Dans le contexte actuel de vagues épidémiques successives et d’un accès large et gratuit à une vaccination efficace et sûre, il existe une pression sociétale croissante pour que les personnes non-vaccinées ne pèsent plus sur le système de santé. Cette demande émane de certains soignants lassés, voire épuisés, par la place prise par la COVID au quotidien dans leur pratique, mais également de certains citoyens vaccinés et contrariés des restrictions ou des reports de leur prise en charge médicale ou chirurgicale du fait de la saturation du système de santé. De plus en plus de nos concitoyens affirment que les personnes non-vaccinées devraient assumer les conséquences du risque qu’elles prennent délibérément, comme de payer leur hospitalisation en cas de COVID, ou d’assumer de passer derrière les personnes vaccinées s’il manquait de places de réanimation. Aujourd’hui, dans nos services, de nombreux soignants sont gênés par ce choix individuel de non vaccination qui ne tient pas compte de l’intérêt collectif, que ce choix repose sur des arguments politiques, sur une conviction intime ou une peur irrationnelle, ou encore sur un défaut d’accès à l’information ou un manque de compréhension de celle-ci.
Ce choix individuel pourrait-il justifier une exclusion totale ou partielle de notre système de santé qui repose sur la solidarité ? Le contexte actuel pourrait-il justifier que l’accès au soin ne soit plus un droit pour chacun quelles que soient ses convictions ?
En tant que soignants, au quotidien, nous décidons des prises en charge des malades sur des critères médicaux en allouant les ressources disponibles pour maximiser les bénéfices au niveau individuel et collectif. La vaccination pourrait-elle être mobilisée comme un critère médical de priorisation ? Ces critères médicaux sont objectifs, c’est-à-dire basés sur des données scientifiques robustes et pertinentes, données qui évoluent avec les connaissances scientifiques disponibles. Pourtant aucun de ces critères pris isolément ne saurait suffire à justifier une inégalité d’accès aux soins. A gravité égale, la seule raison qui justifierait de retenir la vaccination comme critère médical de priorisation serait que celle-ci donne plus de chance de survie (en terme de quantité de vie et de qualité de vie). A ce jour, il n’existe pas de preuve scientifique solide pour l’affirmer.
Au-delà des critères médicaux, une priorisation qui se baserait sur un critère de mérite (les vaccinés seraient plus méritants que les non vaccinés) sort du champ médical et serait discriminatoire.
Gardons le recul et le calme nécessaire pour éviter une déviance vers une éthique d’exclusion des patients non vaccinés qui sont parfois aussi les plus vulnérables. Ne nous laissons pas guidés par des émotions mal maitrisées, alimentées par une infodémie permanente et la confusion des rôles entre les politiques, les administratifs, les scientifiques et les soignants. Continuons d’aller à la rencontre de la singularité de chacun de nos patients, d’appréhender ses volontés, ses valeurs et celles de ses proches, de nous concerter collégialement et de communiquer de façon claire et sincère nos décisions pour les rendre acceptables par tous. Chacun est libre d’accepter ou de refuser un traitement. C’est le cas pour la vaccination. Et quand bien même celle-ci deviendrait obligatoire, cela ne justifierait pas non plus de facto de ne pas prendre en charge ceux qui ne respecteraient pas la loi. De nombreuses conduites à risque pèsent sur le système de santé. Pour autant, elles ne sauraient justifier une limitation de l’accès aux soins.
Aujourd’hui et demain, comme nous l‘avons fait hier, les principes de l’éthique médicale et les valeurs du soin continueront de guider notre pratique sans discrimination.
Le 22 décembre 2021,
Pr Fabrice Michel, Dr Matthieu Le Dorze, Pr Gérard Audibert, Pr Pierre-François Perrigault. Comité Ethique de la Société Française d’Anesthésie Réanimation.