Mis en ligne le 28 novembre 2016
Article du mois

Memtsoudis et al, Pain 2016

Hélène Beloeil, pour le Comité Scientifique de la SFAR

Contexte : L’exploitation de registres informatiques exhaustifs contenant les informations médicales de plusieurs millions de patients permet, aujourd’hui, d’apporter des réponses avec un haut niveau de preuve à des questions cliniques. En effet, la puissance statistique associée à ces études de registres permet d’atteindre la granularité ; c’est à dire d’étudier des évènements peu fréquents voire rares. L’étude de l’impact de l’analgésie/anesthésie loco-régionale sur les complications après chirurgie bénéficie de l’exploitation de ces registres. Une étude récente sur plus de 100 000 patients a ainsi montré une réduction de mortalité au décours de la chirurgie articulaire de genou ou de hanche avec une rachianesthésie (Perlas et al. Anesthesiology 2016). Il n’existe pas d’étude de cette ampleur concernant les blocs nerveux périphériques (BNP).

Objectif : Etudier l’association entre l’utilisation d’un BNP et le devenir des patients en utilisant un registre de 1 062 152 patients opérés de prothèse totale de hanche (PTH) ou de genou (PTG) entre 2006 et 2013.

Matériel et méthodes : L’ensemble des patients opérés de PTG et/ou PTH entre 2006 et 2013 et enregistrés dans le registre « premier perspective database (premier Inc. Charlotte, NC, USA) ont été inclus. Les complications étudiées et définies avant l’analyse étaient les suivantes : cardiaques, pulmonaires, gastro-intestinales, rénales, cérébro-vasculaires, thrombo-emboliques, infectieuses, chute, décès. Chacune des complications a été considérée séparément et également regroupée au sein d’un item général « complications ». En l’absence de données dans la littérature sur le sujet, les auteurs ont considéré qu’une réduction de 10% de l’incidence d’un événement était cliniquement pertinente. Le biais potentiel de sélection secondaire aux comorbidités a été pris en compte et les données ajustées à l’aide de la méthode de Quan et l’index de Deyo-Charlson (Quan et al. Med Care 2005). Un modèle de régression à plusieurs niveaux et un calcul de score de propension ont été utilisés pour l’analyse statistique.

Résultats : Parmi les 1 062 152 patients inclus, 342 726 ont bénéficié d’une PTH et 719 426 d’une PTG. L’utilisation d’un BNP n’était pas très fréquente et augmentait avec le temps de 10.5 % en 2006 à 19.6% en 2013 pour les PTG et de 4.4 % en 2006 à 8.9 % en 2013 pour les PTH. Le résultat principal est une incidence significativement réduite des complications chez les patients ayant bénéficié d’un BNP vs ceux qui n’en n’ont pas eu. La mortalité était non significativement différente entre les 2 groupes (0.1%). Après ajustement des variables et régression statistique, les résultats sont les suivants :
PTH : réduction des complications (OR IC 95%= 0.79 (0.73-0.86)) en général et plus spécifiquement gastrointestinales, rénales, infectieuses, de paroi, chutes et admission en réanimation. Il existait également une réduction de la consommation de morphine – 16% (IC 95% (14.8-17.6), de la durée de séjour (-8% IC 95% (7.5-8.5)) et du coût de l’hospitalisation (-0.8 % IC 95% (0.1-1.5)).
PTG : réduction des complications (OR IC 95%= 0.96 (0.92-1)) en général et plus spécifiquement pulmonaires. Aucune différence n’était retrouvée pour le risque de chutes et la durée de séjour. Il existait également une réduction de la consommation de morphine de – 13% (IC 95% (12.1-13.3). Le coût de l’hospitalisation était supérieur avec un BNP de +2.8% (IC95% 2.5-3.2%).
L’application de scores de propension confirme le résultat principal : les patients ayant bénéficié d’un BNP présentent moins de complications postopératoires ; ceci est particulièrement significatif pour la PTH.
Conclusion des auteurs : Malgré une faible utilisation des BNP, l’étude met en évidence un bénéfice à leur utilisation au cours de la chirurgie prothétique de genou et de hanche avec une réduction du risque de complications postopératoires.

Discussion : Les résultats n’étaient pas attendus notamment pour la PTH. En effet, la plupart des études antérieures ayant testé l’intérêt de différents BNP en comparaison à une analgésie systémique n’ont pas mis en évidence de bénéfice analgésique. L’utilisation de BNP pour l’analgésie de PTH n’est pas formellement recommandée par les sociétés savantes et les pratiques sont très variables. Ces résultats, mettant en évidence un risque moindre de complications, reposent la question de l’intérêt d’un BNP dans la prise en charge des PTH. En effet, non seulement les complications sont moins fréquentes mais la durée de séjour, le coût du séjour et la consommation de morphine sont également réduits. Ces éléments sont des clés importantes des parcours de réhabilitation rapide. Lors de ces parcours, les BNP sont parfois abandonnés en raison du risque de chute et/ou de bloc moteur trop important. Les résultats de l’étude confirment le bénéfice des BNP sans augmentation du risque de chute. Pour les PTG, les résultats sont moins surprenants mais aussi moins spectaculaires, se limitant à un bénéfice sur les complications et la consommation de morphine.

Points forts : Il s’agit d’une grande étude de cohorte ayant inclus un très grand nombre de patients. Le registre utilisé inclut plus de 3000 hôpitaux américains. Les données sont validées et peuvent être considérées comme robustes. Les biais potentiels de sélection secondaires aux comorbidités ont été pris en compte et les données ajustées. La méthodologie est robuste.

Points faibles : Ce sont ceux de toute étude de registre. Le lien de causalité entre BNP et complications ne peut être formel, il est seulement suggéré. Beaucoup d’informations sont manquantes, parmi lesquelles on peut citer le type d’analgésie systémique associée, le type d’abord chirurgical, le type de BNP utilisé ou l’existence ou non d’un cathéter périnerveux.
Conclusion de l’analyse : Cette étude est la première étude de cette ampleur montrant un bénéfice à l’utilisation des BNP dans la chirurgie prothétique de genou et de hanche. Ces résultats renforcent le message sur l’utilisation de l’ALR sans risque de chute. Enfin, ils reposent la question d’un BNP systématique lors de la chirurgie de PTH. D’autres études sont nécessaires pour préciser quels BNP doivent être réalisés et avec quelles modalités.