Mis en ligne le 14 Janvier 2010
Questions Fréquentes

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Fabrice Michel, Claude Martin
Service d’anesthésie-réanimation et centre de traumatologie – Hôpital Nord
Bd Pierre Dramard, 13915 Marseille

Introduction

Les médecins anesthésistes-réanimateurs ont un large choix de solutés lorsqu’il s’agit de réaliser une expansion volémique chez un patient. Du fait de leur grande efficacité, du faible risque allergique et de leur prix inférieur à l’albumine, les hydroxyethylamidons (HEA) sont parmi les solutés les plus largement utilisés en réanimation. Selon les produits proposés, les molécules d’HEA possèdent des caractères physico-chimiques différents leur conférant des propriétés pharmacocinétiques particulières. Les premiers HEA de haut poids moléculaire (PM) présentaient des effets secondaires majeurs, en particulier sur la coagulation, et ont conduit à la fabrication de molécules de poids moléculaire de plus en plus faible. Parmi les complications qui peuvent survenir lors de l’utilisation d’un HEA, l’atteinte de la fonction rénale a fait couler beaucoup d’encre et le débat persiste à ce jour alimenté par de nouvelles publications. Les mécanismes physiopathologiques de ces dysfonctions rénales restent incertains et mal compris et les effets connus des HEA semblent pouvoir être retrouvés avec tous les colloïdes. L’utilisation d’HEA aux doses recommandées ne paraît pas pouvoir à elle seule expliquer la survenue d’une insuffisance rénale. Par contre, dans certaines situations cliniques pourvoyeuses de dysfonction rénales, les HEA peuvent être responsable d’une aggravation de la fonction rénale. La greffe de rein et le sepsis sévère sont deux situations courantes au cours desquelles les reins sont exposés aux solutés de remplissage alors que la vascularisation du rein est déjà défaillante.

Question 1 – HEA et toxicité rénale : quelle physiopathologie ?

Question 2 – Quelles sont les conséquences cliniques ?

Conclusion

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Question 1 – HEA et toxicité rénale : quelle physiopathologie ?

Trois mécanismes ont été avancés pour expliquer la survenue d’une dysfonction rénale après administration d’HEA. Le premier est lié à des modifications de l’hémodynamique intra-rénale. Au niveau des capillaires glomérulaires, la pression de filtration est fonction de la pression sanguine dans le capillaire, de la pression de l’ultratfiltrat régnant dans la capsule de Bowman et enfin de la pression oncotique plasmatique. Ces deux dernieres s’opposent à la première. Du fait de la filtration glomérulaire, la pression oncotique augmente progressivement entre l’artériole afférente et l’artériole efférente. Ainsi, la pression de filtration, diminue progressivement pour s’annuler lorsque le sang quitte les capillaires glomérulaires. La pression de filtration glomérulaire physiologique est d’environ 45 mmHg. En dessous de 25 mmHg cette pression devient insuffisante pour assurer une filtration efficace. L’augmentation importante de la pression oncotique provoquée par l’administration d’un colloïde va contre-balancer la pression de filtration glomérulaire existante dans les capillaires et provoquer un arrêt de la filtration glomérulaire avant que le sang ne quitte les capillaires glomérulaires et diminuer ainsi la filtration glomérulaire. Le pouvoir oncotique des solutions d’HEA peut varier entre 35 et 80 mmHg selon la concentration du soluté. L’effet délétère de cette variation de pression de filtration est d’autant plus important qu’il existe d’autres facteurs associés comme un état de choc ou des lésions rénales vasculaires préexistantes. L’accumulation plasmatique qui existe avec les HEA fortement substitués peut également favoriser ce phénomène physiopathologique lors d’administrations répétées du fait de l’augmentation des concentrations plasmatiques.
L’augmentation de la filtration des grosses molécules de 50 à 60 kD pourrait par ailleurs augmenter la viscosité de l’urine tubulaire ce qui, associé au dépôt des colloïdes au niveau tubulaire, altèrerait l’écoulement urinaire réduisant encore la pression de filtration efficace.
Le troisième mécanisme physiopathologique invoqué est la néphrose osmotique (1). Il s’agit de lésions histologiques vacuolées des cellules des tubules proximaux observées en microscopie. Il a été montré que certaines molécules pénètrent dans la cellule par pinocytose et les vacuoles ainsi formées fusionnent les unes avec les autres puis avec les lysosomes. Ce mécanisme a été clairement démontré avec certains oses, comme le glucose ou le maltose, avec le mannitol ou encore les dextrans ou les produits de contraste iodés. Il en résulte un gonflement de la cellule tubulaire lié à l’accumulation de ces vacuoles. Ce phénomène est favorisé par certaines conditions. L’entrée dans la cellule par pinocytose est fonction de la quantité de molécule administrée. La rétention dans les vacuoles est d’autant plus importante que les molécules seront difficilement dégradées par les enzymes lysosomiales. Enfin, l’ischémie ou des lésions rénales préexistantes pouvant altérer la digestion lysosomiale favorisent la persistance de vacuoles intracellulaires.
Ces lésions histologiques ont pu être observées chez l’animal puis plus tard chez l’homme, sur des reins de donneurs d’organes ayant reçu des HEA. Pourtant, leurs conséquences cliniques n’ont jamais pu être formellement démontrées. De plus, aucune molécule d’HEA n’ait jamais pu être mise en évidence dans les vacuoles cytoplasmiques. Il est important de noter que ces lésions n’ont pour l’instant pas été rapportées lors de l’utilisation d’HEA faiblement substitués.

Question 2 – Quelles sont les conséquences cliniques ?

Les HEA sont, à l’évidence, efficaces pour augmenter la volémie des patients en état de choc. Ils pourraient aussi être intéressants pour améliorer la microcirculation et réduire le niveau de molécules d’adhésion solubles circulantes. En pratique clinique les effets rénaux des HEA restent peu apparents malgré une utilisation très large. De plus, leur potentielle néphrotoxicité est liée à des mécanismes non spécifiques, retrouvés avec les autres colloïdes. La littérature, très abondante sur ce sujet, laisse cependant penser que tous les HEA n’ont pas les mêmes effets sur la fonction rénale et certaines situations pathologiques peuvent aggraver ces effets. Les premières interrogations des cliniciens sont intervenues suite à la publication de cas cliniques au début des années 1990. Deux patients insuffisants rénaux ont présenté une aggravation aiguë suite à l’administration d’HEA. D’autres cas cliniques par la suite ont été rapportés en particulier chez une patiente sans antécédent notable ayant développé une insuffisance rénale aiguë postopératoire et chez un patient de 20 ans traité par échanges plasmatiques pour une polymyosite. Les biopsies rénales révélaient alors des lésions proches de celles rencontrées dans la néphrose osmotique.
Plusieurs travaux prospectifs et rétrospectifs ont par la suite rapporté une altération de la fonction rénale lors de l’utilisation d’HEA. Ces travaux ont conduit à des recommandations particulières limitant les doses totales et la durée d’utilisation de ces solutés.

2.1. HEA et Transplantation rénale
Legendre et al. dès 1993 observent un nombre croissant de reins de donneurs présentant des lésions histologiques de néphrose osmotique (2). Cette observation est faite alors que l’Elohès® 6% 200/0,6 avait été introduit deux ans auparavant. Les résultats de cette étude rétrospective confirment que l’utilisation d’Elohès®6% pendant la réanimation du donneur est responsable de lésions de néphrose osmotique dans 80% des cas contre 14% l’année précédent la commercialisation de l’Elohès®. Bien que ces lésions aient été observables plusieurs années après la transplantation, le pronostic fonctionnel des greffons n’était pas modifié entre les deux groupes. La même équipe a alors conduit une étude prospective, interrompue lors de l’analyse intermédiaire du fait d’une reprise fonctionnelle moins rapide des greffons provenant de donneurs ayant reçu l’HEA (3). De nombreuses critiques sont venues nuancer les conclusions de ce travail. D’autres travaux ont d’ailleurs remis en cause l’effet délétère de l’HEA sur le devenir des greffons. L’étude de Deman et al. critiquable aussi du fait des doses assez faibles d’HEA qu’avaient reçus les donneurs, ne retrouvait pas de différence significative sur la reprise de fonction du greffon entre un HEA 200/0,6, un HEA 450/0,7 et une gélatine. L’utilisation d’HEA 450/0,7 était associée à une créatininémie plus élevée une semaine et jusqu’à 14 jours après la greffe. Cependant cette différence pouvait être expliquée par un tableau clinique plus grave des donneurs dans le groupe HEA de haut PM (4).
Blasco et al. ont comparé dans une étude rétrospective l’évolution des greffons de deux groupes de patients greffés sur deux périodes différentes (5). L’une pendant laquelle les donneurs avaient été traités par HEA 200/0,6 (l’Elohès®), la seconde pendant laquelle les donneurs étaient traités par HEA 130/0,4 (Voluven®). Trente-deux donneurs ont été appariés sur les deux périodes. La reprise de fonction du greffon n’était pas différente dans les deux groupes (p=0,27) en revanche, l’utilisation de l’Elohès® était associée à une créatininémie du donneur à 1 mois, plus élevée que lors de l’utilisation du Voluven® (p<0,005). Cette différence existait toujours 1 an après la greffe (p<0,05). Il faut noter que les donneurs dans le groupe Voluven® ont reçu significativement plus de cristalloïdes ce qui est susceptible d’avoir diminuer l’effet hyperoncotique précédemment décrit.

2.2. HEA et Péri-opératoire
De nombreux travaux ont évalué l’efficacité et la tolérance des HEA versus l’albumine ou d’autres colloïdes de synthèse dans la prise en charge de l’hypovolémie per ou postopératoire immédiate. Malgré cette littérature abondante, il est difficile d’isoler un seul travail pouvant incriminer sérieusement les HEA de moyen et bas PM dans la survenue d’une dysfonction rénale. Toutes les études prospectives menées au cours des dernières années laissent penser que l’utilisation d’HEA de moyen et bas PM en péri-opératoire n’entraine pas de complication rénale. La mise sur le marché des HEA de bas PM a stimulé encore la recherche dans le domaine. Boldt et al ont montré certains marqueurs très sensibles de la dysfonction tubulaire (_-1-microglobuline, NAG, Protéine de Tann-Horsfall) pouvaient augmenter lors de l’utilisation d’HEA en chirurgie cardiaque chez des patients de plus de 70 ans (6). Cependant, du fait de l’extrême sensibilité de ces marqueurs, il est difficile de rattacher leur élévation aux HEA. Plusieurs travaux récents prospectifs et randomisés comparant l’utilisation des HEA de bas PM à l’albumine ou à d’autres macromolécules en période péri-opératoire n’ont pas retrouvé d’effet délétère sur la fonction rénale que ce soit chez l’adulte ou chez l’enfant (7-9).

2.3. HEA et Sepsis
Les états septiques graves en réanimation sont responsables d’hypovolémie parfois majeures, de troubles microcirculatoires, de troubles de la coagulation et de dysfonction rénale. L’utilisation d’HEA dans ces situations est largement répandue en association avec les cristalloïdes (10). Pourtant, c’est dans cette situation que les effets rénaux des HEA semblent les plus importants avec potentiellement un retentissement clinique significatif.
Dans le travail de Schortgen et al. (11) incluant 129 patients avec sepsis sévère ou choc septique, deux groupes étaient randomisés pour recevoir soit un HEA 200/0,6, soit une gélatine. Les patients ayant reçu l’HEA ont développé plus d’insuffisance rénale que les patients ayant reçu la gélatine dans les 34 jours ayant suivi l’inclusion (p=0,018). L’analyse multivariée retrouvait l’utilisation d’HEA comme facteur indépendant de survenue d’une insuffisance rénale aiguë. Même si le pronostic des patients (durée de séjour, mortalité, épuration extra-rénale) n’était pas différent dans les deux groupes ce travail a été à l’origine de la limitation de l’utilisation de ces HEA au cours du choc septique. Les recommandations de la conférence de consensus de 2005 SFAR/SRLF sur la prise en charge du sepsis sévère sont d’ailleurs sans équivoque et recommande l’utilisation de cristalloïdes ou d’HEA de PM < 150 kD.
L’HEA 200/0,5 utilisé dans l’étude de Boldt et al. n’avait pas montré de différence significative sur le devenir de la fonction rénale par rapport à l’albumine. Cependant le suivi des patients s’arrêtait à J5 (12). La récente étude VISEP a évalué la morbidité et la mortalité jusqu’à 90 jours chez 537 patients en sepsis sévère ou choc septique (13). Cette étude multicentrique, randomisée comparait un groupe de patient recevant un HEA 200/0,5 10% et l’autre recevant des cristalloïdes. Chaque groupe était divisé en deux sous groupes recevant soit une insulinothérapie « standard », soit une insulinothérapie agressive. L’utilisation d’HEA était associé à une défaillance rénale plus fréquente (34.9% vs 23.2% ; p<0,003) ainsi qu’un plus grand nombre de patient nécessitant une épuration extra-rénale 31% vs 18.8% (p < 0.001). Ce recours à l’épuration extra-rénal était corrélé à la dose cumulée d’HEA utilisée (p<0,001). Quelques remarques peuvent cependant venir atténuer la portée des résultats. Tout d’abord il s’agissait d’un HEA concentré à 10% ce qui favorise la survenue d’une insuffisance rénale d’origine hyperoncotique et aurait pu être observée avec de nombreuses autres molécules. Ensuite il faut noter que les doses d’HEA dépassaient les recommandations (> 20 ml/kg) et que ces derniers ont parfois était utilisés jusqu’à 21 jours après l’inclusion. Les phénomènes d’accumulation ont pu donc jouer un rôle important dans la survenue de des atteintes rénales. Pour finir, l’HEA a été ici comparé à un cristalloïde dénué de tout effet oncotique contrairement aux gélatines utilisées dans l’étude de Schortgen et al. Sans aucun doute en tous cas, les résultats de cette étude confirment la toxicité rénale des HEA de PM moyen au cours du sepsis sévère ou du choc septique. Les propriétés pharmacocinétiques de l’HEA 130/0,4 pourraient en faire un soluté utilisable dans le sepsis mais à ce jour aucun travail n’a évalué ses effets sur la fonction rénale dans ce cadre.

Conclusion

Les HEA ont connu plusieurs évolutions depuis leur découverte. Les HEA de haut poids moléculaire semble responsables de complications trop importantes pour pouvoir recommander leur utilisation. Les HEA de 2e génération, largement employés au cours des 15 dernières années ont montré un rapport bénéfice/risque satisfaisant. Pourtant, ils peuvent être responsables d’atteintes rénales en particulier dans les cas où la fonction rénale est déjà altérée. Plusieurs mécanismes physiopathologiques peuvent être impliqués dan la survenue de ces insuffisances rénales. Ces mécanismes peuvent être retrouvés avec d’autres colloïdes de synthèses. Dans la prise en charge du sepsis sévère et du choc septique ainsi que dans la réanimation des patients en état de mort encéphalique l’HEA le plus approprié est l’HEA de 3e génération 130/0,4. Des études cliniques prospectives de grande ampleur devront confirmer son absence de toxicité au niveau rénal chez les patients de réanimation. Dans tous les cas il est indispensable de respecter les doses d’HEA recommandées selon la molécule utilisée.

Bibliographie

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2. Legendre C, Thervet E, Page B, Percheron A, Noël LH, Kreis H. Hydroxyethylstarch and osmotic-nephrosis-like lesions in kidney transplantation. Lancet. 1993 Jul 24 ;342(8865):248-9.
3. Cittanova ML, Leblanc I, Legendre C, Mouquet C, Riou B, Coriat P. Effect of hydroxyethylstarch in brain-dead kidney donors on renal function in kidney-transplant recipients. Lancet. 1996 Déc 14 ;348(9042):1620-2.
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9. Hanart C, Khalife M, De Villé A, Otte F, De Hert S, Van der Linden P. Perioperative volume replacement in children undergoing cardiac surgery : Albumin versus hydroxyethyl starch 130/0.4. Crit Care Med. 2009 Dec 26
10. Schortgen F, Deye N, Brochard L. Preferred plasma volume expanders for critically ill patients : results of an international survey. Intensive Care Med. 2004 Dec ;30(12):2222-9.
11. Schortgen F, Lacherade JC, Bruneel F, Cattaneo I, Hemery F, Lemaire F, Brochard L. Effects of hydroxyethylstarch and gelatin on renal function in severe sepsis : a multicentre randomised study. Lancet. 2001 Mar 24 ;357(9260):911-6.
12. Boldt J, Müller M, Mentges D, Papsdorf M, Hempelmann G. Volume therapy in the critically ill : is there a difference ? Intensive Care Med. 1998 Jan ;24(1):28-36.
13. Brunkhorst FM, Engel C, Bloos F, Meier-Hellmann A, Ragaller M, Weiler N, Moerer O, Gruendling M, Oppert M, Grond S, Olthoff D, Jaschinski U, John S, Rossaint R, Welte T, Schaefer M, Kern P, Kuhnt E, Kiehntopf M, Hartog C, Natanson C, Loeffler M, Reinhart K. Intensive insulin therapy and pentastarch resuscitation in severe sepsis. N Engl J Med. 2008 Jan 10 ;358(2):125-39.

Fabrice Michel, Claude Martin