Futier E, Jaber S, Garot M, Vignaud M, Panis Y, Slim K, et al. BMJ 2022 ; 379: e071476. doi: 10.1136/bmj-2022-071476
Commentée par Christophe Aveline pour le Comité Scientifique de la SFAR
Mise en contexte de la question abordée par les auteurs
La chirurgie colorectale a bénéficié de l’évolution des techniques anesthésiques et chirurgicales au sein d’un parcours global de réhabilitation périopératoire. Cependant, les infections du site opératoire (ISO), malgré l’hétérogénéité des critères les définissant, peuvent concerner près de 20% des patients (1). Une antibioprophylaxie (ATB) orale associée à une préparation colique mécanique (PCM) réduit de 29% le risque d’ISO par rapport à une PCM seule et de 40% en l’absence de PCM (2). L’imprécision liées aux comparaison indirectes, les variations de durée et de modalité de l’ATB orale, l’utilisation d’une ATB intraveineuse (IV) et l’hétérogénéité des résultats réduisent la force de gradation de cette analyse en réseau (2). Malgré ces données méta-analytiques, la réalisation d’études randomisées multicentriques de qualité méthodologique satisfaisante est encore nécessaire. L’étude placébo-contrôlée proposée dans cette analyse se positionne dans cette perspective en testant le bénéfice sur les ISO d’un nitro-5 imidazolé oral (ornidazole) administré en préopératoire de chirurgies colorectales programmées.
Niveaux de preuve dans le contexte avant les résultats de cette étude
Une méta-analyse du groupe Cochrane (3) retrouve une réduction du risque d’ISO avec :
- ATB O ou IV vs contrôle/placébo (RR 0,34 [IC95% : 0,28-0,41], évidence GRADE de haut niveau)
- ATB IV + O vs IV seule (0,55 [0,43-0,71] ; évidence GRADE haut niveau)
- ATB IV + O vs O seule 0,52 [0,0,35-0,76] ; évidence GRADE haut niveau)
- Couverture du spectre aérobie et anaérobie vs aérobie seule (RR 0,46 [0,3-0,69])
- Absence de différence entre ATB O et IV (RR 2,31 [0,6-8,83])
- Poursuite d’une ATB au-delà du geste opératoire sans impact sur les ISO (RR 1,04 [0,85-1,27]) (4).
Dans une méta-analyse en réseau récente (5), on retrouve :
- l’association ATB IV + O + PMC et ATB IV + O + lavement (vs placébo) possèdent respectivement 86% et 85% de chance d’être les meilleures options pour la réduction du risque d’ISO.
- ATB IV + O est supérieure à l’ATB O seule (OR 0,14 [IC95% 0,06-0,33]) et IV seule (OR 0,27 [0,0,15-0,50])
- ATB IV + O + PMC et ATB IV + O + lavement possèdent un impact similaire sur les ISO (OR1,41 [0,83-2,42])
- une absence de bénéfice de l’ATB IV ou O (avec ou sans PMC/lavement) sur la mortalité et les complications secondaires (2-5).
Mise en perspective des forces / limites méthodologiques de l’étude
Forces : cette étude randomisée multicentrique utilise une méthodologie rigoureuse, des critères de jugement pertinents (ISO globales dans les 30 jours suivant l’intervention) avec un effectif théorique atteint et analysé en intention de traiter. Malgré l’absence de compensation pour données manquantes, l’effectif global est inclus dans l’analyse et le bénéfice sur le critère de jugement principal préservé en per-protocole. La réduction de 40% de l’incidence des ISO, similaire à celle souhaitée en prérequis, doit être interprétée comme le bénéfice de l’association ATB IV + O vs IV seule dans un collectif comprenant 35% de résection rectale jugé plus à risque. La céfoxitine IV qui constituait la référence de l’ATB en chirurgie colorectale lors de l’établissement de cette étude, possède une activité intrinsèque partielle sur la flore anaérobie et la prévalence de résistance aux Bacteroides spp est passée de 3% à 17% en 20 ans (6). Dans cette étude, l’incidence globale des ISO (17,5%) est assez élevée. Le bénéfice identifié sur le critère de jugement principal concerne essentiellement les ISO profondes ou liées à un organe. Les résultats obtenus sont concordants avec les analyses systématiques (3, 5). La flore identifiée dans les ISO retrouve une prévalence de cocci aérobie Gram-positif et de bacille aérobie Gram-négatif comme attendu dans ces localisations chirurgicales, avec une faible présence d’anaérobie (<5%). Le bénéfice sur le critère principal est affecté d’une interaction liée à la réalisation d’une PCM avec une réduction des ISO avec l’ornidazole en présence d’une PCM. Cette stratégie, bien que non promue par les investigateurs, était laissée à l’appréciation des cliniciens (34% des patients dont 17% avant colectomie) malgré les recommandations françaises proposant d’éviter la PCM (accord fort, grade 1) avant chirurgie colique (7). Les deux groupes ont reçu 2g de céfoxitine avant l’incision conformément aux recommandations sur l’ATB en vigueur lors du début des inclusions. Le protocole n’a pas été modifié après l’actualisation SFAR 2018 (ajout de métronidazole IV) mais l’analyse post-hoc a éliminé une interaction potentielle.
Limites : La définition des complications septiques systémiques sévères (« SIRS » et choc septique) utilisée par les auteurs (8) diffère de celle actuellement en vigueur depuis 2016 (9), limitant l’extrapolation des résultats. La protection identifiée sur les ISO sévères avec signes systémiques ou sur les désunions anastomotiques doit être interprétée avec précaution étant donné la limite supérieure de l’IC95% affleurant la non-significativité et le caractère secondaire de ces critères. On remarque aussi une forte utilisation de drainage (42%) et un profil apport IV peropératoire non restrictif le plus souvent administré sans monitorage du débit cardiaque (22%), ces deux éléments ayant pu affecter la durée de l’iléus postopératoire. Le caractère pragmatique de l’étude explique cette discordance ainsi que l’absence d’impact sur la durée de séjour ou d’iléus, avec ou sans ISO. Un sous-dosage potentiel de la céfoxitine pour les patients de plus de 100kg (les patients étaient exclus seulement si l’IMC≥ 35kg/m2) est une limite potentielle décrite par les auteurs mais concerne les deux bras de traitement et a pu influencer le taux élevé global d’ISO. Les auteurs n’ont pas non plus décrit si une chimiothérapie néoadjuvante avait été utilisée avant chirurgie, thérapeutique fréquente avant chirurgie rectale en particulier, pouvant modifier la flore digestive vers un profil pathogène comme le suggère une étude récente avec séquençage de l’ARN d’une des sous-unités ribosomales du microbiome intestinal (10). Enfin, le bénéfice sur le critère principal est associé à une interaction significative avec la présence d’une PCM.
Conclusion de l’étude : Cette étude multicentrique confirme la fiabilité incertaine de la cefoxitine seule en l’absence d’un imidazolé en chirurgie colorectale programmée. Il persiste une interrogation non abordée par les auteurs sur un risque plus élevé de pneumopathies postopératoires dans le groupe traite (RR ajusté 2,24 [1,22-4,19]). Elle renforce les modifications apportées au référentiel publié en 2018 par la SFAR. L’utilisation d’une forme orale d’un nitro-5 imidazolé constitue une alternative satisfaisante en l’absence d’utilisation d’une forme IV. Cependant, l’actualisation des RFE en 2018 (recommandant métronidazole + cefoxitine) réduit la portée clinique de cette étude initiée avant sa diffusion. Enfin, cette étude positionne l’ornidazole comme équivalent à une préparation colique non mécanique sur la flore digestive.
Implications potentielles de ces nouvelles connaissances à la vue des données préexistantes.
Sur la pratique de l’expert
Pas de modification des pratiques cliniques pour une chirurgie colorectale programmée, mais doit renforcer nos taux d’application des recommandations SFAR 2018 intégrant l’usage d’un nitro-5 imidazolé IV à la céfoxitine.
Sur la recherche future dans cette aire médicale.
Stratégies potentielles : malgré une faible prévalence d’anaérobies dans les ISO de cette étude mais le risque de synergie bactérienne par absence d’imidazolé, il est licite de proposer une comparaison ornidazole oral + métronidazole IV vs placébo + métronidazole IV (avec céfoxitine IV dans les deux bras). Deux études (clinicaltrials.gov) sur le sujet de la préparation non mécanique évaluant l’ornidazole : NCT 03475680 – NCT 03491540
Pour compléter votre lecture – article sur ce theme dans la revue Anesthesia, Critical Care and Pain Medicine:
Martin C. et al. Antibioprophylaxis in surgery and interventional medicine (adult patients). Update 2017. Anaesth Crit Care Pain Med. 2019 Oct;38(5):549-562.
Pour compléter votre lecture – RFE/RPC de la SFAR sur le sujet :
Actualisation de recommandations : Antibioprophylaxie en chirurgie et médecine interventionnelle. (patients adultes) 2018
Prévention de l’hypothermie peropératoire accidentelle au bloc opératoire chez l’adulte