Mis en ligne le 2 janvier 2019
Article du mois
Commentaire d’article :
Pantoprazole in Patients at Risk for Gastrointestinal Bleeding in the ICU. Krag et al. NEJM 2018, 24 oct.
Par le Dr Laurent Muller (CHU de Nîmes) pour le comité Réanimation de la SFAR
Position du problème :
La question de la prévention de l’ulcère de stress (UDS) a été peu étudiée ces dernières années. Les données les plus convaincantes datent des années 2000 où les conclusions des études disponibles plaidaient en faveur de l’administration d’inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) chez les patients de réanimation à risque d’UDS (ventilation mécanique, coagulopathie, insuffisance hépatique)1-4. Les recommandations actuelles5 restent basées sur ces données anciennes dont le niveau de preuve est considéré comme faible6. L’utilisation des IPP en réanimation à titre prophylactique reste large dans les enquêtes de pratique récentes7. Enfin, l’administration systématique d’IPP peut avoir des effets secondaires tels que de pneumopathies, des infections à Clostridium difficile et des ischémies myocardiques.
L’étude SUP-ICU6 publiée dans le numéro du 24 octobre 2018 du New England Journal of Medicine relance la question de la pertinence d’une utilisation large des IPP chez les patients de réanimation à risque d’UDS.
Type d’étude :
Etude prospective (janvier 2016 – octobre 2017) randomisée, multicentrique (33 unités de réanimation dans 6 pays du nord de l’Europe), stratifiée, aveugle, comparant pantoprazole 40 mg/j (injection intraveineuse de directe, dose diluée dans 10 ml de chlorure de sodium isotonique) contre placebo (injection intraveineuse de directe 10 ml de chlorure de sodium isotonique) pendant toute la durée du séjour en réanimation.
Critères d’inclusion/exclusion: tout patient adulte admis en réanimation pour une urgence avec au moins un des facteurs de risque cité en introduction était éligible. Les patients admis de façon programmée étaient exclus.
Objectif principal : calcul du nombre de sujets nécessaire pour une réduction de mortalité per protocole de 5 % à 90 jours dans le groupe IPP, sur la base d’une mortalité de 25%. Une analyse de mortalité a été également réalisée pour les sous groupes prédéfinis suivants : insuffisance hépatique, coagulopathie, admission médicale ou chirurgicale, choc, ventilation mécanique, IGS 2 > 53 (mortalité prédite > 50%).
Objectifs secondaires : 1. saignement digestif associé à une instabilité hémodynamique (chute de PAM de 20%, nécessité ou augmentation de 20% de la dose de vasopresseurs), et/ou à une transfusion de plus de 2 concentrés érythrocytaires, et/ou chute de 2g/dL de l’hémoglobine. 2. Nombre d’infections à Clostridium difficile. 3. Nombre de pneumopathies. 4. Nombre d’ischémies myocardiques. 5. Effets secondaires sévères (anaphylaxie, hépatites, toxicité hématologique, réactions cutanées, néphropathie interstitielle). 6. Nombre de jours médian vivant sans support d’organe.
Résultats :
Un total de 1645 patients a été inclus dans le groupe pantoprazole contre 1653 dans le groupe placebo. Il s’agissait bien de patients de réanimation sévères. Les deux tiers des patients étaient placés sous ventilation mécanique et/ou vasopresseurs. L’IGS 2 était de 49 (interquartile 39–59) dans le groupe pantoprazole contre 48 (37–59) dans le groupe placebo. A l’inclusion, les deux groupes étaient comparables sauf en termes de pathologie pulmonaire chronique (21 % dans le groupe pantoprazole contre 19 % dans le groupe placebo, p=0.05), de chirurgie urgente (30 % dans le groupe pantoprazole contre 34 % dans le groupe placebo, p=0.01) et de coagulopathie (21 % dans le groupe pantoprazole contre 18 % dans le groupe placebo (p=0.02). Tous les patients ont reçu de façon comparable dans les deux groupes une nutrition entérale dans un délai médian de 4 jours (Interquartile 2 à 10 jours).
La mortalité à 90 jours était de 510 patients (31.1%) dans le groupe pantoprazole group contre 499 (30.4%) dans le groupe placebo (RR = 1.02; intervalle de confiance 95% = 0.91 à 1.13; p = 0.76). Cette mortalité observée était supérieure de plus de 5 % à celle utilisée pour calculer le nombre de sujets nécessaire (25 %). Aucune différence de mortalité n’était observée pour les sous groupes prédéfinis.
Pour les objectifs secondaires, les résultats sont présentés de la façon suivante : au moins un des effets secondaires (saignement, pneumonie, diarrhée à clostridium, ischémie myocardique) a été observé chez 21.9% des patients du groupe pantoprazole contre 22.6% dans le groupe placebo (RR = 0.96; IC 95% = 0.83 à 1.11). Aucune réaction grave n’a été observée dans les deux groupes. Le nombre de jours vivants sans défaillance d’organe à 90 jours était similaire dans les deux groupes. Le nombre de violations de protocole était faible (< 3%) et comparable dans les deux groupes. Dans les deux groupes, les patients ont reçu une alimentation entérale dans un délai médian de 4 jours (interquartile 2 – 10).
En termes de nombre d’évènements hémorragiques, l’incidence des saignement était de 2,5 % (41/1644 patients) dans le groupe pantoprazole contre 4.2 % (69/1647 patients), avec un risque relatif en faveur d’un effet protecteur des IPP : RR = 0,58 (IC 95 % 0,40 – 0,86)
Discussion:
Analyse et conclusion des auteurs : cette étude démontre l’inutilité des IPP en réanimation chez les patients à risque de saignement digestif en termes de mortalité à 90 jours et ce quel que soit le sous groupe de pathologie ou de cause d’admission. Lorsque que l’on réunit tous les critères secondaires (saignement, infections, diarrhées, ischémie myocardique) de façon composite, il n’existe aucune différence entre les deux groupes.
Commentaires :
Une lecture rapide de cet essai de très haute qualité méthodologique induira chez le lecteur l’idée qu’il faut abandonner pour futilité les IPP en réanimation chez les patients à risque d’hémorragie digestive.
Plusieurs commentaires peuvent cependant être faits.
Premièrement, si on isole les hémorragies digestives du compte composite des critères secondaires, cette étude suggère un effet protecteur (RR = 0,58 – IC 95 % 0,40 – 0,86) des IPP en termes de saignement digestif avec une réduction de 40 % des épisodes hémorragiques dans le groupe pantoprazole. Il s’agit bien là de l’effet attendu de cette classe thérapeutique. Pour les auteurs, cet argument n’est pas recevable car un seuil de significativité ne peut pas être calculé sur le critère isolé de saignement digestif puisque la puissance de l’étude a été basée sur le critère composite associant la totalité des critères secondaires d’évaluation. Il faut noter que le taux d’hémorragies digestives reste très faible dans cette étude: 2.5 à 4.2 % dans le groupe IPP et le groupe placebo, respectivement. Cette incidence est beaucoup plus faible que dans le passé, suggérant une diminution de cet événement au cours du temps. Dans les années 1990, l’incidence des hémorragies digestives par ulcère de stress variait entre 20 et 80 % entre J0 et J3 d’hospitalisation en réanimation8. L’étude SUP-ICU confirme donc bien une réduction de cette complication au cours du temps, qui accompagne les progrès multifactoriels des soins de réanimation : ventilation protectrice, sédation courte à objectif de score de sédation, meilleure prise en charge de la douleur, meilleure prise en charge de l’insuffisance rénale aigue, alimentation entérale précoce (systématique dans cette étude, cf ci dessus).
Deuxièmement, le choix du critère principal de jugement est discutable. Dans une population de patients aussi graves (30 % de mortalité observée contre 25 % prédite), il est difficile d’imaginer que la seule prescription d’IPP puisse influencer la mortalité à 90 jours. La non significativité de l’étude n’est donc pas surprenante.
Troisièmement, cette étude suggère que, dans une unité de réanimation entraînée, un épisode d’hémorragie digestive correctement pris en charge n’a pas d’impact sur la mortalité.
Quatrièmement, cette étude montre que l’incidence de l’hémorragie digestive en réanimation est actuellement très faible (< 3% des patients à risque), probablement en raison d’une amélioration globale des soins. Là encore, l’idée qu’une réduction de mortalité par une action ne portant que sur un événement rare reste peu plausible.
Cinquièmement, cet essai suggère que les IPP ont des effets secondaires négligeables.
Pour le praticien, cette étude offre donc deux lectures différentes. Soit ne plus prescrire d’IPP compte tenu de leur absence d’influence sur la mortalité mais en acceptant un surcroit potentiel d’hémorragies digestives. Soit poursuivre la prescription d’IPP, aux effets secondaires anecdotiques, dans le but de limiter le risque de saignement digestif haut. Le saignement digestif reste une source réelle de stress chez les patients et leurs proches ainsi qu’une charge en soins non négligeables pour les équipes de réanimation. En d’autres termes, faut il guider toutes nos actions thérapeutiques sur le seul critère de mortalité ou sur des objectifs plus personnalisés ? Chacun se fera opinion. Le choix n’est peut être pas très difficile.
Références
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