Mis en ligne le 23 juin 2017
Article du mois

Effect of early tranexamic acid administration on mortality, hysterectomy, and other morbidities in women with post-partum haemorrhage (WOMAN):

an international, randomised, double-blind, placebo-controlled trial

WOMAN Trial Collaborators. Lancet 2017;389:2105-16.

Par Anne-Sophie Ducloy-Bouthors et Anne Godier pour le Comité Scientifique de la SFAR

Contexte :

L’hémorragie du post-partum (HPP) est l’une des complications obstétricales les plus redoutées. Elle est définie par une perte de sang supérieure à 500 ml dans les 24h suivant l’accouchement, quel que soit le mode d’accouchement. Elle concerne 5 à 10% des accouchements et représente la première cause de mortalité maternelle, considérée comme majoritairement évitable (1).

Si la prise en charge initiale de l’HPP par l’anesthésiste réanimateur inclut l’administration d’utérotoniques (oxytocine puis sulprostone), la transfusion de concentrés érythrocytaires, l’expansion volémique pour le maintien de l’hémodynamique, l’oxygénothérapie et la prévention de l’hypothermie, en parallèle à la prise en charge obstétricale, la place de l’acide tranéxamique (ATX) a longtemps été débattue. En effet, si l’efficacité et la sécurité de l’ATX sont bien établies en chirurgie (2) et en traumatologie (3,4), les preuves manquaient dans l’HPP. WOMAN les apporte enfin (5).

Objectif : L’objectif de l’essai WOMAN (5) était d’évaluer si l’administration précoce d’acide tranéxamique permettait de réduire la mortalité et les hystérectomies chez des femmes présentant une HPP.

Méthodologie :

WOMAN est un essai randomisé, en double aveugle, contre placebo mené dans 193 hôpitaux de 21 pays, majoritairement en voie de développement (seules 500 des 20060 patientes ont été incluses au Royaume Uni). Etaient incluses des femmes de plus de 16 ans présentant une HHP clinique. Elles étaient randomisées pour recevoir 1g d’ATX ou un placebo, renouvelables une fois en 24 h.

Le critère de jugement principal était un critère composite associant mortalité maternelle globale et hystérectomie dans les 42 jours suivant la randomisation. Les critères secondaires incluaient la mortalité, la mortalité par hémorragie, le recours à la chirurgie pour hémostase et des critères de sécurité, et en particulier les évènements thromboemboliques.

Un point important est à noter : l’effectif initialement prévu de 15000 patientes a été augmenté à 20000 patientes en cours d’étude. En effet, les investigateurs ont constaté que les cliniciens prenant en charge une HPP décidaient parfois dans le même temps de réaliser une hystérectomie et d’inclure la patiente dans l’étude. L’ATX ne pouvait donc plus modifier le risque d’hystérectomie. L’effectif a donc été augmenté pour pouvoir montrer une réduction de mortalité de 25% liée à l’ATX en compensant la dilution de l’effet potentiel du traitement liée aux hystérectomies déjà réalisées en même temps que les inclusions.

Résultats :

20060 parturientes présentant une HPP compliquant un accouchement (71%) ou une césarienne (29%) ont été incluses entre 2010 et 2016.

Le critère de jugement principal associant mortalité globale et hystérectomie n’était pas modifié par l’ATX (5,3% vs 5,5% ; RR 0,97, IC95% 0,87-1,09; p=0,65). Analysés séparément, ni la mortalité globale (2,3% vs 2,6%; RR 0,88, IC95% 0,74–1,05; p=0,16) ni le recours à l’hystérectomie (3,6% vs 3,5% RR 1,02, IC95% 0,88-1,07; p=0,84) n’étaient diminués par l’ATX.

Cependant, l’ATX réduisait la mortalité par hémorragie comparativement au placebo (155/10036 (1,5%) vs 191/9985 (1.9%), RR 0,81[0,65-1,00], p=0,045), en particulier si le traitement était administré entre la première et la troisième heure (1,2% vs 1,7% ; 0.69 [0,52-0,91] p=0,008). Le nombre de laparotomies d’hémostase était lui aussi réduit dés la première heure. La mortalité d’origine autre que l’hémorragie n’est pas modifiée (72 (0,72%) vs 65 (0,65%)).

Enfin, les effets secondaires étaient comparables dans les 2 groupes. En particulier, il n’y avait pas d’augmentation des convulsions (0,3% vs 0,4%) ni des évènements thrombotiques (0.1% vs 0.1%) ni des défaillances d’organe (0,3% vs 0,2%) ni des insuffisances rénales (1,3% vs 1,2%).

Discussion

Les données connues :

L’ATX diminue le saignement par opératoire et le besoin transfusionnel au cours de l’hémorragie massive de la chirurgie majeure et du trauma (2-4). Administré de façon prophylactique avant une césarienne non hémorragique, il réduit le saignement mais ne réduit le besoin transfusionnel que chez les patientes ayant une anémie prépartum (6-8). Au cours de l’hémorragie du postpartum active après accouchement par voie basse, une forte dose de 4g en une heure puis 1g/h pendant 6h réduit significativement le volume et la durée de l’hémorragie ainsi que la morbidité maternelle (9) en inhibant biologiquement la fibrinolyse (10).

Ce qu’apporte cette étude :

WOMAN retrouve des résultats similaires à CRASH-2 sur l’efficacité de l’ATX (3,4): les deux essais montrent que l’ATX réduit la mortalité par hémorragie, l’un dans l’HPP, l’autre chez le traumatisé ; les 2 essais démontrent que l’administration d’ATX doit être précoce puisque l’administration d’ATX est efficace sur la mortalité par hémorragie entre la première et la troisième heure qui suit le début de l’HPP et sur la nécessité d’une laparotomie pour hémostase dès la première heure (4). Ce sont pendant ces trois heures que surviennent la majorité des décès et des hystérectomies.

WOMAN apporte des arguments forts en faveur de la sécurité d’emploi de l’ATX. L’ATX n’augmente pas le risque de convulsions, ce qui est rassurant et confirme que le risque épileptique de l’ATX est limité à la chirurgie cardiaque (11). L’absence de risque d’insuffisance rénale est également importante à noter. En effet une série de cas avait suggéré que l’ATX, en particulier administré en infusion continue après la dose de charge, puisse être responsable d’insuffisance rénale chronique par nécrose corticale chez les patientes ayant une prééclampsie ou une embolie amniotique (12). Néanmoins les biais étaient nombreux ;la prééclampsie à elle seule est le facteur de risque majeur d’insuffisance rénale (13) ; et les patientes hémorragiques recevaient de nombreux produits hémostatiques en association, augmentant le risque thrombotique. Dans WOMAN, l’absence de sur-risque rénal est un message fort en faveur de la sécurité de l’ATX. De même, l’absence d’augmentation des évènements thromboemboliques confirme, une fois encore, et comme dans CRASH-2, que l’ATX n’est pas prothrombotique (3).

Limites :

La principale limite est liée au choix du critère de jugement principal (mortalité + hystérectomie), remis en cause en cours d’étude par les investigateurs eux-mêmes. Tandis que les hystérectomies sont positionnées tardivement dans les algorithmes de prise en charge de l’HPP des pays développés, elles sont réalisées beaucoup plus précocement dans les pays en voie de développement, où les autres ressources, dont les produits sanguins, sont limitées. Ainsi, le clinicien prenant en charge l’HPP décidait souvent dans le même temps de réaliser une hystérectomie et d’inclure la patiente dans l’étude. L’effet de l’ATX sur le recours à l’hystérectomie n’était donc pas évaluable. Les investigateurs ont augmenté l’effectif à inclure afin de n’évaluer l’effet de l’ATX que sur la mortalité globale. Or plus d’un quart des décès relèvent d’autres causes que l’hémorragie et diluent donc l’effet de l’ATX, ce qui explique que la baisse de mortalité globale liée à l’ATX ne soit pas significative, rendant l’essai finalement négatif. Pourtant l’acide tranéxamique réduit la mortalité par hémorragie, résultat majeur pour la prise en charge des HPP, mais dont la portée est atténuée puisqu’il s’agit d’un critère de jugement secondaire.

Cette difficulté méthodologique résulte d’un recrutement des patientes réalisé essentiellement dans les pays en voie de développement. Or la prise en charge de l’HPP y est différente, tout comme l’accès aux ressources, et la mortalité y est plus élevée. Ce point pose la question de l’extrapolation des résultats à des pays à forte ressource médicale. Cependant, puisque l’ATX réduit la mortalité par hémorragie, n’expose pas les parturientes à des effets secondaires et est peu coûteux, la raison devrait conduire à généraliser son usage dans les HPP.

Synthèse :

WOMAN a montré que l’’ATX administré précocement dans l’HPP, ne réduit pas la mortalité globale mais diminue la mortalité par hémorragie, sans induire d’effets secondaires. WOMAN modifie nos pratiques et conduit à administrer l’ATX dès la première heure qui suit le début d’une HPP, et au plus tard dans les 3 heures.

Références

  1. Enquête nationale confidentielle sur les morts maternelles 2007-2009 – Rapport du Comité national d’experts sur la mortalité maternelle (CNEMM) oct. 2013 – Disponible sur : www.inserm.fr.
  2. Ker K, Prieto-Merino D, Roberts I. Systematic review, meta-analysis and meta-regression of the effect of tranexamic acid on surgical blood loss. Br J Surg. 2013;100:1271–9.
  3. CRASH-2 Collaborators. Effects of tranexamic acid on death, vascular occlusive events, and blood transfusion in trauma patients with significant haemorrhage (CRASH-2): a randomised, placebo-controlled trial. Lancet 2010; 376: 23–32
  4. CRASH-2 Collaborators. The importance of early treatment with tranexamic acid in bleeding trauma patients: an exploratory analysis of the CRASH-2 randomised controlled trial. Lancet 2011;377: 1096–101.
  5. WOMAN Trial Collaborators. Effect of early tranexamic acid administration on mortality, hysterectomy, and other morbidities in women with post-partum haemorrhage (WOMAN): an international, randomised, double-blind, placebo-controlled trial. Lancet. 2017 Apr 26.
  6. Mousa HA, Blum J, Abou El Senoun, Shakur H, Alfirevic Z. Treatment for primary postpartum haemorrhage. Cochrane Database of Systematic Reviews 2014, Issue 2, CD003249.
  7. McCormack, P.L. Tranexamic acid: a review of its use in the treatment of hyperfibrinolysis. Drugs 2012; 72: 585–617.
  8. Goswami, U., Sarangi, S., Gupta, S., Babbar, S. Comparative evaluation of two doses of tranexamic acid used prophylactically in anemic parturients for lower segment cesarean section: A double-blind randomized case control prospective trial. Saudi J Anaesth . 2013; 7:427–431.
  9. Ducloy-Bouthors, A.-S., Jude, B., Duhamel, A., Broisin, F., Huissoud, C., Keita-Meyer, H., Mandelbrot, L., Tillouche, N., Fontaine, S., Le Goueff, F., Depret-Mosser, S., Vallet, B., Susen, S. High-dose tranexamic acid reduces blood loss in postpartum haemorrhage. Crit Care 2011 ;15: R117.
  10. Ducloy-Bouthors, A.S., Duhamel, A., Kipnis, E., Tournoys, A., Prado-Dupont, A., Elkalioubie, A., Jeanpierre, E., Debize, G., Peynaud-Debayle, E., DeProst, D., Huissoud, C., Rauch, A., Susen, S. Postpartum haemorrhage related early increase in D-dimers is inhibited by tranexamic acid: haemostasis parameters of a randomized controlled open labelled trial. Br J Anaesth 2016 ;116 :641–648.
  11. Kalavrouziotis, D., Voisine, P., Mohammadi, S., Dionne, S., Dagenais, F. High-dose tranexamic acid is an independent predictor of early seizure after cardiopulmonary bypass. Ann. Thorac. Surg. 2012 ;93:148–154.
  12. Frimat, M., Decambron, M., Lebas, C., Moktefi, A., Lemaitre, L., Gnemmi, V., Sautenet, B., Glowacki, F., Subtil, D., Jourdain, M., Rigouzzo, A., Brocheriou, I., Halimi, J.-M., Rondeau, E., Noel, C., Provôt, F., Hertig, A. Renal Cortical Necrosis in Postpartum Hemorrhage: A Case Series. Am. J. Kidney Dis. 2016;68:50–57.
  13. Jonard, M., Ducloy-Bouthors, A.-S., Boyle, E., Aucourt, M., Gasan, G., Jourdain, M., Mignaux, V., Tillouche, N., Fourrier, F. Postpartum acute renal failure: a multicenter study of risk factors in patients admitted to ICU. Ann Intensive Care 2014 ;4 : 36.