Mis en ligne le 6 juin 2016
Article du mois
Samir Jaber et al. for the NIVAS study group – JAMA 2016; 315:1345-1353
Analyse faite par Emmanuel FUTIER (CHU de Clermont-Ferrand) pour le comité scientifique de la SFAR.
Introduction
Les complications pulmonaires postopératoires, tout particulièrement la nécessité d’une ré-intubation en raison d’une insuffisance respiratoire aigue (IRA) postopératoire, sont responsables d’un allongement de la durée d’hospitalisation et d’une morbi-mortalité postopératoire extrêmement importante conditionnant le pronostic du patient chirurgical à court et moyen termes.
La ventilation non-invasive (VNI) est fréquemment utilisée à visée prophylactique (ou préventive) en postopératoire de chirurgies abdominales ou thoraciques en raison des modifications de la fonction ventilatoire qu’elles associent afin de limiter le risque d’apparition d’une IRA postopératoire. En revanche, il n’existe que peu de données soutenant l’utilisation de la VNI à visée curative, avec comme objectif principal d’éviter une intubation trachéale et de réduire la morbidité chez des patients présentant une IRA hypoxémique postopératoire.
Objectifs de l’étude
Évaluer si une utilisation de la VNI chez des patients présentant une IRA hypoxémique après une chirurgie abdominale peut permettre de prévenir une intubation trachéale et le recours à une ventilation mécanique invasive par comparaison à une oxygénothérapie conventionnelle.
Matériels et méthode
Étude prospective randomisée multicentrique menée entre Mai 2013 et Septembre 2014 dans 20 services de réanimation français. Les patients adultes opérés d’une chirurgie abdominale réglée ou non-réglée sous anesthésie générale étaient éligibles s’ils présentaient, dans les 7 jours postopératoires, une IRA hypoxémique définie par une PaO2 < 60 mmHg en air ambiant (ou < 80 mmHg sous oxygénothérapie à 15 l/min ou une SpO2 < 90% en air ambiant) et soit une fréquence respiratoire > 30 c/min soit des signes cliniques évocateurs d’une détresse respiratoire (balancement thoraco-abdominal, …).
Les patients relevant d’une intubation trachéale immédiate ainsi que ceux présentant une syndrome d’apnée du sommeil et ceux relevant d’une ré-intervention chirurgicale urgente n’étaient pas éligibles pour inclusion.
Les patients étaient randomisés (stratification sur le centre investigateur, un âge supérieur ou inférieur à 60 ans, une chirurgie sus- ou sous-mésocolique et l’utilisation ou non d’une analgésie péridurale postopératoire) en 2 groupes :
- Groupe VNI : utilisation d’un masque facial et d’un ventilateur dédié dont les réglages (pressions inspiratoires et expiratoires) étaient adaptés afin d’obtenir un volume courant expiré entre 6 et 8 ml/kg de poids prédit et une fréquence ventilatoire < 25 c/min. Une PEP maximale de 10 cmH2O était utilisée et la FiO2 réglée afin de maintenir une SpO2 ≥ 94%. La VNI devait être appliquée pendant un minimum de 6 heures, consécutives ou non, pendant les premières 24 heures. Une oxygénothérapie conventionnelle était utilisée entre les séances et une oxygénothérapie nasale à haut débit n’était pas permise.
- Groupe oxygénothérapie conventionnelle dont le débit (jusqu’à un maximum de 15 l/min) était adapté afin de maintenir une SpO2 ≥ 94%.
Le critère de jugement principal était la survenue d’une ré-intubation, qu’elle qu’en soit la cause, dans les 7 jours après randomisation. Les critères préétablis de ré-intubation étaient clairement définis.
Résultats principaux
Un total de 535 patients présentaient les critères d’éligibilité pendant la période d’inclusion, parmi lesquels 300 ont été randomisés (n = 150 patients dans le groupe VNI et n = 150 patients dans le groupe oxygénothérapie conventionnelle). Les données de 293 patients étaient disponibles pour l’analyse du critère de jugement principal. La distribution des principales caractéristiques démographiques avant randomisation, de même que les caractéristiques chirurgicales et les causes de l’IRA hypoxémique au moment de la randomisation, était homogène entre les 2 groupes. Le rapport PaO2/FiO2 était de 201 ± 69 et de 188 ± 71 et la PaCO2 de 39 ± 7 mmHg et 37±7 mmHg dans les groupes VNI et oxygénothérapie conventionnelle, respectivement. Dans le groupe oxygénothérapie conventionnelle, le débit moyen d’oxygène initial administré était de 10,4 ± 5,1 l/min. Dans le groupe VNI, les réglages initiaux moyens étaient les suivants : pression inspiratoire de 6,7 ± 2,9 cmH2O, pression de fin d’expiration positive (PEP) de 5,4 ± 1,3 cmH2O (pour un VT expiré de 8,3 ± 3,1 ml/kg de poids prédit) et une FiO2 de 50 ± 16%.
Sur les 293 patients inclus dans l’analyse en intention de traiter, une ré-intubation a été nécessaire dans les 7 jours après randomisation pour 49 des 148 patients (33,1%) du groupe VNI et pour 66 des 145 patients (45,5%) du groupe oxygénothérapie conventionnelle (différence absolue -12.4%; intervalle de confiance [IC] 95% CI −23,5% à −1,3%; P = 0,03). Il n’existait pas de différences statistiquement significatives entre les groupes concernant les intervalles de temps inclusion jusqu’à ré-intubation, extubation postopératoire jusqu’à ré-intubation et début de l’IRA jusqu’à ré-intubation. Dans l’analyse en intention de traiter modifiée, incluant tous les patients à l’exception de ceux ayant été ré-intubés pour une ré-intervention chirurgicale, une ré-intubation était réalisée pour 33 des 132 patients (25,0%) dans le groupe VNI et pour 50 des 129 patients (38,8%) dans le groupe oxygénothérapie conventionnelle (P = 0,02).
Parmi les critères de jugement secondaires évalués, les patients du groupe VNI présentaient également une moindre durée de ventilation mécanique invasive, un nombre de jours sans ventilation mécanique plus important et une incidence moindre de pneumopathies à J7 et J30 après randomisation. Il n’existait pas de différence statistiquement significative de durée d’hospitalisation en réanimation et de mortalité à J30 (10,1% versus 15,3% ; différence absolue −5,04 [−13,32 à 3,24] ; p = 0,20) et J90 (14,9% versus 21,5% ; différence absolue −6,51 [−15,99 à 2,96] ; p = 0,15) entre les groupes VNI et oxygénothérapie conventionnelle.
Points forts
- Première étude multicentrique randomisée démontrant non seulement l’intérêt de la VNI en terme de réduction du risque de ré-intubation trachéale mais également en terme d’infections associées aux soins (tout particulièrement de pneumopathie) chez des patients présentant une IRA hypoxémique en postopératoire d’une chirurgie abdominale.
- L’un des points essentiels de cette étude repose sur les objectifs raisonnables et raisonnés des réglages de la VNI (cible de VT expiré établie entre 6 et 8 ml/kg de poids prédit). Bien qu’il n’existe pas de recommandations formalisées quant aux réglages optimaux de la VNI, une assistance trop importante expose aux risques d’asynchronisme patient-ventilateur et d’échec de la thérapeutique. De même, il convient de garder à l’esprit que la VNI était utilisée pendant un minimum de 6 heures pendant les 24 premières heures de traitement.
- Taille importante de l’échantillon analysé (n = 300 patients)
- Définition à priori des critères de ré-intubation permettant 1) de limiter le risque de ré-intubation tardive (précédemment identifié comme un risque majeur de la VNI lors d’utilisation non raisonnée) et 2) d’homogénéiser la stratégie de soins entre les centres investigateurs.
- Prise en compte de facteurs confondants potentiels par une stratification sur les centres investigateurs ainsi que certains facteurs ayant préalablement été identifiés comme pouvant être associés avec une incidence accrue d’IRA postopératoire et de ré-intubation (chirurgie sus-mésocolique versus sous-mésocolique, analgésie péridurale versus non-péridurale).
Points faibles
- En dépit de la randomisation, une proportion un peu plus élevée de patients présentant une bronchopathie chronique obstructive est observée dans le groupe VNI (19,6% versus 12,6%), ce léger déséquilibre pouvant être à l’origine d’un meilleur pronostic dans la VNI.
- Au même titre que pour toutes les études comparant deux modalités d’assistance ventilatoire, et même si les investigateurs ne prenaient pas part aux décisions cliniques dans les centres investigateurs, l’aveugle des cliniciens ne pouvant bien évidemment pas être obtenu, l’existence de biais potentiels ne peut être formellement exclue.
Que retenir ?
L’incidence de l’IRA hypoxémique demeure une problématique fréquente en postopératoire de chirurgie abdominale et est responsable d’une morbi-mortalité très importante (mortalité globale de 12,7% à J30 dans l’étude, en accord avec les données actuelles de la littérature). En dépit de la tendance actuelle visant à suppléer la VNI par des thérapeutiques alternatives plus simples à mettre en place, la VNI n’est pas morte et enterrée et reste une thérapeutique efficace de l’IRA hypoxémique. Il n’existe pas actuellement de données supportant l’utilisation de l’oxygénothérapie nasale à haut débit en postopératoire de chirurgie abdominale, particulièrement en contexte d’insuffisance respiratoire aigue. Si certains regretteront probablement le choix de l’oxygénothérapie conventionnelle au masque facial à celui d’une utilisation de l’oxygénothérapie nasale à haut débit voire d’une association de ces deux thérapeutiques, cette étude multicentrique française rapporte pour la première fois qu’une utilisation bien conduite de la VNI est efficace pour limiter le risque de ré-intubation en postopératoire.
Afin d’éviter les écueils identifiés dans certains travaux précédents, il convient de rappeler et de garder à l’esprit 1) que le traitement étiologique de l’IRA postopératoire est essentiel et qu’à cet effet une complication chirurgicale justifiant d’une ré-intervention doit être éliminée et 2) que la VNI doit être interrompue en l’absence d’amélioration clinique afin de ne pas retarder dangereusement une ré-intubation.