Mis en ligne le 22 mai 2017
Article du mois

Incidence of severe critical events in paediatric anaesthesia (APRICOT): a prospective multicentre observational study in 261 hospitals in Europe

Walid Habre, Nicola Disma, Katalin Virag, Karin Becke, Tom G Hansen, Martin Jöhr, Brigitte Leva, Neil S Morton, Petronella M Vermeulen, Marzena Zielinska, Krisztina Boda, Francis Veyckemans, for the APRICOT Group of the European Society of Anaesthesiology Lancet Respiratory Medecine. Online Marsh 28 2017.

Par le Pr Souhayl DAHMANI, pour le comité scientifique de la Société Française d’Anesthésie et de Réanimation.

Position du problème :

De nombreuses études ont été réalisées afin de déterminer l’incidence et les facteurs de risque des complications périopératoires en anesthésie pédiatrique, la logique sous-tendant ces démarches étant bien entendu la prévention de ces complications et la diminution de leur incidence. La majorité des ces études ont été réalisées dans les pays anglo-saxons (Etats-Unis, Nouvelle Zélande et Australie)(1,2), la dernière étude Européenne étant Française et datant de 2004 (3). En conséquence, leur interprétation dans le contexte national ou Européen est très délicate compte-tenu des modalités d’organisation qui sont différentes entre les pays. C’est dans ce contexte que l’étude APRICOT a été pensée, afin de répondre sur un grand effectif de patients à la question des complications périopératoires survenant dans le contexte pédiatrique en Europe.

Méthode :

Cette étude a consisté en un recueil prospectif de données périopératoires (jusqu’à J90) dans 261 centres répartis dans 33 pays Européens. Chaque centre devait entrer les données de tous les patients ayant reçu une anesthésie sur une période de 2 semaines de son choix. Les données recueillies consistaient en ; données démographiques, antécédents, évaluation préopératoire, conditions de réalisation des anesthésies, complications périopératoires. Ont été définis comme évènements critiques la survenue de : laryngospasme, bronchospasme, inhalation, erreurs médicamenteuses, réactions anaphylactiques, survenue d’instabilité cardio-vasculaire (nécessitant une intervention thérapeutique) ou d’un arrêt cardiaque, séquelles neurologiques consécutive à un accident respiratoire ou cardiaque, survenue d’un stridor après anesthésie. En se basant sur les précédentes études, un effectif de 25 000 patients avait été calculé pour une incidence minimale d’évènements critiques de 0,1 %.

Résultats :

L’étude a inclus 30 874 participants ayant bénéficié de 31 127 actes anesthésiques. L’âge moyen était de 6,35 ± 4,5 ans et la population était répartie en : 361 (1,2%) nouveau-nés, 2912 (9,4%) nourrissons (28 jours à 1 an), 13463 (43,6%) enfants d’âge préscolaire (1 à 5 ans), 9229 (29,9%) enfants d’âge scolaire (6 à 12 ans) et 4908 (15,9%) adolescents (13 à 15 ans). L’incidence globale des évènements critiques périopératoires était de 5,2% (IC 95% 5,0–5,5) et était plus fréquente au cours des anesthésies générales qu’au cours des sédations hors bloc (imagerie). Ces évènements se répartissaient en complications respiratoires 3,1% (IC 95% 2,9–3,3 %) et instabilité cardio-vasculaire 1,9% (1,7–2,1 %). Dans 17,3% de ces cas, ces évènements aboutissaient à la nécessité d’une prise en charge prolongée en SSPI ou à l’hôpital. Au total 10 arrêts cardiaques sont survenus (0,03 (IC 95% 0,01-0,05)) dont 4 d’origine respiratoire et les 6 autres par instabilité hémodynamique. A 30 jours, 3 de ces patients étaient décédés et 3 autres étaient encore à l’hôpital. La mortalité globale à 30 jours était de 30 patients (0,1 [IC 95 % 0,07 à 0,14] %) et aucun de ces décès n’était imputable directement à l’anesthésie.

Les facteurs retrouvés comme prédictifs de la survenue de complications périopératoires étaient : l’âge (et tout particulièrement l’âge < 1 an), le score ASA plus élevé, les équipes non-dédiées pour les scores ASA 3 à 5 (mais non pour les scores ASA 1 et 2). Les facteurs prédictifs de complications respiratoires critiques étaient : l’âge jeune, l’inflammation aigue ou chronique des voies aériennes et la condition physiques des enfants (définie par : prématurité, fièvre, handicap, ronflement nocturne, prise de traitement et ASA > 2) ; la présence d’un anesthésiste pédiatre expérimenté dans l’équipe diminuait la survenue de ces complications respiratoires. Les facteurs de risques des évènements cardio-vasculaires étaient : l’anesthésie pour actes chirurgicaux (et particulièrement la chirurgie cardiaque) et l’état physique des patients ; la présence d’un anesthésiste pédiatre expérimenté dans l’équipe diminuait la survenue de ces complications cardio-vasculaires.

A noter la faible prévalence des accidents anaphylactiques (3 cas : 0,01 (IC 95 % 0,002-0,025) %) dont aucun n’a été attribué à une curarisation (qui était réalisée chez 3867 patients au cours de l’induction). Parallèlement, la curarisation semblait diminuer l’incidence du bronchospasme.

Cette étude reportait enfin une grande hétérogénéité dans les pratiques anesthésiques et l’incidence des complications en fonction des pays et, fait très intéressant, l’incidence des complications diminuait avec le volume d’actes pratiqués par l’équipe.

Discussion :

Cette étude est intéressante à plusieurs niveaux. Elle montre une incidence plus élevée des complications périopératoires que les précédentes études réalisées sur le même sujet, probablement du fait du recueil systématique (à l’inverse du recueil déclaratif des précédentes études)(1,2). Les facteurs prédictifs des complications respiratoires et hémodynamiques retrouvés dans cette étude sont tous connus. Toutefois, cette étude apporte un éclairage important sur les modalités d’organisation de la prise en charge des patients pédiatriques : ces complications sont dépendantes du volume d’activité pédiatrique réalisé dans l’institution (moins de complications dans les institutions avec plus de cas réalisés), de la présence d’anesthésistes expérimentés (facteur associé à une baisse des complications). En outre, ces complications sont beaucoup plus fréquentes chez les enfants de moins de 3 à 3,5 ans. Les auteurs suggèrent donc que ces patients soient pris en charge dans des structures spécialisées afin d’espérer diminuer ces complications. Il en est de même pour les patients présentant une comorbidité telle que définie dans l’étude (prématurité, fièvre, handicap, ronflement nocturne, prise de traitement et ASA > 2).

Il est également intéressant de noter que la curarisation à l’induction de l’anesthésie semble diminuer l’incidence des complications respiratoires (en plus de faciliter l’intubation trachéale (4)) sans conduire à des réactions adverses souvent à l’origine des craintes concernant ces produits.

Ce commentaire ne saurait à lui seul résumer toutes les données de cette étude qui recèle un volume supplémentaire de données très intéressante que nous conseillons la lecture.

Nous espérons bientôt avoir les données nationales afin de les analyser et pouvoir déterminer les individualités nationales ainsi que les facteurs organisationnels à même d’améliorer nos pratiques…. Surtout que la France est le second recruteur pour cette étude avec 3559 patients inclus.

Références Bibliographiques

  1. Von Ungern-Sternberg BS, Boda K, Chambers NA, Rebmann C, Johnson C, Sly PD, et al. Risk assessment for respiratory complications in paediatric anaesthesia: a prospective cohort study. Lancet Lond Engl. 2010 Sep 4;376(9743):773–83.
  2. Flick RP, Sprung J, Harrison TE, Gleich SJ, Schroeder DR, Hanson AC, et al. Perioperative cardiac arrests in children between 1988 and 2005 at a tertiary referral center: a study of 92,881 patients. Anesthesiology. 2007 Feb;106(2):226–37; quiz 413–4.
  3. Murat I, Constant I, Maud’huy H. Perioperative anaesthetic morbidity in children: a database of 24,165 anaesthetics over a 30-month period. Paediatr Anaesth. 2004 Feb;14(2):158–66.
  4. Julien-Marsollier F, Michelet D, Bellon M, Horlin A-L, Devys J-M, Dahmani S. Muscle relaxation for tracheal intubation during paediatric anaesthesia: A meta-analysis and trial sequential analysis. Eur J Anaesthesiol. 2017 Feb 17;