Mis en ligne le 15 Mai 2017
Éditoriaux
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Une mise à jour du décret de compétence des IADE a été négociée et publiée au journal officiel le 12 mars 2017.

De nombreuses questions nous ont été posées concernant les implications sur la pratique de l’anesthésie que pourraient entraîner ce nouveau décret.

Tout d’abord nous nous félicitons de la reconnaissance des compétences et du rôle important des IADES dans la pratique de l’anesthésie.

Ce qui change dans le nouveau texte :

La première modification concerne le remplacement du terme de “protocole établi par le médecin anesthésiste” par celui de “stratégie anesthésique comprenant les objectifs à atteindre, le choix et les conditions de mise en œuvre de la technique anesthésique”, cette stratégie devant être écrite par le médecin anesthésiste-réanimateur.

Cette modification est une reconnaissance des compétences et de la pratique des IADE dont le rôle n’est pas seulement d’appliquer un protocole (par protocole, on entend une prescription stricte, produits, doses, modalités d’administration, …), mais de surveiller un patient et d’adapter tout au long de l’intervention sa prise en charge en fonction d’une stratégie décidée avant l’intervention par le médecin anesthésiste-réanimateur. Ceci met en évidence le rôle de l’IADE dans le suivi et la gestion péri-opératoire du patient.

L’encadrement par le médecin anesthésiste-réanimateur a été précisé. Celui-ci, comme dans le texte précédent doit avoir examiné le patient, puis il doit donner la stratégie à suivre et pouvoir intervenir à tout moment, mais dans le nouveau texte sa présence sur le site où sont réalisés les actes ou la surveillance post interventionnelle est explicitement exigée.

Une deuxième modification concerne la possibilité pour l’IADE “d’intervenir, sous le contrôle exclusif d’un anesthésiste-réanimateur en vue de la prise en charge de la douleur postopératoire.

L’idée est de laisser la possibilité de la gestion de la douleur péri-opératoire en particulier avec des techniques invasives comme les cathéters d’anesthésie locorégionale aux IADE. Clairement, si on a une équipe mobile douleur post-opératoire c’est la compétence des IADE qui est demandée.

Une troisième modification, reconnaissance des compétences des IADE, est l’habilitation exclusive à “réaliser le transport des patients stables ventilés, intubés ou sédatés pris en charge dans le cadre des transports infirmiers interhospitaliers”.

Les transports inter-hospitaliers doivent à ce jour, être médicalisée, mais beaucoup d’entre eux ne le sont pas. Le nouveau texte officialise la possibilité de faire des transports inter-hospitaliers paramédicalisés, mais avec des IADE compte-tenu de leur champs de compétences.

Ce qui ne change pas :

Sont repris intégralement les termes :

L’infirmier anesthésiste diplômé d’Etat est,…, seul habilité à

“1° Pratiquer les techniques suivantes :

  • Anesthésie générale
  • Anesthésie locorégionale et réinjections dans le cas où un dispositif a été mis en œuvre par un médecin anesthésiste-réanimateur.”

Cette partie du texte n’ayant subi aucune modification, il nous semble bon de rappeler les recommandations faites par le Comité Vie Professionnelle de la SFAR en 2013. En l’absence de modification du décret de compétence sur ces points-là, et en particulier sur la pratique des anesthésies locorégionales, qui fait polémique actuellement, il n’y a pas de raison objective de changer ces recommandations que nous citons ci-dessous.

“Au­ delà de différences sémantiques entre « appliquer » et « pratiquer» une technique, la SFAR a tenu à préciser, par un texte du Comité Vie Professionnelle validé par le Conseil d’Administration (Ann Fr Anesth Réanim 2001; 20 (2): fi20), les rôles respectifs des médecins et infirmiers anesthésistes dans la conduite d’une anesthésie. Ce texte souligne clairement que les fonctions du médecin anesthésiste-réanimateur et de l’IADE s’inscrivent en complémentarité et non en substitution, et que la réalisation d’une technique d’anesthésie/analgésie locorégionale est un acte médical. En effet, comme indiqué plus loin, il ne s’agit pas simplement de la technicité de ce mode d’anesthésie, mais de l’évaluation, au fur et à mesure qu’il est réalisé, de son rapport bénéfice/risque, en fonction de l’acte chirurgical prévu, de l’état du patient et de ce qui lui a été dit en consultation, synthèse qui est de nature médicale.

On peut noter incidemment que le rapport Berland de 2006, sur la « formation des professionnels de santé pour mieux coopérer et soigner» n’élargit pas ce périmètre d’action et suggère un encadrement très strict pour le « déploiement expérimental » des pratiques avancées, soulignant la nécessité d’une formation longue et sanctionnée par un diplôme, ainsi qu’une expertise clinique reconnue et la mise en place de procédures validées par la Haute Autorité de Santé. La réalisation d’un acte d’anesthésie loco­régionale par un IADE ne répond en rien à ces mesures de précaution. Sur ce point, il est à noter que la pratique de l’anesthésie locorégionale ne fait pas partie du programme de formation des écoles d’IADE. Une formation proposée localement ne peut en aucun cas se substituer à ce cadre officiel.

Outre ces aspects réglementaires, de nombreux autres points méritent d’être pris en considération : La réalisation d’une anesthésie/analgésie locorégionale dans des conditions optimales de sécurité pour les patients fait appel à de nombreux facteurs qui dépassent l’acte purement technique. Il en est ainsi de la connaissance des paramètres pharmacologiques des produits injectés, de la connaissance de l’anatomie et des variations susceptibles de survenir, ainsi que de la gestion médicale des difficultés ou des échecs. La réalisation du geste par un repérage échographique nécessite une formation adaptée et ne modifie en rien les risques encourus, notamment l’incidence des neuropathies séquellaires.

La relation entre un patient et son médecin comporte un versant contractuel en exercice libéral : la réalisation de l’acte par un IADE entre en contradiction avec le contrat qui conduit au versement d’honoraires. Si le fait d’en informer le patient ne libère pas le praticien de ses obligations, le fait de ne pas l’informer que l’acte ne sera pas réalisé par un médecin qualifié est constitutif en soi d’une faute.

Les conséquences juridiques, en cas de dommage lié à l’acte à caractère médical effectué par un IADE s’en déduisent facilement. Lorsqu’un patient engage une procédure de demande d’indemnisation en raison d’un tel dommage, la nature fautive ou non fautive de la réalisation de l’acte doit être appréciée (art. LI 142-1 CSP), raison pour laquelle l’avis d’experts est constamment demandé. Or ceux-ci sont tenus de se fonder sur les règles de bonne pratique professionnelle pour fonder leurs conclusions.

La clarté de ces règles en la matière laisse peu de place au doute quant à l’existence d’un écart à celles-ci lorsque l’acte a été réalisé par un IADE, donc d’une faute engageant la responsabilité du praticien à indemniser le dommage, faute aggravée si le patient n’en a pas été informé. Ceci indépendamment de la responsabilité propre de l’IADE, …

En conclusion, pour toutes les raisons précédemment développées, il est indiscutable que la réalisation d’une anesthésie locorégionale par un IADE, même sous la direction d’un médecin, contrevient aux règles de bonnes pratiques : il est recommandé de ne pas pratiquer ainsi.”

Il est par ailleurs nécessaire de préciser que le seul fait que cet acte soit pratiqué par quelqu’un qui n’en avait pas la compétence fera obstacle à la qualification d’accident médical non fautif, même si le geste a été techniquement parfaitement réalisé par l’IADE et sera ainsi susceptible d’entrainer la responsabilité du médecin anesthésiste réanimateur.

En conclusion, ce nouveau décret reconnait le rôle de l’IADE, il en élargit certaines compétences dans la pratique de l’anesthésie, mais ne lui permet pas plus que le précédent la pratique des actes médicaux que seul un médecin anesthésiste-réanimateur peut réaliser.

Pr Francis BONNET, Dr Christian-Michel ARNAUD, Pr Claude ECOFFEY