Mis en ligne le 7 mars 2016
Article du mois

Marijon E et al. – Annals of Internal Medicine – Jan 2016

Analyse de l’article par le Dr Romain Jouffroy, SAMU de Paris,

CHU Necker – Enfants Malades, pour le Comité Urgences de la SFAR

L’arrêt cardiaque (AC) représente un problème de santé publique majeur concernant 550 000 victimes par an aux USA et représentant plus de 50% des décès d’origine cardiovasculaire (1, 2). La survie reste très faible (environ 7%) malgré les recherches menées au cours des dernières décennies (3). Peu de méthodes permettent d’améliorer la prédiction du devenir après AC. Aussi les approches basées sur la stratification du risque estimé à partir de symptômes d’alarme (douleurs thoraciques, dyspnée, palpitations, syncope, douleurs abdominales, nausées, vomissements, douleurs dorsales et divers) précédant l’AC sont considérées comme des alternatives pour permettre l’amélioration de cette prédiction (1, 4, 5).

Objectif de l’étude :

L’objectif de cette étude était de préciser la nature des symptômes d’alarme, ainsi que la réponse du système de secours à ces derniers, survenant au cours des 4 semaines précédant la survenue d’un arrêt cardiaque.

 

Méthodes :

Cette étude épidémiologique prospective basée sur le registre SUDS (sudden unexpected death study) de l’Oregon s’est intéressée à l’histoire clinique et aux symptômes de tous les patients, y compris ceux laissés sur place décédés, ayant présenté un arrêt cardiaque extra hospitalier dans la métropole de Portland. L’exhaustivité de l‘identification des patients inclus a été obtenue grâce à 2 sources différentes : les services d’urgence hospitaliers et le bureau du médecin légiste.

Entre février 2002 et février 2012, ont été inclus tous les patients âgés 35 à 65 ans ayant présenté un AC sans cause extra cardiaque évidente, et ont été exclus les patients présentant un cancer évolutif et/ou présentant une maladie respiratoire chronique obstructive.

Le recueil des symptômes d’alarme a été fait auprès des médecins généralistes, des services d’urgence, des réanimations et des USIC, des familles, des témoins et des survivants. Les symptômes ont été classés en 3 groupes : absents, présents ou non évaluables. Les symptômes apparus immédiatement avant l’AC ont été considérés comme absents puisqu’ils n’auraient de toute façon pas pu déboucher sur une action de prévention.

Les symptômes d’alarme répertoriés après analyse étaient les suivants : douleurs thoraciques, dyspnée, palpitations, syncope et autres (douleurs abdominales, nausées ou vomissements, douleurs dorsales et divers). En cas d’association de symptômes avec douleur thoracique, le symptôme principal considéré était la douleur thoracique.

Les délais de survenue avant l’AC ont été classés en 4 groupes : dans l’heure, dans les 24 heures, dans les 7 jours et dans les 4 semaines précédant l’AC.

Les symptômes ont été classés « sans effet » si le patient, la famille ou les témoins n’avaient pas cherché à contacter les secours (911, « équivalent » du centre 15) suite aux symptômes.

L’analyse des dossiers médicaux a été réalisée par 3 médecins différents.

Les auteurs se sont intéressés à la présence, au cours des 4 semaines précédant la survenue de l’arrêt cardiaque (AC), des symptômes d’alarme et de la réponse du système pré hospitalier de secours à ces derniers.

La survie à la sortie de l’hôpital a été étudiée par un modèle de régression logistique chez les patients symptomatiques.

Les données manquantes ont fait l’objet d’une imputation multiple avec comparaison entre le jeu de données issus des données imputées et le jeu de données avec les observations complètes (vérification de similarité des résultats effectuée). L’objectif était d’étudier la relation entre la survie et un recours aux systèmes de secours après ajustement sur les facteurs suivants : hôpital et période (avant et après 2005).

L’étude a été financée par « The National Heart, Lung, and Blood Institute » sans influence de ce dernier sur la conception, l’analyse et la soumission des résultats.

Principaux résultats :

Seize hôpitaux ont participé avec 1099 patients éligibles. Il n’a pas été observé de différence concernant les caractéristiques des patients symptomatiques ou non, les délais entre recours au 911 et arrivée aux urgences, ainsi que le type d’AC (asystolie vs troubles du rythme).

Pour 260 patients (24%) aucun symptôme d’alarme n’était disponible par défaut de témoin et de compte rendu médical. Les données obtenues sont principalement issues du système d’urgence (766 patients – 91%).

Parmi les 839 patients avec une évaluation possible de la présence ou non de symptôme en se basant sur les sources disponibles, 430 (51%) ont présenté au moins 1 symptôme et 51 avaient consulté un médecin au cours des 4 semaines.

Les hommes ont déclaré avoir plus de douleur thoracique et les femmes plus de dyspnée.

Parmi les 430 patients symptomatiques, 81 (19%) ont eu recours au système de secours avant survenue de l’AC, en particulier les sujets âgés avec une coronaropathie associée ou ayant une douleur thoracique continue. Soixante-trois patients (78%) ont présenté un AC avant l’arrivée des secours pré hospitaliers et 18 (22%) ont développé un AC lors du transport à l’hôpital.

L’appel au 911 était associé à une présence plus importante de témoins, de rythme choquable, et à une amélioration de la survie. Après ajustement, seul l’appel au 911 est resté significativement associé à la survie à la sortie de l’hôpital (OR=4,82 [IC, 2,23 – 10,43]; p <0,001), et ce avec contrôle des facteurs de confusion (hôpital et période d’étude).

Conclusion des auteurs

La plupart des victimes d’AC présentaient des symptômes d’alarme (douleurs thoraciques, dyspnée, palpitations, syncope, douleurs abdominales, nausées, vomissements, douleurs dorsales) dans les 4 semaines la survenue de l’AC, mais qui dans la majorité des cas ont été ignorés. Une réponse adaptée à ces symptômes était associée à une amélioration de la survie. Ces résultats mettent en évidence la nécessité de prévention de la survenue de l’AC basée sur la détection de ces symptômes. Des études complémentaires s’avèrent nécessaires pour affiner la stratification du risque d’AC chez les patients présentant des symptômes d’alarme de risque de survenue d’AC.

Points forts

  • 1ère étude s’étant intéressée au risque de survenue d’un AC par une analyse des symptômes survenant au cours des 4 semaines préalables.
  • Collectif important de patients éligibles.
  • Analyse des dossiers médicaux réalisée par 3 médecins.
  • Analyse avec ajustement sur les facteurs confondants (hôpital).

Points faibles

  • Données manquantes pour 25% des patients avec nécessité de recourir à une imputation multiple, et absence de précision sur l’accord inter juge des 3 médecins ayant effectué l’analyse des dossiers médicaux.
  • Absence de justification sur la stratification effectuée sur la période d’étude (2005).
  • Absence de précision sur le devenir des sujets non symptomatiques et des sujets symptomatiques n’ayant pas présenté un AC.
  • Absence de spécificité des symptômes d’alarme : douleurs thoraciques, dyspnée, palpitations, syncope, douleurs abdominales, nausées, vomissements, douleurs dorsales.
  • Peu de patients symptomatiques ont eu recours au 911, ce qui rend difficile la possibilité de la prévention (objectif de départ). Cependant chez les patients symptomatiques, l’appel au 911 était associé à une plus grande survenue d’AC.

Discussion de l’article

La détection des symptômes d’alarme (douleurs thoraciques, dyspnée, palpitations, syncope, douleurs abdominales, nausées, vomissements, douleurs dorsales) constitue la base de la prévention de survenue d’une maladie. Pour que cette détection puisse être efficace, les symptômes d’alarme doivent être connus du grand public (enseignement) et facilement identifiables. Ensuite le recours à un système de secours pré établi avec un centre téléphonique disponible 24h/24h permettant l’envoi de secours de niveaux variables selon la gravité (secouristes simples ou médicalisation pré hospitalière précoce), et l’orientation précoce des patients dans une structure hospitalière adaptée (filiarisation), représentent probablement le prérequis permettant une amélioration du pronostic des patients.

Pour la détection des symptômes d’alarme, comme le soulignent les auteurs, l’éducation de la population est essentielle, seulement 1/5 des patients symptomatiques ayant sollicité les secours. Ensuite, l’absence de spécificité des symptômes impose le développement d’échelle(s) de stratification du risque (comme le TIMI risk score) adaptée(s) à l’appel au centre 911. Dans cette étude, les éléments anamnestiques de risque de survenue d’un syndrome coronarien aigu comme sont retrouvés comme associés à la survenue d’un AC, ce qui n’est pas surprenant compte tenu de la population d’étude, les facteurs de risque de ces 2 pathologies étant communs. Les éléments anamnestiques et les symptômes fonctionnels évocateurs de syndrome coronarien aigu sont probablement des éléments à considérer.

Enfin la spécificité et la plus-value de la médecine d’urgence pré hospitalière française, avec possibilité de médicalisation précoce via le SAMU/SMUR, sont renforcées par les données de l’étude : 63 (78%) patients symptomatiques étant en AC avant l’arrivée des secours pré hospitaliers et 18 (22%) lors du transport à l’hôpital.

Que retenir ?

La prévention du risque d’arrêt cardiaque est essentielle.

Des symptômes d’alarme (douleurs thoraciques, dyspnée, palpitations, syncope, douleurs abdominales, nausées, vomissements, douleurs dorsales) au cours des 4 semaines précédant l’arrêt cardiaque sont fréquents mais souvent négligés par les patients.

Une éducation de la population sur ces symptômes est essentielle pour le développement d’une prévention ciblée reposant sur une/des échelle(s) de stratification du risque.

Enfin, l’intérêt de la médicalisation précoce et de la filiarisation des patients à risque sont à nouveau rappelés par cet article.

Références :

  1. Go AS, Mozaffarian D, Roger VL, Benjamin EJ, Berry JD, Blaha MJ, et al; American Heart Association Statistics Committee and Stroke Statistics Subcommittee. Heart disease and stroke statistics—2014 update: a report from the American Heart Association. Circulation. 2014.
  2. Adabag AS, Luepker RV, Roger VL, Gersh BJ. Sudden cardiac death: epidemiology and risk factors. Nat Rev Cardiol. 2010.
  3. Sasson C, Rogers MA, Dahl J, Kellermann AL. Predictors of survival from out-of-hospital cardiac arrest: a systematic review and meta-analysis. Circ Cardiovasc Qual Outcomes. 2010.
  4. Pauker SG, Estes NA, Salem DN. Preventing sudden cardiac death: can we afford the benefit? Ann Intern Med. 2005.
  5. Achtelik M. Preventing sudden cardiac death. Ann Intern Med. 2005.