Mis en ligne le 17 janvier 2017
Article du mois

Manu Shankar-Hari et al. For the Sepsis Definition Task Force. JAMA 2016;315(8):775-787

Analyse faite par Raphaël CINOTTI et Karim ASEHNOUNE, CHU de Nantes, pour le Comité Scientifique de la SFAR

Contexte :

La définition clinique du choc septique a fait l’objet d’un premier consensus nord-américain en 1991 puis d’un consensus international en 2001. Les avancées récentes dans la compréhension de la physiopathologie du choc septique rendent indispensable une mise à jour de sa définition.

Objectifs de l’étude :

Le but de cette étude était de développer et de valider une nouvelle définition clinique du choc septique.

Matériels et méthodes :

La Society of Critical Care Medicine et l’European Society of Intensive Care Medicine, ont mandaté 19 experts afin de mettre à jour la définition du choc septique Cette mise à jour a comporté 3 phases successives :

1) Revue de la littérature et méta-analyse. Les auteurs ont recensé les études, chez les patients âgés de 19 ans et plus, publiées (MEDLINE) dans une revue de langue anglaise entre le 1er Janvier 1992 et le 25 Décembre 2015. Il s’agissait d’études épidémiologiques et/ou comportant des données sur le devenir des patients en réanimation. Le but était de recenser les définitions utilisées pour le choc septique.

2) Etude Delphi. A partir des définitions recensées, un consensus a été établi à l’aide de la méthodologie Delphi au cours de 3 enquêtes successives. Les experts ont pu ainsi proposer plusieurs définitions clinico-biologiques du choc septique ainsi qu’une définition des critères de sévérité. Ces définitions ont été testées sur plusieurs cohortes indépendantes afin de ne retenir que la plus pertinente.

3) Validation sur cohortes indépendantes.

  1. a) Cohorte 1 (SCC) : Surviving Sepsis Campaign (SCC), enrôlement sur 218 hôpitaux dans 18 pays incluant 28150 patients
  2. b) Cohorte 2 (UPMC) : University of Pittsburgh Medical Center (UPMC), incluant 12 hôpitaux et comportant 1 309 025 patients
  3. c) Cohorte 3 (KPNC) : Kayser Permanent Northern California (KPNC), incluant 20 hôpitaux avec 1 847 165 patients. Ces cohortes ont permis de tester la pertinence de différents seuils cliniques et biologiques pour définir le choc septique.

Résultats principaux :

1) Revue de la littérature et méta-analyse. Quarante-quatre études incluant 166479 patients concernant la mortalité du choc septique ont été retenues. De nombreuses définitions clinico-biologiques étaient utilisées et il était noté une grande variabilité, en termes de protocoles de réanimation, de définition de l’hypotension et de sévérité. Il existait également une grande hétérogénéité concernant la mortalité, celle-ci passant du simple au quadruple (de 23 à 81,8%) entre les différents articles.

2) Etude Delphi. Un consensus a été trouvé permettant de retenir l’hypotension artérielle réfractaire, l’utilisation de vasopresseurs et une hyperlactatémie dans la nouvelle définition du choc septique. Les experts ont convenu que l’utilisation de catécholamines signait l’hypotension artérielle réfractaire, et qu’un taux de lactate devait être fixé afin de pouvoir prédire la mortalité hospitalière. Six définitions comprenant différents seuils de pression artérielle moyenne et de lactatémie ont donc été testées dans des cohortes de grande taille.

3) Etude de cohortes.

Cohorte de la SCC (8250 patients). Pour l’une des 6 définitions retenue par la méthode Delphi (hypotension malgré un remplissage optimal, nécessité d’administration des catécholamines pour maintenir une pression artérielle moyenne ≥ 65mmHg et une lactatémie > 2mmol/L) la mortalité hospitalière était significativement plus importante. Le groupe d’expert a donc conclu que cette définition était la plus pertinente pour définir le choc septique. En particulier, le seuil de 2 mmol/L de lactate a été retenu du fait du meilleur ratio entre la sensibilité (82,5%) et la spécificité (74,9%) pour prédire la mortalité.

Cohortes UPMC et KPNC. Dans ces deux cohortes de validation, les patients répondant à la nouvelle définition du choc septique avaient une mortalité de 54% et 35% respectivement. La mortalité augmentait avec l’élévation de la lactatémie.

Points forts :

  • La méthodologie générale utilisée avec une meta-analyse suivie par un consensus d’experts par la méthode Delphi et enfin validation de la définition sur de grandes cohortes.
  • Réalisation d’une méta-analyse montrant l’extrême hétérogénéité de mortalité du choc septique, ce qui a conduit à la genèse de 6 définitions différentes du choc septique.
  • Validation de la définition du choc septique sur une cohorte de plusieurs milliers de patients, multicentrique et internationale. Validation corroborée par deux autres cohortes multicentriques de plusieurs centaines de milliers de patients. Il n’y a pas d’autres équivalents dans la littérature de validation de la définition du choc septique sur des cohortes de telle ampleur.
  • Nouvelle définition avec des critères cliniques et biologiques utilisés en routine, permettant ainsi la généralisation de son utilisation en pratique quotidienne.

Points faibles :

  • La nécessité de réviser la définition du choc septique n’est pas clairement explicitée par les auteurs.
  • La méta-analyse n’a pas sélectionné les études avec une qualité méthodologique suffisante, les auteurs ayant uniquement recueilli les données des études publiées sur MEDLINE, chez des patients adultes sur des données épidémiologiques.
  • Les marqueurs de perfusion tissulaire autres que la lactatémie (débit urinaire, clairance du lactate) ou des données hémodynamiques autres que la pression artérielle n’ont pas été testés dans l’analyse. Ces données plus élaborées auraient peut-être permis d’améliorer la définition du choc septique.
  • Etant donné l’absence de « gold standard » dans la définition du choc septique, aucune comparaison n’est possible.
  • Toutes les cohortes ont des données manquantes. Malgré la méthode statistique d’imputation multiple utilisée par les auteurs, un biais de sélection des patients est inévitable.
  • La nouvelle définition du choc septique implique l’apparition d’une défaillance d’organe témoignée par l’administration de noradrénaline et l’élévation de la lactatémie. Les auteurs ont inclus les patients en sepsis, selon l’ancienne définition, dans leur nouvelle définition du choc septique. Il n’y a pas eu de tentative de leur part de faire évoluer également la définition du sepsis, en l’absence d’un état de choc. Cela expose par conséquent les patients en sepsis mais sans défaillance d’organe à ne pas recevoir de traitement optimal avant l’apparition d’une défaillance d’organe. Cela est particulièrement vrai dans les pays aux ressources économiques limitées qui se sont d’ores et déjà positionnés pour ne pas utiliser cette nouvelle définition.

Que retenir ?

La nouvelle définition du choc septique (hypotension malgré un remplissage optimal, nécessité d’administration des catécholamines pour maintenir une pression artérielle moyenne ≥ 65mmHg et une lactatémie > 2mmol/L) fait appel à des critères cliniques simples et reproductibles comprenant une augmentation du taux de lactate sanguin signant l’apparition d’une défaillance d’organes et une hypotension artérielle réfractaire. Cependant cette nouvelle définition, ne fait pas appel aux outils récents et disponibles (biomarqueurs, monitorage) qui auraient probablement amélioré sa performance. Le sepsis sévère n’est pas évoqué et ces patients risquent de recevoir un traitement insuffisant tant qu’ils ne répondent pas à la nouvelle définition du choc septique.