Mis en ligne le 24 août 2015
Article du mois

Mathieu Raux commente pour le CS de la SFAR les résultats de l’étude : « Therapeutic hypothermia in deceased organ donors and kidney-graft function »

 

Therapeutic hypothermia in deceased organ donors and kidney-graft function

Niemann CU and coll. NEJM 373(5), Juillet 2015; 405-14

Mathieu RAUX, pour le Comité Scientifique de la SFAR

Introduction: La moitié des patients recevant un greffon rénal provenant d’un donneur décédé en état de mort encéphalique (DDEME) va nécessiter une épuration extra-rénale dans la semaine qui suit la transplantation, du fait d’une reprise retardée de la fonction rénale (RRFR). L’incidence de cette RRFR est accrue chez les patients recevant des greffons provenant de donneurs dits « à critères élargis », définis par un âge de plus de 60 ans, ou un âge compris entre 50 et 59 ans avec au moins deux facteurs de risque (accident vasculaire cérébral à l’origine du décès, hypertension artérielle ou créatininémie > 132 µM.L-1). Parce qu’elle réduit le métabolisme cellulaire et la production de radicaux libres de l’oxygène à l’origine des lésions d’ischémie-reperfusion, l’induction d’une hypothermie chez le DDEME avant explantation des reins pourrait constituer une thérapeutique de choix dans la prévention de la RRFR. L’hypothèse principale de cette étude [1] est que l’induction d’une hypothermie (34 à 35°C) chez le DDEME permet de réduire de 30% l’incidence de la RRFR chez le receveur. L’hypothèse secondaire est que cette hypothermie n’entraîne pas de réduction du nombre d’organes transplantés.

Matériel et méthodes : Pour répondre à la question posée, les auteurs ont conduit une étude bicentrique, randomisée, contrôlée (hypothermie —34 à 35°C— vs. normothermie —36,5 à 37,5°C—) chez des DDEME, après confirmation de la mort encéphalique. Considérant que cette étude n’exposait les receveurs qu’à des risques minimes, le comité d’éthique n’a pas jugé nécessaire l’obtention d’un consentement de leur part avant transplantation d’un greffon provenant d’un DDEME inclus dans cette étude. Les critères d’inclusion comportaient : i) la caractérisation de l’état de mort encéphalique selon les critères légaux ; ii) un âge supérieur ou égal à 18 ans ; iii) une autorisation de recherche délivrée par la personne de confiance, l’inscription sur un registre d’état ou des directives anticipées ; iv) une PAM > 60 mmHg pendant plus d’une heure sans nécessité d’augmenter la posologie des vasopresseurs. Etaient exclus les donneurs a) décédés après arrêt cardiaque (DDAC en France) ; b) présentant une insuffisance rénale terminale lors de leur hospitalisation ; c) présentant une coagulopathie ; d) présentant une instabilité hémodynamique définie, entre autres, par une posologie de NORADRENALINE supérieure à 0,6 mg/h ; e) dont le foie fera l’objet d’un « split » in-situ ; f) porteurs d’une maladie chronique excluant a priori tout don d’organe ou de toute situation pathologique jugée comme rédhibitoire, au cas par cas. La randomisation était stratifiée sur l’organisation de la procédure, l’état du donneur et l’existence d’une hypothermie  préalable. La température corporelle des DDEME du groupe HYPOthermie était abaissée entre 34 et 35°C dans les quatre heures suivant leur inclusion, pour une durée d’au moins douze heures. Celle des DDEME du groupe NORMOthermie était maintenue entre 36,5 et 37,5°C. Le choix des dispositifs permettant la gestion de la température corporelle (refroidissement et monitorage) était libre. Le critère de jugement principal était la RRFR, définie par la nécessité d’au moins une séance d’épuration extra-rénale au cours de la première semaine suivant la transplantation. Les critères de jugement secondaires étaient le nombre d’organes transplantés par donneur et le taux de transplantation par groupe de traitement. Afin de tenir compte des facteurs confondants que sont la créatininémie, l’agence responsable de la répartition des organes, l’âge et le type de donneurs ainsi que la durée d’ischémie froide, ces variables ont été incluses dans le modèle de régression logistique utilisé. Le calcul d’effectif montrait qu’il convenait d’inclure 500 donneurs pour pouvoir mettre en évidence une différence de 30% d’incidence de RRFR entre les deux groupes avec un risque de première espèce de 5% et une puissance de 90%. Une analyse intermédiaire était prévue pour juger de l’efficacité ou de la futilité, avec un seuil de risque de première espèce fixé à 0,0026. La méthodologie prévoyait une analyse de sous-groupes, définis par le caractère élargi ou non des DDEME.

Résultats : L’analyse intermédiaire a été conduite après inclusion de 370 DDEME (180 dans le groupe HYPOthermie). Ses résultats ont conduit le comité de sécurité à interrompre l’essai en raison de l’efficacité du bras HYPOthermie. Les caractéristiques des DDEME étaient comparables entre les groupes. Il s’agissait majoritairement d’hommes (63%) et de jeunes (45±15 ans). Le débit de filtration glomérulaire était en moyenne de 89 ml.min-1.m-2. Environ un quart était des DDEME à critères élargis. Les caractéristiques des patients recevant les reins étaient similaires entre les deux groupes, exception faite de la durée d’ischémie froide, plus importante dans le groupe NORMOthermie que dans le groupe HYPOthermie (respectivement 16±8 et 14±7 heures, p=0,02). L’incidence de la RRFR chez les receveurs de reins provenant de DDEME appartenant au groupe HYPOthermie était moindre que dans le groupe NORMOthermie (OR=0,62 IC95[0,43 ; 0,92], p=0,02). L’analyse de sous-groupe a montré que seuls les DDEME à critères élargis bénéficiaient de cet effet protecteur (OR=0,31 IC95[0,15 ; 0,68], p=0,003). Le nombre total d’organes prélevés par donneur et le taux d’organes transplantés étaient les mêmes dans les deux groupes.

Discussion : Cette étude montre que l’induction d’une hypothermie abaissant la température corporelle des DDEME entre 34 et 35°C pendant 12h permet de réduire de 38% l’incidence du RRFR chez les receveurs, voire de 69% dans le groupe des DDEME à critères élargis. Cette hypothermie permet de réduire les phénomènes délétères d’ischémie-reperfusion, auxquels sont particulièrement sensibles les greffons les plus fragiles, provenant de DDEME à critères élargis. Ce point explique probablement le plus grand bénéfice de l’hypothermie observé dans ce sous groupe. Le bénéfice global de cette hypothermie semble porté par le sous-groupe des DDEME à critères élargis, dans la mesure où il n’est pas retrouvé dans l’autre sous-groupe. Notons que l’incidence de ces donneurs « limites » retrouvée dans cette étude est très inférieure à celle observée en France (27% vs. 47%) [2]. Ce point laisse penser que le bénéfice attendu en France pourrait être plus important que celui rapporté dans cette étude.

Points forts :
·      Cette étude a été conduite chez des donneurs, avec toutes les contraintes éthiques que cela comporte, privilégiant une approche de prévention des conséquences de l’ischémie reperfusion à une approche visant à minimiser les effets de cette dernière chez les receveurs.
·      Les résultats ne sont pas sensibles aux données manquantes.
·      L’hypothermie réduit l’incidence du RRFR sans réduire le nombre de greffons prélevés.

Points faibles :
·      La population de cette étude diffère de notre population cible. Toutefois, la plus grande incidence de donneurs à critères élargis en France laisse à penser que l’effet bénéfique de l’hypothermie pourrait être plus important.
·      Le bénéfice ne semble observé que chez les DDEME à critères élargis.
·      La sélection et la prise en charge des receveurs ne sont pas décrites. Elles pourraient différer de l’attitude française, en raison du caractère bi-centrique non international de cette étude nord-américaine.
·      Le critère de jugement est limité dans le temps à la première semaine. Le bénéfice sur la fonction rénale à long terme ainsi que sur la survie reste à démontrer.
·      La durée d’ischémie froide était plus importante dans le groupe NORMOthermie. Or il s’agit là d’un facteur connu de RRFR, susceptible de biaiser les résultats.

Conclusion : L’induction d’une hypothermie entre 34 et 35°C pendant au moins douze heures induite chez les DDEME permet de réduire l’incidence du RRFR de 38%.

Références :
[1]      Niemann CU, Feiner J, Swain S, Bunting S, Friedman M, Crutchfield M, et al. Therapeutic Hypothermia in Deceased Organ Donors and Kidney-Graft Function. N Engl J Med 2015;373:405–14.
[2]      Antoine C. Extended criteria donor: how far? Réanimation 2012;22:S488–94.