Mis en ligne le 2 Septembre 2009
Questions Fréquentes
Charles Marc SAMAMA
Service d’anesthésie-réanimation
Hôtel-Dieu de Paris
Courriel : marc.samama@htd.aphp.fr
Les substituts colloidaux du plasma interfèrent théoriquement avec l’hémostase. Ils vont tout d’abord développer un effet indirect plus ou moins marqué en majorant l’hémodilution, mais certains, comme les dextrans et les hydroxyéthylamidons (HEA) de haut poids vont également interagir directement avec l’hémostase. Ces solutés ont pour certains été tenus responsables de la survenue de complications hémorragiques périopératoires, alors que cet effet secondaire n’a jamais vraiment été rapporté pour les gélatines ou l’albumine. L’arrivée sur le marché d’HEA à faible degré de substitution interférant peu ou pas avec l’hémostase modifie favorablement la donne. Les solutés cristalloïdes n’influencent quant à eux guère l’hémostase, leurs effets très modestes ne seront pas repris ici.
Question 1 – Quels sont les effets indirects des colloides ?
Question 2 – Quels sont les effets directs des colloides ?
Question 3 – Effets des colloides sur l’hémostase : conséquences pratiques
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Question 1 – Quels sont les effets indirects des colloides ?
Tous les solutés colloïdes induisent une réduction de l’hématocrite proportionnelle à leur pouvoir d’expansion volémique. Cet effet peut interférer avec l’hémostase primaire de la façon suivante : si l’hématocrite diminue de manière importante, les globules rouges sont moins nombreux, permettant ainsi aux plaquettes de circuler également dans le centre du vaisseau. Les plaquettes vont donc être moins présentes en périphérie, même si leur nombre absolu est le même qu’en présence d’un hématocrite élevé. Le nombre d’interactions statistiques entre ces plaquettes et le sous-endothélium va être réduit, et l’adhésion des plaquettes diminue. D’autres phénomènes modifient l’hémostase primaire en interférant cette fois avec l’agrégation plaquettaire : la capture des érythrocytes par les filaments de fibrine du caillot d’hémostase et leur rupture occasionnelle induit une libération d’adénosine diphosphate (ADP) qui est un inducteur de l’agrégation. Parallèlement les érythrocytes agissent directement sur le métabolisme de l’acide arachidonique plaquettaire, sur le relargage des eicosapentaenoates et sur la synthèse de thromboxane, également puissant inducteur de l’agrégation. Cette dernière est donc majorée en présence d’érythrocytes, et elle diminue si le nombre des érythrocytes est réduit. Enfin, un troisième composant est à prendre en compte : les globules rouges, en mettant à disposition leurs membranes phospholipidiques, vont favoriser la génération de thrombine et, inversement une chute de l’hématocrite peut limiter théoriquement cette production.
Les globules rouges jouent donc un rôle important dans l’hémostase, même s’il existe beaucoup d’arguments expérimentaux mais encore assez peu d’arguments cliniques (1). En conséquence une hémodilution secondaire à un remplissage vasculaire peut constituer un facteur de risque hémorragique additionnel, même après une chute modérée de l’hématocrite. Le risque hémorragique croit théoriquement en dessous d’un seuil de 27 % mais il a été suggéré que chez le patient qui saigne activement, une valeur plus élevée de l’hématocrite était nécessaire (30 % voire 35 %…).
La diminution induite concommitante du taux de plaquettes et de facteurs, bien qu’insuffisante pour mettre en péril l’hémostase, doit néanmoins être prise en compte dans ce cadre, surtout en présence d’une thrombopénie pré-existante ou d’une coagulopathie.
Question 2 – Quels sont les effets directs des colloides ?
Les effets des colloïdes sur l’hémostase sont fonction du type de molécule utilisée.
Albumine
L’absence d’effet délétère propre de l’albumine vis-à-vis de l’hémostase a pu être montré à de nombreuses reprises. D’ailleurs, elle a souvent été utilisée comme soluté de référence dans les travaux qui évaluaient le retentissement sur l’hémostase de l’HEA et des dextrans. Ces travaux sont maintenant anciens, mais ils gardent la même signification : l’albumine n’interfère pas directement avec l’hémostase.
Gélatines
Les gélatines ont acquis une réputation de neutralité vis-à-vis de l’hémostase. Force est de constater qu’en dépit de l’absence d’étude convaincante, il est généralement admis que les interactions sont faibles, si interactions il y a. Les opinions, rares, sont pourtant partagées.
Une grande série, conduite par Zerr et coll., réalisée en chirurgie cardiaque compare une gélatine à pont d’urée (Haemaccel®) et une gélatine fluide modifiée (Plasmion®) comme solutés de priming en chirurgie cardiaque (2). Ce travail ne met pas en évidence de différence entre les deux gélatines en ce qui concerne le volume des pertes hémorragiques postopératoires et la consommation en produits sanguins.
Un travail de de Jonge et coll. chez des volontaires sains compare l’effet de la perfusion de 1000 mL de gélatine fluide modifiée à 4% (Gelofusine®) au même volume de sérum physiologique (3). Le temps de saignement est allongé dans le groupe gélatine et, après correction du facteur dilution, il faut tout de même observer une diminution du l’activité du facteur Willebrand et des complexes thrombine-antithrombine, témoignant d’un effet modeste mais réel de la gélatine sur l’hémostase.
Néanmoins, la très large utilisation des gélatines et l’absence d’accidents rapportés permet de conclure à un faible risque hémorragique directement induit par ces produits.
Dextrans
Tous les dextrans sont susceptibles d’entrainer des troubles de l’hémostase dont la nature n’est pas univoque et semble dépendre du poids moléculaire moyen de la solution, et de la quantité administrée (4). Les anomalies de l’hémostase apparaissent si le poids moléculaire est supérieur à 40 kd, et si la quantité perfusée est supérieure à 1,5 g/kg de poids/jour. Le facteur Willebrand est touché en premier lieu : il serait adsorbé sur la molécule de dextran. Il a pu être montré une modification de la structure du Willebrand avec diminution progressive des multimères de grande taille. Ces modifications sont comparables à celles observées dans la maladie de Willebrand de type I. La chute du Willebrand entraîne une diminution de la concentration en facteur VIII.
Outre les effets précédemment décrits sur le facteur Willebrand, les dextrans sont susceptibles d’altérer la polymérisation de la fibrine. L’accélération de la conversion du fibrinogène en fibrine par la thrombine en présence de dextran est décrite. La cinétique de formation de la fibrine et la structure des caillots de fibrine sont ainsi altérées et les caillots formés in vitro sont lysés plus facilement par la plasmine. Cet effet est dose-dépendant. Le système fibrinolytique proprement dit n’est pas affecté par la perfusion de dextran et la concentration plasmatique de ce qui va devenir l’inhibiteur de l’activiteur du plasminogène n’est pas modifée.
Ces effets sur la coagulation expliquent la majoration du saignement observée dans certaines études utilisant le dextran, mais aussi l’utilisation large de ce dernier il y encore peu de temps en Scandinavie comme antithrombotique. Hydroxyéthylamidons (HEA)
Les interactions entre les hydroxyéthylamidons et l’hémostase dépendent de la fixation du complexe VIII/facteur Willebrand aux molécules d’HEA (5). Cette fixation est proportionnelle à la quantité de molécules d’amidon circulantes. Elle facilite l’élimination de l’HEA induisant ainsi un déficit quantitatif qui va produire, comme pour les dextrans, un syndrome de type Willebrand de type I–like. Les troubles sont donc plus fréquents avec des amidons difficiles à métaboliser. La dose totale d’amidon (quantité ou concentration), le poids moléculaire, le degré de substitution et le ratio C2/C6 conditionnent la durée d’action mais aussi la survenue d’effets secondaires. Une dose importante, un poids moléculaire plus élevé, un degré de substitution > 0.55 et/ou un ratio ≥ 8 sont responsables d’une moins bonne dégradation de la molécule et par conséquent d’une accumulation de celle-ci dans les tissus. Le poids moléculaire in vivo rend assez bien compte de cet ensemble et devient critique quand il dépasse 90 kD. Cette donnée est également vérifiée pour l’atteinte de la fonction rénale.
Ce mécanisme d’action permet de mieux comprendre les accidents observés avec les amidons de haut poids moléculaire (Hétastarch, non commercialisé en France) (6) et, relativement, les interactions avec l’hémostase de l’HEA 200 000/6%/0,62 (Elohès®), surtout quand il était utilisé de manière prolongée. Il n’éxonère pas totalement les amidons au degré de substitution plus faible (0,5) et au ratio C2/C6 plus bas comme l’HEA 200 000/6%/0,5 de PM in vivo 110Kda – (Hesteril®, Heafusine® ou Plasmohès®) , si le volume perfusé est important. Un travail de Treib et coll. a pu montrer qu’après 10 jours d’hémodilution avec différents hydroxyéthylamidons à la dose de un litre par jour, ceux d’entre eux qui avaient le poids moléculaire in vivo le plus élevé s’éliminaient le plus mal et étaient responsables d’une chute importante du taux de facteur Willebrand (5). Ainsi, par exemple, l’activité du facteur Willebrand diminuait de près de 45 % à J5, et de 60% à J10 avec l’Elohès® alors qu’avec un amidon proche de l’Hestéril®, elle ne bougeait quasiment pas.
Un HEA de plus faible poids moléculaire in vivo est à présent largement utilisé en Europe : l’HEA 130 000/6%/0,4 (Voluven®). Il a fait preuve d’une certaine neutralité vis-à vis de l’hémostase. Un travail réalisé en chirurgie orthopédique et comparant un un HEA 200 000/6%/0,5 avec le Voluven® a pu montrer une différence significative pour les pertes sanguines mais surtout vis à vis de la transfusion homologue, le tout en défaveur de l’HEA 200 000/6%/0,5 (7). Dans cette étude, le taux de facteur VIII était significativement moins diminué et le temps de céphaline activateur (TCA) était moins allongé, à la 5ème heure post-opératoire dans le groupe Voluven®.
Un travail réalisé en chirurgie cardiaque n’a pas montré de différence entre une gélatine de référence et le Voluven® vis à vis des pertes sanguines et de la transfusion de culots globulaires (8). Chez des patients traumatisés crâniens, de l’HEA 130/0,4 a été administré à doses répétées jusqu’à une dose maxi de 70 ml/kg/j alors que le groupe contrôle était traité avec un HEA 200/0,5 à la dose maximale de 33 ml/kg/j avec un complément par de l’albumine pour atteindre une dose totale de 70 ml/kg/j (9). Il n’a pas été mis en évidence de différence entre les deux groupes en termes de mortalité ou de majoration du risque hémorragique ou transfusionnel, dans cette situation clinique réputée pour sa complexité.
Un travail de Gandhi et coll, réalisé chez des pateints orthopédiques et comparant, l’Hétastarch (6%/670 /0,75) au Voluven® a montré l’efficacité comparable et la très bonne tolérance de l’HES 130/0,4, avec moins d’effet sur la coagulation pour ce dernier (10).
En 2001, Franz et coll. Avaient mis en évidence l’implication de tous les amidons dans la diminution de l’expression de la glycoprotéine plaquettaire GP IIb-IIIa et dans l’altération de l’hémostase primaire évaluée par le PFA 100. Seul l’HES 130/0.4 (Voluven®) échappait à ce type d’altération (11). Un effet plus marqué de l’HES 130 sur des données thromboélastographiques a pourtant été récemment montré par Mittermayr et coll., comparativement à des cristalloides, conduisant à un apport complémentaire de concentrés de fibrinogène chez ces patients. Mais il est vrai que ce type de test évalue mal les fonctions plaquettaires (12). La polymérisation de lafibrine pourrait être modifiée avec l’HES130/0,4.
Enfin, pour faire une sorte de synthèse, une analyse poolée des données individuelles de 7 études (449 patients) a montré en 2008 la meilleure tolérance de l’HES 130/0,4 comparativement à l’HES 200/0,5 avec moins de saignement, moins de transfusion, moins d’effets sur la coagulation, mais une efficacité comparable (13). En pratique donc, moins d’effets indésirables sur l’hémostase du Voluven® que les HEA plus anciens, mais un peu plus qu’avec les cristalloides…
Un certain nombre de problèmes ne sont pourtant pas résolus, en particulier celui de l’administration aiguë. En effet, il semble bien qu’une administration aiguë d’amidon, quel qu’il soit, puisse être rendue responsable d’une majoration des troubles de l’hémostase comparativement à une administration chronique.
Question 3 – Effets des colloides sur l’hémostase : conséquences pratiques
L’albumine, les gélatines et l’amidon 130 000/0,4 (Voluven®) n’interfèrent pas, ou quasiment pas avec l’hémostase. La prudence reste toutefois conseillée :
chez les patients insuffisants rénaux
en cas de perfusion prolongée ou de volume de colloïdes important ;
en cas de troubles de l’hémostase acquis ;
chez les patients traités par antiplaquettaires ou anticoagulants ;
en présence d’une anémie ou thrombopénie profonde ;
chez les patients porteurs d’une maladie de Willebrand ;
chez les patients de groupe sanguin O (ces patients ont spontanément un taux de Willebrand plus bas) (14) ;
en présence d’un saignement chirurgical actif ;
en présence d’une transfusion massive ou d’une hypothermie.
La question de l’interférence des amidons avec la polymérisation de la fibrine reste à évaluer même si son retentissement semble mineur.
Références
1. Ouaknine-Orlando B, Samama ChM. Hématocrite et hémostase. In : Samama ChM, de Moerloose P, Hardy JF, Sié P, Steib A et le Groupe d’Intérêt en Hémostase Périopératoire, eds. Hémorragies et thromboses périopératoires : approche pratique. Paris : Masson, 2000 ;113-119.
2. Zerr C, Lebreton P, Merville C, Nivaud M, Kaladji C, Khayat A : Effets comparatifs des gélatines fluides sur le saignement dans la chirurgie cardiaque de l’adulte. Cah. Anesth., 1988 ; 7, 527-532
3. de Jonge E, Levi M, Berends F, van der Ende AE, ten Cate JW, Stoutenbeek CP.Impaired haemostasis by intravenous administration of a gelatin-based plasma expander in human subjects. Thromb Haemost. 1998 ;79:286-90.
4. Bergqvist D : Dextran and haemostasis. A review. Acta Chir. Scand., 1982 ; 148, 633-640
5. Treib J, Baron JF, Grauer MT, Strauss RG. An international view of hydroxyethyl starches. Intensiv Care Med 1999 ;25:258-268.
6. Damon L, Adams M, Stricker RB, Ries C : Intracranial bleeding during treatment with hydroxythylstarch. N. Engl. J. Med., 1987 ; 317 : 964-965
7. Langeron O, Doelberg M, Ang ET, Bonnet F, Capdevila X, Coriat P. Voluven®, a lower substituted novel hydroxyethyl starch (HES 130/0.4), causes fewer effects on coagulation in major orthopedic surgery than HES 200/0.5. Anesth Analg 2001 ;92:855-62.
8. Haisch G, Boldt J, Krebs C, Suttner S, Lehmann A, Isgro F. Influence of a new hydroxyethyl starch preparation (HES 130/0.4) on coagulation in cardiac surgical patients. J Cardioth Vascular Anesth 2001 ;15:316-21.
9. Neff, T.A., Doelberg, M., Jungheinrich, C., Sauerland, A., Spahn, D.R., Stocker, R. Repetitive large-dose infusion of the novel hydroxyethyl starch 130/0.4 in patients with severe head injury. Anesth Analg 2003 ; 96 : 1453-1459
10. Gandhi SD, Weiskopf RB, Jungheinrich C, Koorn R, Miller D, Shangraw RE, Prough DS, Baus D, Bepperling F, Warltier DC : Volume replacement therapy during major orthopedic surgery using Voluven (hydroxyethyl starch 130/0.4) or hetastarch. Anesthesiology 2007 ; 106 : 1120-7
11. Franz A, Bräunlich P, Gamsjäger Th, Felfernig M, Gustorff B, Kozek-Langenecker SA. The effect of hydroxylethyl starches of varying molecular weights on platelet function. Anesth Analg 2001 ;92:1402-7.
12. Mittermayr M, Streif W, Haas T, Fries D, Velik-Salchner C, Klingler A, Oswald E, Bach C, Schnapka-Koepf M, Innerhofer P : Hemostatic changes after crystalloid or colloid fluid administration during major orthopedic surgery : the role of fibrinogen administration. Anesth Analg 2007 ; 105 : 905-17
13. Kozek-Langenecker SA, Jungheinrich C, Sauermann W, Van der Linden P : The effects of hydroxyethyl starch 130/0.4 (6%) on blood loss and use of blood products in major surgery : a pooled analysis of randomized clinical trials. Anesth Analg 2008 ; 107 : 382-90
14. Huraux C, Ankri A A, Eyraud D, Sevin O, Menegaux F, Coriat P, Samama CM. Hemostatic changes in patients receiving hydroxyethyl starch : the influence of ABO blood group. Anesth Analg 2001 ;92:1396-401
Charles Marc SAMAMA