score de Glasgow ≥ 8, pouvant potentiellement recevoir une transfusion plaquettaire dans les 6 heures suivant la survenue de l’hémorragie. Les patients étaient randomisés en deux groupes : soins standards associés ou non à une transfusion plaquettaire dans les 90 minutes suivant de diagnostic radiologique. Le critère de jugement principal était le handicap évalué à trois mois sur l’échelle de Rankin modifiée (mRS).

Résultats :

Entre 2009 et 2015, 190 patients ont été inclus, dont 93 dans le groupe des soins standards et 97 dans le groupe transfusion plaquettaire. Le risque de décès et de handicap à 3 mois était plus élevé dans le groupe transfusion plaquettaire (odds ratio ajusté 2,05; IC95% 1,18–3,56; p=0,0114). De plus, 42% des patients du groupe transfusion plaquettaire ont présenté des effets secondaires graves pendant leur hospitalisation, contre 29% dans le groupe soins standards. La mortalité hospitalière était de 24% dans le groupe transfusion plaquettaire et de 17% dans le groupe soins standard.

Conclusion des auteurs :

Puisque la transfusion plaquettaire était inférieure aux soins standards chez les patients traités par AAP et présentant une hémorragie intracérébrale, les auteurs concluaient que la transfusion plaquettaire ne pouvait pas être recommandée dans cette indication en pratique clinique.

Discussion :

Les résultats de PATCH sont inattendus. Ils vont à l’encontre de ceux attendus, qui incluaient la démonstration du bénéfice de la transfusion plaquettaire ou de son absence d’effet. En particulier, l’éventualité de sa iatrogénicité est surprenante.

Points forts :

PATCH est le premier essai randomisé évaluant l’intérêt de la transfusion plaquettaire dans les hémorragies intracérébrales. La méthodologie est rigoureuse, le nombre de patients inclus est celui initialement prévu, les évaluateurs ont travaillé en aveugle du traitement reçu, les groupes étaient homogènes et il n’y a pas eu de perdu de vue. Les patients inclus avaient des caractéristiques proches de ceux des autres essais sur l’hémorragie intracérébrale, et des pronostics comparables. Dans cette mesure, les conclusions de cet essai sont amenées à modifier les pratiques.

Points faibles :

Les patients inclus dans cet essai mené par des neurologues ne sont pas ceux que nous sommes amenés à prendre en charge en tant qu’anesthésistes réanimateurs, ce qui rend difficile l’extrapolation des résultats à notre pratique. Les critères d’inclusion et d’exclusion sélectionnaient une population spécifique de patients au sein des hémorragies intracérébrales. Radiologiquement, les hématomes sous et extra-duraux étaient exclus, ainsi que les anévrismes, les malformations artérioveineuses, les hémorragies intraventriculaires, et les évacuations d’hématome prévisibles dans les 24 heures c’est-à-dire une grosse partie de notre recrutement. Surtout, seuls les patients ayant un score de Glasgow ≥ 8 étaient inclus, c’est-à-dire les patients les moins graves cliniquement, ceux que nous voyons peu puisqu’ils sont pris en charge le plus souvent par les neurologues, comme dans cet essai. De fait, le volume médian des hématomes était compris entre 8 et 13 ml. Or les patients les plus graves sont souvent ceux ayant le volume le plus important et le risque de re-saignement le plus élevé et pour eux, aucune conclusion ne peut être tirée de cet essai. D’ailleurs, l’analyse de sous-groupes suggère que pour les hématomes de plus de 30 ml la tendance pourrait s’inverser et que l’effet négatif de la transfusion pourrait ne pas être retrouvé. Les conclusions de cet essai ne peuvent donc pas s’appliquer à nos patients, de GCS inférieur à 8 ou à ceux nécessitant une chirurgie. Pour ces derniers, la transfusion plaquettaire continue d’être indiquée (2). L’essai de Li et al avait en effet montré dans un essai incluant 780 patients présentant une hémorragie des noyaux gris et nécessitant une craniotomie pour évacuation d’hématome que la transfusion plaquettaire permettait chez les patients répondeurs à l’aspirine de réduire l’incidence des hémorragies post-opératoire et de réduire la mortalité (3). Par ailleurs aucune conclusion ne peut être tirée pour les hématomes de fosse postérieure, présents chez seulement 1% des patients.

Les effets négatifs de la transfusion plaquettaire sur le pronostic étaient inattendus. Leur mécanisme n’est pas clair. La première hypothèse qui vient à l’esprit est une augmentation des évènements ischémiques survenant dans les suites de la transfusion plaquettaire chez un patient traité par AAP et donc ayant des facteurs de risque cardiovasculaire. Néanmoins, elle n’est pas confirmée puisque l’essai ne montre pas d’augmentation significative des évènements thrombotiques dans le groupe transfusé ; cependant les effectifs sont faibles (4 évènements versus 1). Les auteurs discutent différentes hypothèses expliquant ces effets négatifs, incluant de possibles effets inflammatoires associés à la transfusion ainsi que des troubles de la perméabilité vasculaire. Ils évoquent aussi la possibilité que la part de croissance de l’hématome attribuable aux AAP soit trop faible pour être modifiée par la correction de l’hémostase, ou que la transfusion ne soit pas suffisante pour neutraliser les effets des AAP sur l’hémorragie. Ce point en particulier prête à discussion. Les patients transfusés recevaient en effet un concentré de plaquettes, défini comme étant équivalent à 5 unités plaquettaires. Une unité contient environ 0,5.1011 plaquettes, les patients ont donc reçu 2,5.1011 plaquettes, soit une dose de 0,36.1011 plaquettes /10 kg de poids si on fait l’hypothèse d’un poids moyen de 70 kg. Cette dose est donc inférieure aux doses qui ont montré une efficacité à neutraliser l’aspirine (4) et est inférieure aux recommandations françaises puisque la dose recommandée est de 0,5 à 0,7.1011 plaquettes /10 kg de poids (pour mémoire les plaquettes ne doivent plus être prescrites en unité depuis plus de 10 ans). De plus, la dose de plaquettes nécessaire à la neutralisation du clopidogrel est supérieure à celle nécessaire pour l’aspirine. La dose transfusée dans PATCH, de 2 concentrés chez les patients traités par inhibiteurs de P2Y12, soit 0,7.1011 plaquettes /10 kg de poids est donc probablement trop faible pour être biologiquement efficace (4,5). Ce problème de dose, s’il n’explique pas les effets négatifs, pourrait expliquer pour partie l’absence d’effet positif associé à la transfusion.

Parmi les autres points à évoquer, les résultats de cet essai ne concernent que l’aspirine et non les inhibiteurs de P2Y12, puisque très peu de patients étaient traités par clopidogrel, et aucun par prasugrel ou ticagrelor, qui sont pourtant les AAP ayant le risque hémorragique le plus élevé. De plus, les fonctions plaquettaires n’étaient pas évaluées dans cet essai. Il n’y a donc aucune information sur la compliance des patients au traitement AAP. On pourrait imaginer qu’une grande proportion de patients ne prenait pas leur traitement, et qu’ainsi, puisque leur fonction plaquettaire était intacte, ils n’avaient aucun bénéfice à tirer de la transfusion de plaquettes. De même, une résistance à l’aspirine ne peut être éliminée, même si cette situation est rare. Enfin, le faible effectif de cet essai, mené dans 60 centres et dans 3 pays en presque 6 ans reflète la difficulté à inclure dans ce type d’essai, même si l’objectif est de répondre à une question clinique pertinence et toujours en suspend. L’inclusion de moins d’un patient par centre et par an pose clairement la question d’un biais de sélection, qui est parfaitement admis par les auteurs dans la discussion. Un essai finlandais est en cours, évaluant lui aussi l’intérêt de la transfusion plaquettaire dans les hémorragies intracérébrales (NCT00699621). Ses résultats viendront confirmer, ou non, les conclusions de PATCH.

Conclusion de l’analyse :

PATCH montre que la transfusion plaquettaire ne doit pas être recommandée en cas d’hémorragie intracérébrale survenant chez un patient traité par aspirine, présentant un score de Glasgow ≥ 8 à l’arrivée et ne nécessitant pas de chirurgie dans les premières heures. PATCH ne permet pas de conclure à l’intérêt, ou non, de la transfusion chez les patients plus graves ou nécessitant une chirurgie.

Références :

1- Baharoglu MI et al. Platelet Transfusion Versus Standard Care After Acute Stroke due to Spontaneous Cerebral Haemorrhage Associated with Antiplatelt Therapy (PATCH): A Randomised, Open-Label, Phase 3 Trial. Lancet 2016; 387(10038): 2605–13

2- Frontera JA et al. Guideline for Reversal of Antithrombotics in Intracranial Hemorrhage: A Statement for Healthcare Professionals from the Neurocritical Care Society and Society of Critical Care Medicine. Neurocrit Care 2016; 24(1):6-46.

3- Li X et al. Effect of acetylsalicylic acid usage and platelet transfusion on postoperative hemorrhage and activities of daily living in patients with acute intracerebral hemorrhage. J Neurosurg 2013; 118(1):94-103.

4- Taylor G et al. Is platelet transfusion efficient to restore platelet reactivity in patients who are responders to aspirin and/or clopidogrel before emergency surgery? J Trauma Acute Care Surg 2013; 74(5):1367-69.

5- Prüller F et al. Low platelet reactivity is recovered by transfusion of stored platelets: a healthy volunteer in vivo study. J Thromb Haemost 2011; 9(8):1670-3.