Commentaire de l’article : Viscoelastic haemostatic assay augmented protocols for major trauma haemorrhage (ITACTIC): a randomized, controlled trial. Baksaas-Aasen K et al. Intensive Care Med 2021; 47:49-59.

Article commenté pour le CS de la SFAR par :

  • Jean-Stéphane DAVID, Service d’Anesthésie Réanimation, Centre Hospitalier Lyon Sud, Hospices civils de Lyon, F69495 Pierre Bénite ; Faculté de Médecine Lyon Est, Université Claude Bernard – Lyon 1, 69008 Lyon, Comité Scientifique de la SFAR.
  • Pierre Pasquier, Service d’Anesthésie Réanimation, Hôpital d’Instruction des Armées Percy, F-92140 Clamart, Comité ACUTE de la SFAR.

 

CE QUE NOUS SAVONS DEJA SUR LE SUJET

Une coagulopathie est observée chez 20 à 30 % des patients qui présentent un traumatisme sévère. Cette coagulopathie aggrave le pronostic des patients, en particulier si elle s’associe à une acidose, une hypocalcémie et une hypothermie, formant ce que l’on appelle désormais le « Lethal Diamond ». Il importe ainsi de pouvoir diagnostiquer et traiter cette coagulopathie le plus précocement possible.

C’est dans ce cadre qu’il y a une vingtaine d’années ont été développées des techniques de diagnostic rapide des troubles de l’hémostase portant sur l’étude des propriétés viscoélastiques du caillot. Ces techniques dites « viscoélastiques » (TVE : ROTEM®, TEG®, ClotPro®, Quantra®) permettent un diagnostic rapide des troubles de l’hémostase, mais également l’identification précise du trouble de l’hémostase prépondérant, permettant un traitement ciblé de celui-ci par des produits sanguins et/ou des concentrés de facteurs de coagulation [1, 2]. De plus, comme ils sont réalisés sur sang total, les TVE prennent en compte d’autres phénomènes qui interviennent dans l’hémostase comme l’inflammation ou l’acidose. Chez le traumatisé sévère, l’utilisation de ces techniques est associée dans la plupart des études à une diminution de l’utilisation des produits sanguins labiles, de l’incidence de la transfusion massive, des coûts [1, 3-6], et pourrait être associée à une amélioration du pronostic [7]. Toutefois, des données solides issues d’essais multicentriques randomisés sur l’efficacité d’une stratégie transfusionnelle guidée par l’utilisation des TVE font actuellement défaut chez le patient traumatisé.

L’étude « iTACTIC » est une étude multicentrique, randomisée en simple aveugle, dont l’objectif était de déterminer si l’utilisation d’un algorithme de prise en charge de la coagulopathie fondé sur les TVE, comparée à un algorithme fondé sur la biologie standard (BioS), s’accompagnait d’une diminution de la mortalité et de l’incidence de transfusion massive dans les premières 24-heures suivant le traumatisme [8].

 

METHODES

Un effectif de 392 patients éligibles à une transfusion massive du fait d’un traumatisme sévère avec signes cliniques de choc hémorragique, admis dans sept « major trauma centers » européens, a été défini a priori (196 patients par groupe). Ce nombre était calculé sur des données issues de registres de traumatologie des centres concernés, en partant de l’hypothèse que l’utilisation d’un algorithme fondé sur les TVE s’associerait à une diminution de l’incidence d’un critère composite « mortalité – transfusion massive » de 28% à 15%. Il n’y avait pas de critère de non-inclusion. La randomisation a été effectuée dans un rapport de 1:1 avec une stratification par centre. Les patients devaient être randomisés dans l’heure suivant l’admission et dans les 3 heures suivant le traumatisme.

Les patients bénéficiaient d’une stratégie transfusionnelle comportant l’administration initiale, si leur état clinique le nécessitait, et quel que soit le bras étudié, d’une association dans un ratio de 1:1:1, de concentré globulaire (CGR), plasma frais (PFC) et plaquettes. Après cette première administration, les produits sanguins et concentrés de facteurs étaient administrés selon un algorithme fondé sur les TVE (algorithme spécifique selon le TEG® ou le ROTEM®,) ou la BioS (4g de fibrinogène ou d’équivalent en cryoprécipité si fibrinogénémie < 2g.L-1, 1 pool de plaquettes si numération < 100 G.L-1, 4 unités de PFC si TQratio > 1.2 et fibrinogénémie > 2 g.L-1).

Un bilan biologique était effectué après chaque transfusion de 4 CGR. De l’acide tranexamique était administré dès la phase préhospitalière chez la très grande majorité des patients et, à défaut, à l’admission à l’hôpital. Les données étaient analysées en intention de traiter et en per-protocole. Étaient exclus de l’analyse per-protocole, les patients qui n’avaient pas bénéficié d’au moins un test TVE ou BioS ; qui ne rassemblaient pas tous les critères d’inclusion ; qui recevaient le mauvais test (TVE dans le groupe BioS par exemple) ; qui décédaient dans les 60 min après réalisation du premier test ; ou pour lesquels l’hémostase était obtenue dans le même délai. Le critère de jugement principal était exprimé en odds ratio (OR) et intervalle de confiance à 95% (IC95%). Des analyses en sous-groupes étaient prévues a priori dont celle des patients souffrant d’un traumatisme crânien grave (TCG, défini par un AIS « tête et cou » ³ 4) ainsi que celle des patients présentant un TQratio initial > 1.2.

Critères de jugement

  • Principal : nombre de patients vivants sans transfusion massive à 24h.
  • Secondaires : mortalité à 6h, 24h, 28 jours et 90 jours post-admission. Quantité totale de produits sanguins, nombre de jour sans ventilation mécanique ou réanimation à J28, complications thromboemboliques artérielle ou veineuse.

 

RESULTATS PRINCIPAUX

Sur les 396 patients analysés en intention de traiter, comptant deux tiers de traumatismes non pénétrants (Injury Severity Score [ISS] médian : 26, interquartile [17-36]), 201 ont été inclus dans le groupe TVE et 195 dans le groupe BioS. L’analyse per-protocole portait sur 313 patients. Aucune différence significative n’a été observée entre les 2 groupes pour les paramètres démographiques (âge, ISS), physiologiques (score de Glasgow, pression artérielle), biologiques ainsi que les thérapeutiques initiales. On observe cependant que la proportion de patients présentant un TQratio > 1.2 était faible dans les deux groupes (TVE : 25% et BioS : 32%). A l’inclusion dans le protocole, un nombre non précisé de patients avaient déjà reçu des produits sanguins et 9 d’entre eux avaient même déjà bénéficié d’une transfusion massive.

A 24 heures, aucune différence statistiquement significative concernant le critère de jugement principal (proportion de patients vivants et sans transfusion massive) n’a été observée (groupe TVE 67% vs. groupe BioS 64% ; OR 1,15 [IC95%, 0,76-1,73]). La mortalité à J28 n’a pas été significativement différente entre les deux groupes (groupe TVE 25% vs. groupe BioS 28% ; OR 0,84 [IC95%, 0,54–1,31]). Sur l’ensemble de la cohorte, les auteurs ont observé que les patients du groupe TVE bénéficiaient du protocole thérapeutique plus précocement que ceux du groupe BioS (21 min plus tôt). A la 3ème heure, plus de patients dans le groupe TVE bénéficiaient du protocole thérapeutique (64% vs. 45%) et ces patients recevaient plus de fibrinogène (dose médiane 3 g vs. 0 g). À 24 heures, aucune différence n’était observée entre les groupes pour tous les critères de jugement précités, en particulier pour l’administration de produits sanguins ou de concentrés de facteurs et pour les différents éléments du pronostic. L’analyse per-protocole ne révélait pas de différence significative entre les deux bras thérapeutiques en ce qui concernait le critère d’évaluation principal ou la mortalité à J28. Aucune différence n’a été observée pour les différents sous-groupes. Dans une analyse post hoc, la mortalité à J28 des 74 patients qui présentaient un traumatisme crânien grave était significativement plus faible dans le groupe TVE (44% vs. 74% ; OR 0,28 [IC95%, 0,10-0,74]) ; la différence n’était pas statistiquement significative dans le groupe des patients qui présentaient un TQratio > 1.2 (41% vs. 55% ; OR 0,56 [IC95%, 0,26-1,24]). Le résultat était confirmé en analyse multivariée après ajustement (OR 0.16 [IC95%, 0,03-0,90]).

 

DISCUSSION

Techniquement, iTACTIC est une étude robuste mais négative puisqu’aucune différence significative n’est observée entre les groupes pour le critère de jugement principal. L’effectif réduit de ces sous-groupes limite la puissance de l’analyse et se pose la question des critères d’inclusion dans ce travail. En effet, moins du tiers des patients présentaient une coagulopathie à l’admission (TQratio > 1,20). De même, les patients ont été au final très peu transfusés puisque les médianes d’administration de PFC, fibrinogène et plaquette sont nulles. Ces résultats, montrant l’absence de différence de consommation de produits sanguins, sont aussi en contradiction avec d’autres travaux publiés ces dernières années en traumatologie. Dans ces travaux, une diminution de la consommation de PFC et très fréquemment une baisse significative de la consommation de CGR et de l’incidence de la transfusion massive étaient observés [1, 3-6]. C’est cette diminution de l’utilisation des produits sanguins combinée à la précocité du diagnostic et au traitement ciblé de la coagulopathie qui pourrait être associée à une diminution de la mortalité. Il aurait été également intéressant de connaître précisément les critères ayant conduit à administrer initialement un « pack » transfusionnel (CGR:PFC:Plaquette), avant l’application des algorithmes (stratégie hybride) dans les deux groupes étudiés, mais cela n’a pas été détaillé.

L’inclusion de patients ne nécessitant pas de produits sanguins ou ayant reçus des produits sanguins superflus, a ainsi pu gommer une partie du bénéfice escompté des TVE. Enfin, on peut également critiquer les algorithmes proposés, décrits en annexe, qui suggèrent de corriger les troubles de l’hémostase de manière séquentielle et non simultanée. Il est par exemple suggéré de n’administrer des PFC dans le groupe BioS que si le fibrinogène est > 2 g.L-1. Or, il est commun de corriger simultanément le déficit en facteur de la coagulation par des PFC et celui en fibrinogène par des concentrés de fibrinogène.

 

CE QUE CET ARTICLE NOUS APPORTE

Il s’agit d’une des rares études randomisées sur cette thématique ayant inclus un nombre important de patients. Le résultat est négatif sur le critère de jugement principal mais une analyse post-hoc suggère une amélioration du pronostic des patients qui présentent un traumatisme crânien grave et dans une moindre mesure lorsque le TQratio est > 1.20. Le bénéfice sur la survie et sur la diminution de transfusion massive reste ainsi à démontrer formellement sur un collectif de patients ayant une forte probabilité d’administration de produits sanguins. Ce travail confirme aussi la probable faible utilité d’un algorithme basé sur les TVE chez les patients qui n’en ont pas besoin, autrement dit qui ne présentent pas d’hémorragie significative. Enfin, la place des TVE dans la prise en charge des hémorragies traumatiques graves doit être étudiée dans des stratégies hybrides, associant dans un premier temps, pour les patients les plus graves, l’administration de packs transfusionnels et la réalisation de TVE afin de pouvoir ajuster, dès que cela est possible, la stratégie transfusionnelle [9, 10].

 

REFERENCES

[1]      Wikkelso A, Wetterslev J, Moller AM, Afshari A. Thromboelastography (TEG) or rotational thromboelastometry (ROTEM) to monitor haemostatic treatment in bleeding patients: a systematic review with meta-analysis and trial sequential analysis. Anaesthesia 2017;72(4):519-31.

[2]      Hanke AA, Horstmann H, Wilhelmi M. Point-of-care monitoring for the management of trauma-induced bleeding. Curr Opin Anaesthesiol 2017;30(2):250-6.

[3]      Guth C, Vassal O, Friggeri A, Wey PF, Inaba K, Decullier E, et al. Effects of modification of trauma bleeding management: A before and after study. Anaesth Crit Care Pain Med 2019;38:469-76.

[4]      Nardi G, Agostini V, Rondinelli B, Russo E, Bastianini B, Bini G, et al. Trauma-induced coagulopathy: impact of the early coagulation support protocol on blood product consumption, mortality and costs. Crit Care 2015;19:83.

[5]      Schochl H, Nienaber U, Maegele M, Hochleitner G, Primavesi F, Steitz B, et al. Transfusion in trauma: thromboelastometry-guided coagulation factor concentrate-based therapy versus standard fresh frozen plasma-based therapy. Crit Care 2011;15(2):R83.

[6]      Stein P, Kaserer A, Sprengel K, Wanner GA, Seifert B, Theusinger OM, et al. Change of transfusion and treatment paradigm in major trauma patients. Anaesthesia 2017;72(11):1317-26.

[7]      Gonzalez E, Moore EE, Moore HB, Chapman MP, Chin TL, Ghasabyan A, et al. Goal-directed Hemostatic Resuscitation of Trauma-induced Coagulopathy: A Pragmatic Randomized Clinical Trial Comparing a Viscoelastic Assay to Conventional Coagulation Assays. Ann Surg 2016;263(6):1051-9.

[8]      Baksaas-Aasen K, Gall LS, Stensballe J, Juffermans NP, Curry N, Maegele M, et al. Viscoelastic haemostatic assay augmented protocols for major trauma haemorrhage (ITACTIC): a randomized, controlled trial. Intensive Care Med 2021;47(1):49-59.

[9]      Bugaev N, Como JJ, Golani G, Freeman JJ, Sawhney JS, Vatsaas CJ, et al. Thromboelastography and rotational thromboelastometry in bleeding patients with coagulopathy: Practice management guideline from the Eastern Association for the Surgery of Trauma. J Trauma Acute Care Surg 2020;89(6):999-1017.

[10]     Spahn DR, Bouillon B, Cerny V, Duranteau J, Filipescu D, Hunt BJ, et al. The European guideline on management of major bleeding and coagulopathy following trauma: fifth edition. Crit Care 2019;23(1):98.