Mis en ligne le 15 novembre 2018
Article du mois

New England Journal of Medicine – July 2018

(DOI: 10.1056/NEJMoa1806842)

Analyse de l’article par le Dr Romain Jouffroy, SAMU de Paris,

CHU Necker – Enfants Malades, pour le Comité ACUTE de la SFAR

 

L’adrénaline, bien que controversée, reste le médicament de la réanimation cardiopulmonaire (RCP) lors de la prise en charge de l’arrêt cardiaque extra hospitalier (ACEH) ou intra hospitalier (ACIH) depuis les années 1960 [1].

L’effet recherché de l’adrénaline est son effet vasoconstricteur alpha-adrénergique, permettant d’améliorer les perfusions cérébrale et coronaire afin d’obtenir le retour à une activité cardiaque spontanée (RACS) [2]. Le bénéfice attendu de l’administration d’adrénaline est controversé en raison d’une part de la réduction induite de la microcirculation [2] avec un potentiel effet délétère neurologique à long terme, d’autre part de l’augmentation des troubles du rythme cardiaque induits [1]. Les études cliniques humaines montrant l’efficacité de l’adrénaline à dose « standard » (1 mg) vs placebo lors d’un ACIH/ACEH sont en nombre restreint [3,4], la plupart observant une amélioration du pourcentage de RACS et de la survie à l’admission à l’hôpital, mais a contrario un bénéfice discuté sur la survie à long terme [5].

L’objectif de l’étude de Perkins et al. publiée dans le New England Journal of Medicine était de déterminer si l’adrénaline est bénéfique ou délétère dans le traitement de l’ACEH.

Objectifs de l’étude :

Le critère de jugement principal était le taux de survie à 30 jours après ACEH.

Les critères de jugement secondaires étaient le taux de survie à l’admission hospitalière, la durée de séjour en réanimation, les taux de survie ainsi que le devenir neurologique à la sortie de l’hôpital et au 3ème mois. Un bon pronostic neurologique était défini par un score de 3 au maximum sur l’échelle de Rankin (échelle allant de 0=récupération ad integrum à 6=décès).

Méthode :

Cette étude contrôlée, randomisée, en double aveugle, a été effectuée au sein de 5 services du National Health Service ambulance services en Angleterre, entre décembre 2014 et août 2017.

L’étude a été financée par le Health Technology Assessment Programme of the National Institute for Health Research avec des fonds légaux fournis par l’Université de Warwick.

Les patients éligibles à l’inclusion étaient des adultes présentant un ACEH pris en charge par des paramédicaux formés à la conduite de l’essai.

Les critères d’exclusion étaient une grossesse avérée ou suspectée, un âge inférieur à 16 ans, un ACEH lié à une anaphylaxie ou à un asthme, et l’administration préalable d’adrénaline avant l’inclusion. Dans un des 5 services, les ACEH d’origine traumatique étaient également exclus (en accord avec des protocoles locaux).

L’inclusion a été effectuée par les paramédicaux des 5 services du National Health Service ambulance services.

La réanimation cardiopulmonaire pré-hospitalière a été conduite selon les recommandations 2015 de l’AHA [6].

La randomisation a été effectuée par tirage au sort électronique aléatoire avec méthode de minimisation et un ratio global 1:1 permettant l’administration titrée ml par ml toutes les 3 à 5 minutes du produit tiré au sort par voie intraveineuse ou intra-osseuse, parallèlement aux autres manœuvres de la RCP spécialisée jusqu’à l’obtention du RACS (pouls palpable), l’arrêt de la RCP ou l’admission hospitalière.

La conduite de la réanimation hospitalière n’était pas définie dans le protocole mais suivant les recommandations nationales en vigueur en ce qui concerne le contrôle de la température, de l’hémodynamique et de la ventilation.

Le nombre de sujets nécessaire a été déterminé à partir d’une différence de survie à 30 jours de 7,5% pour l’adrénaline et de 6% pour le placebo. L’analyse statistique a été effectuée par méthodes de régression logistique et linéaire sans puis après ajustement sur les facteurs suivants : âge, type de rythme initial, délai entre appel du 999 et administration du produit, étiologie de l’ACEH, présence ou non de témoins et réalisation on non de la RCP par le témoin.

Des analyses intermédiaires trimestrielles des données et un recueil des événements indésirables ont été effectués.

Principaux résultats :

8103 (76,3%) patients ont été éligibles parmi les 10623 ACEH pris en charge.

2520 patients ont été exclus (principalement en raison de l’administration d’adrénaline avant inclusion pour 1192 patients), ce qui a permis d’inclure et de randomiser 8016 patients (87 exclusions après randomisation : 47 sans raison et 22 en raison de la survenu d’un RACS).

4015 ont reçu de l’adrénaline et 3999 patients ont reçu du placebo.

La survie à 30 jours était supérieure pour l’adrénaline (3,2% – 130 patients) par rapport au placebo (2,4% – 94 patients), avec des résultats similaires après ajustement.

Les analyses secondaires ont observé (résultats là encore similaires après ajustement) :

* un taux de survie à l’admission hospitalière supérieur pour l’adrénaline (23,8 vs 8,0%).

* une absence de différence entre adrénaline et placebo pour la durée de séjour en réanimation des survivants (7,5 vs 7 jours) et des décédés (2 vs 3 jours).

* une absence de différence entre adrénaline et placebo pour la survie à la sortie de l’hôpital avec un bon pronostic neurologique (2,2 vs 1,9% respectivement).

* une absence de différence entre adrénaline et placebo pour le devenir neurologique à la sortie de l’hôpital (2,2 vs 1,9%) et au 3ème mois (3,0 vs 2,2%).

Conclusion des auteurs :

Dans cette étude randomisée, les auteurs ont constaté que l’adrénaline par rapport à un placebo est associée à une amélioration de la survie 30 jours lors d’un ACEH de l’adulte. Par contre, il n’a pas été observé de différence en termes de pronostic neurologique favorable, plus de survivants ayant un pronostic neurologique défavorable dans le groupe adrénaline.

Points forts :

  • Essai randomisé en double aveugle
  • Collectif important de patients
  • Conformité des pratiques de la RCP par rapport aux recommandations internationales en vigueur
  • Délai d’arrivée sur le lieu de l’ACEH identique aux données françaises (8 minutes en moyenne)
  • Analyses effectuées en per protocole et en intention de traiter

Points faibles :

  • Différences entre les critères de jugement décrits dans l’article et ceux publiés dans le protocole d’étude publié de 2016 (1016/j.resuscitation.2016.08.029)
  • Absence de précision sur la majoration du nombre de sujets nécessaires imputable aux analyses intermédiaires effectuées
  • Nombreuses analyses de sous-groupes
  • Absence de distinction entre ACEH par rythme choquable et ACEH par rythme non choquable
  • Inclusion des ACEH traumatiques sauf dans un centre sans estimation de l’effet centre sur les résultats globaux (effet traitement estimé identique dans les 5 centres alors qu’il ne l’est pas)
  • Absence de données relatives à la durée du No Flow
  • Absence de description des autres manœuvres mises en œuvre lors de la RCP pré hospitalière : intubation systématique ou non par exemple …
  • Pas de protocolisation de la prise en charge en réanimation (thérapeutiques, objectifs, critères de limitation et arrêt des thérapeutiques actives…) alors que cette dernière influence le critère de jugement principal (mortalité à J30)
  • Données relatives au cout-efficacité de l’adrénaline non rapportées dans les résultats alors que décrites dans le protocole d’étude
  • Faible pourcentage d’ACEH devant témoins et de RCP entreprise par les témoins
  • Proportion de rythmes non choquable faible (environ 20% dans les 2 groupes) qui est pourtant la cause la plus fréquente des ACEH non traumatiques
  • Délai important entre l’arrivée des paramédicaux et l’administration du produit (médiane de 15 minutes dans les 2 groupes)
  • Différence importante entre le nombre de sujets transportés à l’hôpital dans les 2 groupes (2041 soit 50,8% dans le groupe adrénaline et 1227 soit 30,7% dans le groupe placebo)
  • Absence de documentation du nombre de patients ayant eu une procédure de limitation et un arrêt des thérapeutiques actives
  • Données non directement transposables au système pré-hospitalier médicalisé français.

Discussion de l’article :

La discussion de l’utilité de l’adrénaline reste débattue à ce jour dans la prise en charge de l’ACEH. D’un point de vue physiopathologique, son utilisation est justifiée par la recherche de l’effet vasoconstricteur afin de permettre d’augmenter le retour veineux, et consécutivement la pression de perfusion cérébrale et coronaire, et in fine le taux de RACS. L’objectif d’amélioration d’obtention de RACS a été observé dans cette étude, de même que dans de nombreuses études préalables.

Cependant, l’utilisation d’un critère de jugement principal fort comme la mortalité à 30 jours est discutable pour juger de l’efficacité de l’adrénaline. En effet, l’adrénaline est utilisée à la phase toute initiale de la prise en charge de l’ACEH (pendant les 30 premières minutes en France sauf si obtention du RACS) alors que la mortalité à J30 constitue un critère global de jugement nettement impacté par les thérapeutiques pré et intra hospitalières associées (traitement étiologique, contrôle de la température, de l’hémodynamique, de l’oxygénation) et les événements hospitaliers (critères de limitation et arrêt des thérapeutiques actives, iatrogénie) au cours des 30 jours post ACEH. La survie à 30 jours n’est probablement pas directement impactée par l’adrénaline elle-même, même si elle est vrai que son rôle est essentiel pour l’obtention du RACS demeurant l’étape initiale fondamentale de la survie quelle que soit la modalité (RACS, bon pronostic neurologique) et le moment du jugement de cette dernière (à l’arrivée à l’hôpital, à 30 jours, 3 mois, 6 mois ou 1 an par exemple).

Si des fortes doses d’adrénaline (0,1 à 0,2 mg/kg) permettent d’obtenir un taux plus important de RACS, elles sont grevées d’un taux plus élevé de complications en post-arrêt cardiaque, et ne sont donc plus recommandées sauf dans des circonstances spécifiques comme les intoxications par bêtabloquants ou inhibiteurs calciques [3,4,7,8].

Un autre élément de discussion concerne le moment de l’injection de l’adrénaline : pour un rythme non choquable, la première dose d’adrénaline doit être administrée le plus tôt possible, c’est-à-dire dès l’obtention d’une voie d’accès IV ou IO ; dans le cas d’un rythme choquable, le moment optimal d’injection de la première dose d’adrénaline, par rapport à la défibrillation, ne peut pas être recommandé avec précision, car le déroulement de la RCP médicalisée dépend fortement des conditions locales (disponibilité d’un défibrillateur …) et du patient lui-même [3,4].

Que retenir ?

L’adrénaline par rapport à un placebo est associée à une amélioration du pourcentage de RACS et de la survie 30 jours lors de la prise en charge d’un ACEH. La méthodologie utilisée dans l’étude n’est pas adaptée pour mettre en évidence une différence en terme de pronostic neurologique favorable lié à l’effet seul de l’adrénaline. En effet, si l’adrénaline permet une augmentation du RACS, prérequis indispensable à la survie avec un bon pronostic neurologique, les déterminants de ce dernier sont nombreux, en particulier la qualité de la réanimation péri-AC pré et intra hospitalière.

La prise en charge de l’arrêt cardiaque, extra et intra hospitalier, doit donc en réalité être envisagée comme une prise en charge globale nécessitant un ensemble de thérapeutiques, et non une thérapeutique isolée, permettant in fine d’améliorer le pronostic neurologique.

 

Références :

  1.  Callaway CW, Donnino MW. Testing Epinephrine for Out-of-Hospital Cardiac Arrest. N Engl J Med. 2018.
  2. Paradis NA, Martin GB, Rosenberg J, et al. The effect of standard- and high-dose epinephrine on coronary perfusion pressure during prolonged cardiopulmonary resuscitation. JAMA 1991.
  3. American Heart Association. 2015 American Heart Association Guidelines Update for Cardiopulmonary Resuscitation and Emergency Cardiovascular Care. Circulation 2015.
  4. European Resuscitation Council. European Resuscitation Council Guidelines for Resuscitation 2015. Resuscitation 2015.
  5. Jacobs IG, Finn JC, Jelinek GA, Oxer HF, Thompson PL. Effect of adrenaline on survival in out-of-hospital cardiac arrest: a randomized double-blind placebo-controlled trial. Resuscitation 2011.
  6. Soar J., Callaway C.W., Aibiki M. Part 4: Advanced life support: 2015 International Consensus on Cardiopulmonary Resuscitation and Emergency Cardiovascular Care Science with Treatment Recommendations. Resuscitation. 2015.
  7. Gueugniaud PY, Mols P, Goldstein P, et al. A comparison of repeated high doses and repeated standard doses of epinephrine for cardiac arrest outside the hospital. European Epinephrine Study Group. N Engl J Med 1998.
  8. Gough CJR, Nolan JP. The role of adrenaline in cardiopulmonary resuscitation. Crit Care 2018.