Mis en ligne le 9 janvier 2018
Article du mois

Elderly Patients in FranceA Randomized Clinical Trial

Guidet B, Leblanc G, Simon T, Woimant M, Quenot JP, Ganansia O, Maignan M, Yordanov Y, Delerme S, Doumenc B, Fartoukh M, Charestan P, Trognon P, Galichon B, Javaud N, Patzak A, Garrouste-Orgeas M, Thomas C, Azerad S, Pateron D, Boumendil A; ICE-CUB 2 Study Network.

JAMA. 2017 Oct 17;318(15):1450-1459. doi: 10.1001/jama.2017.13889.

Analyse faite par Alice Baldovini, Marc Leone

Service d’anesthésie et de réanimation, Aix Marseille Université, APHM, Hôpital Nord, Marseille, France

Contexte

Bien que l’admission de patients âgés en réanimation soit discutée depuis près de 30 ans, le bénéfice global d’une hospitalisation en réanimation pour ces patients reste inconnu. Pourtant, le vieillissement de la population est à l’origine d’une demande croissante d’admission en réanimation (1), les sujets âgés représentant 10-20% des admissions (2). La pression de la société et des services d’amont sur les réanimateurs est particulièrement forte pour admettre des patients âgés de plus en plus âgés et en plus grand nombre. Des éléments éthiques, mais aussi une efficacité supposée sur le pronostic de ces patients font partie des arguments en faveur de leur admission. Il était donc légitime d’obtenir des données factuelles sur l’intérêt de l’admission des patients âgés en réanimation (3). L’étude ICE-CUB 2, dirigée par Bertrand Guidet, est un essai randomisé en clusters dont l’objectif était de déterminer si l’admission systématique et selon un protocole des patients âgés en réanimation réduisait leur mortalité à 6 mois en comparaison aux pratiques habituelles.

Méthodologie

Cette étude multicentrique a été menée dans 24 hôpitaux universitaires et non universitaires français comprenant un service d’accueil des urgences et un service de réanimation. La période d’inclusion s’étalait de janvier 2012 à novembre 2015.

Il s’agissait d’une étude ouverte randomisée contrôlée en clusters avec randomisation de chaque hôpital en un groupe intervention et un groupe contrôle. Dans les hôpitaux assignés au groupe intervention, un programme pré-établi d’admission systématique des patients âgés en réanimation était mis en place. Dans les hôpitaux assignés au groupe contrôle, aucune recommandation spécifique n’était formulée.

Tous les patients âgés de 75 ans et plus admis aux urgences étaient éligibles. Ils étaient inclus s’ils présentaient au moins un critère d’admission en réanimation selon une liste pré-définie, un état fonctionnel préservé selon l’échelle ADL (Activities of Daily Living), un état nutritionnel préservé et une absence de néoplasie évolutive. Les critères d’exclusion étaient un séjour aux urgences de plus 24 heures, un transfert secondaire aux urgences et un refus de participation à l’étude.

Le critère de jugement principal était la mortalité globale à 6 mois. Les critères de jugement secondaire étaient le taux d’admission en réanimation, le taux de mortalité à l’hôpital, le statut fonctionnel à 6 mois mesuré par l’échelle ADL, la qualité de vie à 6 mois mesurée par l’échelle SFHS (Short Form Health Survey) et l’opinion des médecins à propos des admissions en réanimation et leur participation au processus de décision. Le nombre de sujets nécessaire a été calculé à 3000 patients pour une réduction de mortalité de 6%.

Résultats

Entre janvier 2012 et avril 2015, 25 hôpitaux ont été randomisés et 3037 patients ont été inclus dans l’étude. Au total 1519 patients dans 11 hôpitaux ont été inclus dans le groupe Intervention et 1518 patients dans 13 hôpitaux ont été randomisés dans le groupe Contrôle. L’âge médian des patients était de 85 ans (81-89) avec 45% d’hommes. Les patients du groupe Intervention étaient admis dans 61% des cas en réanimation et ceux du groupe Contrôle dans 34% des cas (RR = 1,80 [IC 95%, 1,66-1,95]).

La mortalité à la sortie de l’hôpital (30% vs. 21%, p < 0,001; RR = 1,39 IC 95%, [1,23-1,57]) et celle à 6 mois (45% vs. 39%, p < 0,001; RR = 1,80 IC 95%, [1,66-1,95]) étaient supérieures dans le groupe Intervention, comparée à celle du groupe Contrôle. Après ajustement, la différence à 6 mois disparaissait (RR= 1,05, IC 95%, [0,96-1,14). Le statut fonctionnel et la qualité de vie à 6 mois étaient similaires dans les deux groupes.

Discussion

Les données connues :

En France, la probabilité qu’une personne âgée soit admise en réanimation varie considérablement d’un hôpital à l’autre (4). La mortalité à 6 mois des patients âgés après un séjour en réanimation peut atteindre 50% (4). Les résultats de cette étude sont conformes à ceux d’une étude de cohorte prospective observationnelle dans laquelle, parmi 2646 patients, aucun bénéfice n’était retrouvé sur la mortalité à long terme pour des patients âgés de plus de 80 ans (5). Au contraire, deux études observationnelles ont suggéré une diminution de la mortalité à 1 mois chez les patients âgés admis en réanimation (6,7). Toutefois, la durée d’observation d’un seul mois peut artificiellement favoriser le groupe admis en réanimation et limite la pertinence de ce résultat.

Ce qu’apporte cette étude :

Cette étude montre qu’une stratégie basée sur un protocole visant à promouvoir une admission standardisée et systématique en réanimation des patients âgés de 75 ans et plus double le nombre de patients admis dans ces unités sans améliorer leur pronostic. Pourtant, les critères d’inclusion et d’exclusion étaient tels que seuls les patients ayant un bon potentiel de récupération étaient inclus, ce qui renforce la portée de ces résultats.

Le point fort de cette étude est sa méthodologie. Pour la première fois sur ce sujet, les auteurs ont utilisé une randomisation en cluster qui évite une contamination des pratiques d’un patient sur l’autre. De plus, ce modèle de randomisation permet d’échapper aux difficultés encourues par les considérations éthiques de la randomisation individuelle par patient pour l’admission en réanimation. L’étude est donc de haute qualité méthodologique et présente des écarts minimes par rapport au protocole permettant une analyse en intention de traiter avec une bonne puissance statistique.

Les limites :

Plusieurs facteurs à l’origine de biais de confusion peuvent être relevés dans l’étude :

  • le mode d’inclusion non individuelle,
  • les patients du groupe Intervention avaient des scores de gravité supérieurs à l’admission, mais l’ajustement secondaire a fait disparaitre cette différence,
  • la période d’inclusion dans le groupe Contrôle était prolongée par rapport à celle du groupe Intervention.

Enfin on peut regretter l’absence de données concernant les décisions de limitation et d’arrêt des thérapeutiques et leur impact sur le taux de mortalité. En effet, on peut se demander si l’admission en réanimation n’a pas été associée une modification du parcours de certains patients, avec un accompagnement dans certains cas vers une fin de vie. Dans ce cas, le résultat global ne refléterait pas la qualité différente de prise en charge dans les deux stratégies. L’absence de différence en termes de qualité de vie à 6 mois minimise le poids de cette hypothèse.

Synthèse, conclusion :

La réanimation offre la possibilité de prendre en charge des patients défaillances d’organe requérant des assistances externes pour leur permettre de survivre à un épisode aigu. Elle n’est pas un lieu dédié à la fin de vie attendue. Le surcoût lié à ce type d’hospitalisation en termes de personnel et d’équipements limite le nombre de places disponibles, rendant dans la plupart des hôpitaux la gestion des lits de réanimation extrêmement tendue.

L’explosion du nombre de sujets âgés dans la société et leur incidence dans nos hôpitaux crée une situation sans précédent. La demande en soins ne cesse d’augmenter dans un contexte de ressources limitées. Il est donc capital de placer chaque patient au meilleur endroit afin de lui assurer une prise en charge efficace et rationnelle. Au-delà de son coût, l’admission en réanimation est également génératrice de stress et d’inconfort pour le patient et son entourage. Elle peut donc s’avérer futile voire nuisible dans certains cas (8).

Cette élégante étude nous rappelle qu’évaluer les stratégies de façon factuelle est une obligation pour améliorer nos pratiques. Pour certains, ces résultats seront considérés comme surprenants, ne reflétant pas leur ressenti. D’autres déclareront que la négativité des résultats est liée à l’absence de stratégie de prise en charge, une fois le patient admis en réanimation. Cette étude, méthodologiquement solide et cliniquement pragmatique, permettra de discuter sur la base de données factuelles plutôt que sur des impressions ou histoires individuelles. En clair, l’admission systématique des sujets âgés, avec un bon potentiel de récupération, ne modifie pas leurs parcours à 6 mois. Il est donc nécessaire d’évaluer de façon individuelle les avantages et les inconvénients potentiels de l’admission en réanimation pour chaque patient âgé. L’admission sur le critère de l’âge n’est, en tout état de cause, pas suffisant.

Références

  • Flaatten H, DeLange DW, Artigas A, et al. The status of intensive care medicine research and a future agenda for very old patients in the ICU. Intensive Care Med. 2017;43(9):1319-1328.
  • Boumendil A, Angus DC, Guitonneau AL, et al; ICE-CUB study group. Variability of intensive care admission decisions for the very elderly. PLoS One. 2012
  • Heyland D, Cook D, Bagshaw SM, et al; Canadian Critical Care Trials Group; Canadian Researchers at the End of Life Network. The very elderly admitted to ICU: a quality finish? Crit Care Med. 2015;43(7): 1352-1360.
  • Boumendil A, Angus DC, Guitonneau AL, et al; ICE-CUB study group. Variability of intensive care admission decisions for the very elderly. PLoS One. 2012;7(4):e34387.
  • Boumendil A, Latouche A, Guidet B; ICE-CUB Study Group. On the benefit of intensive care for very old patients. Arch Intern Med. 2011;171(12): 1116-1117.
  • Sprung CL, Artigas A, Kesecioglu J, et al. The Eldicus prospective, observational study of triage decision making in European intensive care units, II: intensive care benefit for the elderly. Crit Care Med. 2012;40(1):132-138.
  • Valley TS, Sjoding MW, Ryan AM, Iwashyna TJ, Cooke CR. Association of intensive care unit admission with mortality among older patients with pneumonia. JAMA. 2015;314(12):1272-127.
  • Angus DC, MD. Admitting Elderly Patients to the Intensive Care Unit—Is it the Right Decision? 2017;318(15):1443-1444