Commentaire à propos de la RFE commune SFAR/SRLF sur le contrôle ciblé de la température en réanimation.

 

Dr Jean-Christophe Orban 1, 2, 3

1 Réanimation Polyvalente, Hôpital Pasteur2, CHU de Nice

2 Comité Réanimation, Société Française d’Anesthésie et de Réanimation

3 Commission des IDE de Réanimation et Urgences, Société Française d’Anesthésie et de Réanimation
 
La température corporelle est une constante évoluant dans une fourchette étroite. L’évocation de la manipulation de la température a visée thérapeutique, en l’occurrence une hypothermie, est rapportée depuis longtemps. En effet, Hippocrate suggérait déjà qu’une influence thérapeutique de la température à l’aide de glace et de neige contribuait à soigner les blessures. Plus près de nous en 1959, un professeur d’anesthésie américain appelé Benson, rapportait l’utilisation d’une hypothermie après arrêt cardiaque 1. Enfin, l’hypothermie thérapeutique a connu un regain d’intérêt à la fin des années 1990 et surtout au début des années 2000 avec des études montrant un bénéfice en termes de devenir chez des patients victimes d’arrêt cardiaque. Ces travaux faisaient écho à des études ayant montré l’association entre hyperthermie et mauvais pronostic. L’abondance de la littérature ainsi que des résultats discordants ont rendu nécessaire une analyse méthodique afin d’établir des recommandations formalisées. Celles-ci ont été menées conjointement par la Société Française d’Anesthésie-Réanimation (SFAR) et de la Société de Réanimation de Langue Française (SRLF), en collaboration avec plusieurs autres sociétés savantes (ANARLF, SFMU, GFRUP et SFNV). Elles sont disponibles sur le site internet de la SFAR (www.sfar.org) 2 et publiées dans les journaux anglophones des deux sociétés savantes 3,4.

Actuellement on parle plus volontiers de contrôle ciblé de la température ou CCT plutôt que d’hypothermie thérapeutique. En effet, le contrôle de la température peut avoir pour but de prévenir une hyperthermie en maintenant une normothermie ou d’obtenir une hypothermie pendant temps déterminé. Habituellement, ce traitement comporte plusieurs phases: une induction, un maintien et un réchauffement. Une fois ce propos liminaire posé, les questions principales seront abordées d’un point de vue pratique.

Pour quels patients proposer un CCT ?

Les premières études évaluant l’intérêt de l’hypothermie thérapeutique se sont intéressées aux patients ayant présenté un arrêt cardiaque extra-hospitalier sur rythme chocable (fibrillation ou tachycardie ventriculaire) 5,6. Les premières recommandations s’appliquaient naturellement à cette population très sélectionnée. Secondairement, bien qu’un bénéfice soit moins évident, il a été recommandé de pratiquer un CCT aussi pour les patients dont le rythme initial était un rythme non chocable (asystolie). Enfin, les recommandations se sont aussi étendues aux patients ayant présenté un arrêt cardiaque intra-hospitalier malgré le faible niveau de preuves bien que le niveau de preuve soit insuffisant. Au total, le CCT est recommandé pour tout arrêt cardiaque, quel que soit le rythme initial et qu’il soit extra ou intra-hospitalier.

Quand débuter un CCT ?

Des données expérimentales suggèrent qu’une initiation précoce du contrôle ciblé de la température, voire même durant l’arrêt cardiaque, serait plus bénéfique. Ainsi des études se sont intéressées à la réanimation pré-hospitalière, dès la reprise d’une activité cardiaque spontanée. La méthode la plus couramment appliquée dans ce contexte était la perfusion de sérum salé froid. La dernière grande étude sur le sujet n’a pas retrouvé de bénéfice en termes de pronostic avec cette méthode alors qu’elle expose à plus de complications 7. C’est pourquoi, la perfusion de sérum salé en pré-hospitalier n’est pas recommandée pour induire un contrôle ciblé de la température. Par contre, il est possible que d’autres méthodes soient bénéfiques dans cette indication.

Quelles méthodes utiliser pour obtenir un CCT?

Il existe plusieurs méthodes pour obtenir une hypothermie thérapeutique ou un contrôle thermique. On différencie habituellement les méthodes externes et internes ainsi que les méthodes asservies à la température ou non. Les méthodes externes reposent principalement sur un glaçage, un tunnel glacé, des draps mouillés… Les méthodes internes consistent principalement en la perfusion de soluté froid, l’instillation d’un gaz froid dans les voies aériennes supérieures ou la circulation d’un soluté froid dans un cathéter central. Les méthodes asservies à la température du patient prennent en compte en permanence celle-ci afin de le réchauffer ou le refroidir en fonction de la cible souhaitée. Elles peuvent être interne (cathéter central dédié) ou externe (matelas avec circulation de liquide froid). Il n’existe pas de différence en termes de devenir entre les méthodes interne et externe. C’est aussi le cas entre les méthodes asservies ou non à la température du patient 8. Cependant, les méthodes asservies permettent un maintien d’une température cible plus stable évitant ainsi les phénomènes de sur et sous-refroidissement. Ces permettent aussi de réduire la charge de travail des IDE. Il est donc recommandé d’utiliser ces méthodes lorsqu’on pratique un CCT.

Quelle température viser pour un CCT?

Les premières études ont suggéré un bénéfice lors de la réalisation d’une hypothermie comprise entre 32 et 34°C 5,6. Cependant, ces résultats ont été contestés, arguant du fait que le groupe contrôle de ces études présentait une hyperthermie plus qu’une normothermie. C’est pourquoi une étude récente a comparé une hypothermie à 33°C par rapport à une normothermie à 36°C sur le devenir neurologique 9. Celle-ci n’a retrouvé aucune différence entre ces 2 stratégies. Afin de concilier tous ces résultats et surtout pour éviter l’hyperthermie associée à un mauvais pronostic, la recommandation actuelle propose de pratiquer un contrôle ciblé de la température entre 32 et 36°C.

Quelle surveillance instaurer lors d’un CCT?

A partir du moment où l’on contrôle étroitement la température, il faut obtenir une mesure fiable de ce paramètre, au mieux une température corrélée à celle du cerveau. Plusieurs sites de mesure sont possibles, certains sont dits centraux (pulmonaire, rectal, vésical et oesophagien) et d’autres périphériques (cutané et tympanique). Différentes études ont montré une excellente corrélation entre les sites centraux alors que les sites périphériques montraient une moins bonne corrélation. Au final, il est recommandé d’utiliser une mesure centrale de la température lorsqu’on pratique un CCT.

L’hypothermie a été associée à la survenue de complications limitant ainsi son utilisation. Il s’agit principalement d’infections, d’hypokaliémie et de troubles rythmiques. Il faut donc surveiller étroitement les patients à la recherche de ces complications.

En résumé, il est recommandé de :

  • pratiquer un CCT en réanimation pour tous les patients comateux après arrêt cardiaque réanimé
  • viser une température cible comprise entre 32 et 36°C
  • ne pas utiliser du sérum salé froid en pré-hospitalier
  • d’utiliser des méthodes asservies à la température du patient, qu’elles soient externes ou internes
  • surveiller la température en site central
  • identifier la survenue de complications, principalement infectieuses et rythmiques

 

Références principales

  1. Benson DW, Williams GR, Spencer FC, Yates AJ. The use of hypothermia after cardiac arrest. Anesth analg 1959; 38:423-428.
  2. Cariou A, Payen J-F, Asehnoune K, et al. Contrôle ciblé de la température en réanimation (hors nouveau né) disponible sur : https://sfar.org/controle-cible-de-la-temperature-en-reanimation-hors-nouveau-nes/
  3. Cariou A, Payen J-F, Asehnoune K, et al. Targeted temperature management in the ICU: guidelines from a French expert panel. Anaesth Crit Care Pain Med 2017, in press doi:10.1016/j.accpm.2017.06.003.
  4. Cariou A, Payen J-F, Asehnoune K, et al. Targeted temperature management in the ICU: guidelines from a French expert panel. Ann Intensive Care 2017, in press doi:10.1186/s13613-017-0294-1.
  5. Bernard SA, Gray TW, Buist MD, et al. Treatment of comatose survivors of out-of-hospital cardiac arrest with induced hypothermia. N Engl J Med 2002; 346:557-563. doi:10.1056/NEJMoa003289.
  6. Hypothermia after Cardiac Arrest Study Group. Mild therapeutic hypothermia to improve the neurologic outcome after cardiac arrest. N Engl J Med 2002; 346:549-556. doi:10.1056/NEJMoa012689.
  7. Kim F, Nichol G, Maynard C, et al. Effect of prehospital induction of mild hypothermia on survival and neurological status among adults with cardiac arrest. JAMA 2014; 311:45-48. doi:10.1001/jama.2013.282173.
  8. Deye N, Cariou A, Girardie P, Pichon N, Megarbane B. Endovascular versus external targeted temperature management for patients with out-of-hospital cardiac arrest. Circulation 2015; 132:182-93. doi:10.1161/CIRCULATIONAHA.114.012805/-/DC1.
  9. Nielsen N, Wetterslev J, Cronberg T, et al. Targeted temperature management at 33°C versus 36°C after cardiac arrest. N Engl J Med 2013; 369:2197-2206. doi:10.1056/NEJMoa1310519.