Mis en ligne le 7 août 2018
Article du mois

A.Combes, D. Hajage, G. Capellier, A. Demoule, S. Lavoué, C. Guervilly, D. Da Silva, L. Zafrani, P. Tirot, B. Veber, E. Maury, B. Levy, Y. Cohen, C. Richard, P. Kalfon, L. Bouadma, H. Mehdaoui, G. Beduneau, G. Lebreton, L. Brochard, N.D. Ferguson, E. Fan, A.S. Slutsky, D. Brodie, and A. Mercat, for the EOLIA Trial Group, REVA, and ECMONet*

N Engl J Med. 2018 May 24;378(21):1965-1975. doi: 10.1056/NEJMoa1800385.

 

Article commenté par Romain Pirracchio (H.E.G.P., Paris) pour le comité scientifique de la SFAR

Contexte

sdraEn réanimation, le syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA) reste une pathologie associée à une mortalité élevée, malgré les avancées notables récentes en termes de stratégie ventilatoire.

Les améliorations technologiques apportées aux techniques d’oxygénation extracorporelle (ECMO) ainsi que les résultats observés au cours de la pandémie grippale H1N1 ont participé à la promotion de l’utilisation de l’ECMO dans ce contexte. Récemment, un essai randomisé (CESAR)[1] semblait confirmer l’intérêt de l’utilisation de l’ECMO dans les formes sévères de SDRA, même si cette étude présentait un certain nombre de limites méthodologiques.

Dans ce contexte, les auteurs ont réalisé une étude prospective, randomisée et multicentrique afin d’estimer l’impact de l’utilisation précoce de l’ECMO dans les formes sévères de SDRA.

Question clinique

Quel est le bénéfice à l’utilisation précoce de l’ECMO au cours des formes sévères de SDRA ?

Méthodologie

  • Étude prospective, randomisée, ouverte, multicentrique internationale (64 centres dans 4 pays) ;
  • Population à l’étude : patients
  • souffrant d’un SDRA répondant à la définition proposée par la conférence de consensus américaine et européenne de 1994 [2] ;
  • intubés et ventilés mécaniquement depuis moins de 7 jours
  • présentant des critères de sévérité incluant notamment : Pao2/Fio2 <50 mmHg pendant plus de 3 h, Pao2/Fio2 <80 mmHg pendant plus de 6 h, ou pH artériel <7.25 avec Paco2 ≥ 60 mmHg pendant >6 h, une fréquence respiratoire de 35 / minute et des paramètres ventilatoires ajustés pour maintenir une pression de plateau ≤32 cmH2O
  • malgré une optimisation de la ventilation mécanique comprenant notamment : Fio2≥0.80, volume courant = 6 ml / kg de poids corporel idéal, et PEEP ≥10 cmH2O
  • critères de non inclusion :
  • âge < 18 ans;
  • ventilation mécanique ≥ 7 jours;
  • grossesse;
  • poids > 1 kg par cm de taille ou BMI > 45;
  • insuffisance respiratoire chronique traitée par oxygénothérapie ou VNI;
  • défaillance cardiaque nécessitant une ECMO veino-artérielle;
  • antécédent de thrombocytopénie induite à l’héparine;
  • cancer avec espérance de vie < 5 ans;
  • état moribond ou Simplified Acute Physiology Score (SAPS­II) > 90 le jour de la randomisation;
  • coma non médicamenteux, suite à une arrêt cardiaque ou un dommage neurologique irréversible ;
  • une décision de limitation des thérapeutiques actives ;
  • une difficulté prévisible de cannulation jugulaire ou fémorale
  • une situation au cours de laquelle le dispositif d’ECMO ne serait pas immédiatement disponible.
  • Intervention :

Les patients étaient randomisés entre 2 stratégies de prise en charge. La randomisation était stratifiée sur le centre et sur la durée de ventilation préalable (< ou ≥ 2h).

Les 2 stratégies comparées étaient :

  • Groupe ECMO : cannulation veino-veineuse. Les patients pris en charge dans un centre ne disposant d’ECMO pouvaient néanmoins être inclus dans le groupe ECMO si le délai de mise en place de l’ECMO par une équipe mobile était inférieur à 2 heures.
  • Groupe contrôle : la prise en charge ventilatoire était celle décrite dans l’étude Express. [3]

Les cliniciens étaient incités à utiliser une curarisation ainsi qu’un positionnement en décubitus ventral. Les autres thérapeutiques d’exception (monoxyde d’azote inhalé, prostacyclines inhalées, manœuvres de recrutement, almitrine, ventilation à haute fréquence) étaient laissées à la discrétion des équipes en charge des patients.

Dans le groupe contrôle, un recours à l’ECMO était possible en cas d’hypoxémie réfractaire (Sao2 < 80% pendant >6 h, en dépit de la mise en œuvre des thérapeutiques adjuvantes).

  • Critères de jugement : Le critère de jugement principal était la mortalité à 60 jours. Le critère de jugement secondaire le plus important était l’échec du traitement défini par un recours à l’ECMO ou le décès dans le groupe contrôle et par le décès dans le groupe ECMO.
  • Analyse statistique :

Le calcul du nombre de sujets à inclure était basé sur l’hypothèse d’une mortalité à 60% à 60 jours dans le groupe contrôle, et d’une mortalité à 40% dans le groupe ECMO. En considérant une puissance à 80% et une erreur de première espèce à 5%, le nombre maximum de patients à inclure était de 331 en prévoyant une analyse séquentielle tous les 60 patients.

Les analyses principales ont été réalisées en intention de traiter.

La survie au cours des 60 jours post randomisation a été comparée grâce au test du LogRank, et un modèle de Cox ajustant sur les principaux facteurs de confusion a également été utilisé pour confirmer les résultats.

Résultats

L’étude a été suspendue après la 4ème analyse intermédiaire pour futilité. Parmi 1015 patients évalués, 249 ont finalement été inclus entre 2011 et avril 2017 dans 64 centres: 124 dans le groupe ECMO et 125 dans le groupe contrôle. 3 patients du groupe ECMO n’ont pas eu d’ECMO et 35 patients du groupe contrôle ont finalement reçu une ECMO du fait d’une hypoxémie réfractaire.

Les principales caractéristiques des patients étaient globalement comparables entre les 2 groupes, notamment en ce qui concerne la gravité de l’hypoxémie (Pao2/Fio2 groupe ECMO 73±30 mmHg versus 72±24 mmHg groupe contrôle).

Description des groupes

Dans le groupe interventionnel, l’ECMO a été démarrée 3,3±2,8 heures après la randomisation. Chez 39% des patients sous ECMO, une unité mobile d’assistance circulatoire a été déclenchée. La durée de l’ECMO était en moyenne de 15±13 jours. Les patients du groupe ECMO avaient une amélioration plus rapide des paramètres de mécanique ventilatoire (pression de plateau, driving pressure, compliance) ainsi que de la gazométrie artérielle.

Dans le groupe contrôle, 90% des patients ont été mis en décubitus ventral, 83% ont reçu du NO ou des prostacyclines inhalées et 100% ont reçu des curares après la randomisation.

Comparaisons

A 60 jours, 35% des patients du groupe ECMO et 46% des patients du groupe contrôle étaient décédés (HR = 0,70, 95% CI, 0,47 – 1,04 ; P = 0,07). L’ajustement sur les facteurs de confusion potentiels ne modifiait pas les résultats. L’échec du traitement au cours des 60 premiers jours était moins fréquent dans le groupe ECMO : RR = 0,62, 95% CI, 0,47 – 0,82 ; P<0,001.

35 patients (28%) du groupe conventionnel ont finalement reçu une ECMO en moyenne 6,5±9,7 jours après la randomisation. Sur l’ensemble des paramètres cliniques, gazométriques et radiologiques, ces patients étaient plus sévères que la moyenne des autres patients du groupe contrôle. Leur mortalité à 60 jours était de 57% contre 41% pour les autres patients du groupe contrôle (RR = 1,39; 95% CI, 0,95 – 2,03).

Complications

Les patients du groupe ECMO ont présenté plus de thrombocytopénies et d’accidents hémorragiques. En revanche, les accidents vasculaires cérébraux ischémiques étaient plus fréquents dans le groupe contrôle.

Conclusion des auteurs

Dans les formes graves de SDRA, l’utilisation d’une stratégie basée sur un recours précoce à l’ECMO ne permet pas de diminuer la mortalité à 60 jours en comparaison à une stratégie de ventilation conventionnelle autorisant un recours plus tardif à l’ECMO en cas d’hypoxémie réfractaire.

Discussion

Le SDRA reste une pathologie associée à une très forte mortalité, malgré les importantes avancées des 20 dernières années comprenant notamment la ventilation protectrice et le réglage de la PEP [3], la curarisation de courte durée [4], le contrôle de la balance hydrosodée [5] ou le recours au décubitus ventral [6]. Les avancées technologiques dans le domaine de la circulation extracorporelle ont remis l’ECMO au gout du jour dans cette indication, avec des succès cliniques attestés par tous les utilisateurs, ainsi que dans certaines études observationnelles et un essai randomisé anglais [1]. Schmidt et coll. [7] ont même récemment proposé un score (PRESERVE) permettant d’identifier les patients chez qui l’ECMO pourrait s’avérer bénéfique.

Néanmoins, il reste actuellement difficile de choisir chez qui et surtout à quel moment passer d’une stratégie de prise en charge conventionnelle du SDRA à la mise sous ECMO veino-veineuse.

Points forts

  • Pertinence clinique de la question posée
  • Essai randomisé, multicentrique
  • Méthodologie analytique solide
  • Intention de traiter respectée
  • Critère de jugement primaire dur
  • 98% des patients (121 / 124) du groupe ECMO ont bien reçu le traitement
  • La stratégie de ventilation mécanique était standardisée et conforme aux recommandations dans le groupe contrôle
  • Inclusion de centres utilisateurs et non utilisateurs d’ECMO

Points faibles

  • Sous puissance en rapport avec
    • une mortalité observée très inférieure à la mortalité attendue lors du calcul de nombre de sujets nécessaires (dans le groupe contrôle, observée 46% vs. attendue 60%)
    • un arrêt prématuré pour franchissement de la borne de futilité. Si cet arrêt était justifié sur le plan de l’analyse statistique, il a participé à la limitation de la puissance, et donc à la difficulté d’interprétation des résultats
    • un « cross over » important, avec 28% des patients du groupe contrôle ayant finalement reçu une ECMO, ce qui peut avoir abouti à une dilution de l’effet de l’ECMO entre les 2 groupes.
  • Validité externe : plusieurs limites concernent la validité externe des résultats et donc la capacité à extrapoler ces résultats à la population générale des SDRA pris en charge en réanimation.
    • Seuls 249 patients ont été inclus en environ 60 mois dans 64 unités de réanimation, soit, en moyenne, 0.06 patients / mois / unité. Ceci est très inférieur à l’incidence du SDRA. Même en considérant le nombre de patients évalués pour éligibilité, ce chiffre reste inférieur. Ceci suggère l’existence d’une sélection des patients en amont des critères d’inclusion / non inclusion, rendant difficile l’identification de la population exacte chez qui ces résultats sont applicables.
    • Parmi les 1015 patients évalués pour éligibilité, 166 (16%) étaient déjà sous ECMO. Cela confirme qu’il existe bien un fort a priori des médecins en faveur de l’utilisation de l’ECMO chez une certaine catégorie de patients. Il est probable qu’il s’agisse de la catégorie de patients les plus répondeurs. Ainsi, ces patients ayant été exclus du collectif, il est probable que cela ait occasionné un biais de sélection en faveur de patients avec une probabilité de réponse moins importante, atténuant ainsi l’effet moyen de l’ECMO.
  • Pas de présentation d’analyse en per protocole, notamment pas d’analyse des patients du groupe contrôle ayant finalement bénéficié d’une ECMO en comparaison avec des patients du groupe ECMO de gravité comparable.
  • Faible taux d’utilisation du décubitus ventral avant randomisation malgré la sévérité du SDRA.

Ce qu’apporte cette étude ?

L’étude EOLIA a le mérite d’avoir tenté de répondre de manière pragmatique à un questionnement clinique légitime en réanimation, à savoir, quand proposer la mise en place d’une ECMO au cours du SDRA. Malgré la complexité de mener un essai randomisé dans ce contexte, EOLIA constitue un exemple d’essai clinique randomisé multicentrique en réanimation, conduit selon une méthodologie solide.

La problématique est d’avantage liée aux contraintes en termes de conclusions imposées par ce type d’essai et la méthodologie analytique ad hoc. En effet, il s’agit ici d’un exemple assez caricatural d’essai pour lequel, les « standards de l’analyse statistique » d’un essai randomisé obligent à conclure à l’absence de différence entre les 2 groupes, alors que beaucoup d’experts s’accordent à dire qu’il s’agit d’un essai positif en faveur de l’ECMO. En effet, sur le critère de jugement principal, il existe une nette tendance en faveur de l’ECMO, en dépit du manque de puissance et du nombre important de cross over depuis le groupe contrôle vers l’ECMO. De plus, les analyses secondaires, en particulier, le très pertinent critère d’échec du traitement, est très en faveur du groupe ECMO. Aussi, selon moi, en plus d’apporter un argument, certes non formel, en faveur d’une utilisation précoce de l’ECMO dans le SDRA, cette étude souligne, s’il en était besoin, la limite des essais randomisés dans ce contexte.

 

Références

[1] Peek GJ et al. Efficacy and economic assessment of conventional ventilatory support versus extracorporeal membrane oxygenation for severe adult respiratory failure (CESAR) : a multicenter randomized controlled trial. Lancet 2005; 374: 1351 – 1363

[2] Bernard GR et al. The American European Consensus Conference on ARDS: definitions, mechanisms, relevant outcomes, and clinical trial coordination. Am J Resp Crit Care Med 1994; 149: 818-824

[3] Mercat A et al. Positive end-expiratory pressure setting in adults with acute lung injury and acute respiratory distress syndrome: a randomized controlled trial. JAMA 2008; 299: 646-655

[4] Papazian L et al. Neuromuscular blockers in early acute respiratory distress syndrome. N Engl J Med 2010; 363: 1107-1116

[5] National Heart, Lung, and Blood Institute Acute Respiratory Distress Syndrome (ARDS) Clinical Trials Network. N Engl J Med 2006; 354: 2564-2575

[6] Guérin C et al. Prone positioning in severe acute respiratory distress syndrome. N Engl J Med 2013; 368: 2159-2168

[7] Schmidt M et al. The PRESERVE mortality risk score and analysis of long-term outcomes after extracorporeal membrane oxygenation for severe acute respiratory distress syndrome. Intensive Care Med 2013; 39: 1704-1713.