Analyse réalisée par Bertrand Rozec pour le comité scientifique de la SFAR.
Contexte de l’étude :
Les inhibiteurs du système rénine angiotensine (iSRA) sont actuellement très largement recommandés et utilisés dans la prise en charge à long terme des patients hypertendus, et insuffisants cardiaques. Les anesthésistes réanimateurs sont donc très régulièrement confrontés à cette population et doivent gérer ces traitements en pré-opératoires. La poursuite ou de l’arrêt des iSRA exposeraient respectivement au risque accru d’hypotension peropératoire et à la décompensation de la pathologie sous-jacente (hypertension, insuffisance cardiaque).
Niveaux de preuves et connaissances avant la publication de l’article :
Une revue systématique de neuf études (cinq essais contrôlés randomisés et quatre études de cohorte) a montré que l’arrêt de la thérapie par les iSRA le matin d’une chirurgie non cardiaque (CNC) réduisait l’incidence de l’hypotension peropératoire1. Dans une étude de cohorte prospective, en plus de réduire les hypotensions artérielles, l’arrêt des iSRA 24h avant la chirurgie était associé à une diminution d’un critère composite associant mortalité, infarctus du myocarde et AVC2. Dans un essai randomisé monocentrique en CNC, l’arrêt des iSRA était associé à une réduction des hypotensions peropératoires mais aussi à une augmentation des hypertensions postopératoires, sans plus de complications postopératoires (évènement indésirable cardiovasculaire majeur et insuffisance rénale aigüe)3. Enfin, dans une étude anglaise multicentrique, la fréquence des hypotensions peropératoires était similaire que les iSRA aient été arrêtés ou non avec là aussi une augmentation des hypertensions postopératoires sans réduction des lésions myocardiques après chirurgie non cardiaque (MINS)4.
Méthodologie :
L’essai STOP-or-NOT est un essai contrôlé randomisé, multicentrique, ouvert, mené dans 40 hôpitaux français, comparant l’arrêt des iSRA (dernière prise 3 jours avant la chirurgie) à leur maintien (jusqu’au jour de la chirurgie) pour évaluer la mortalité toutes causes confondues et les complications postopératoires après une chirurgie non cardiaque majeure. Cette dernière était définie comme une procédure d’une durée prévue de plus de 2 heures à partir de l’incision et un séjour postopératoire à l’hôpital d’au moins 3 jours. Les patients inclus devaient avoir suivi un traitement par iSRA pendant au moins 3 mois avant la chirurgie.
Critère de jugement principal :
Le critère de jugement principal était un critère composite incluant la mortalité toutes causes confondues et les complications postopératoires majeures (événements cardiovasculaires majeurs postopératoires (tels que infarctus aigu du myocarde, thrombose artérielle ou veineuse, AVC, œdème aigu pulmonaire, choc cardiogénique, crise hypertensive et arythmies cardiaques nécessitant une intervention), sepsis ou choc septique, insuffisance respiratoire nécessitant une réintubation ou une ventilation non invasive, admission non planifiée en soins intensifs, insuffisance rénale aiguë, hyperkaliémie et complications chirurgicales nécessitant une réintervention).
Critères secondaires :
Les critères de jugement secondaires comprenaient l’hypotension peropératoire (PAM <60 mm Hg ou nécessitant un traitement par vasopresseurs), la mortalité toutes causes confondues, l’insuffisance rénale aiguë, la défaillance d’organe postopératoire évaluée par le score SOFA maximal, la durée du séjour à l’hôpital et en soins intensifs, et le nombre de jours sans hospitalisation.
Calcul d’effectif – Statistiques :
Sur la base d’une incidence estimée de 25 % pour le critère de jugement principal, l’inclusion de 2222 patients permettait de détecter une réduction relative de 20 % des complications dans le groupe de poursuite du traitement (correspondant à une réduction absolue de 5 % de l’incidence du critère principal) avec une puissance de 80 %, en utilisant un test du χ2 et en prenant en compte la réalisation de 2 analyses. L’analyse principale a été réalisée en l’intention de traiter.
Résultats :
L’âge moyen des 2222 patients était de 67 ± 10 ans ; 65 % étaient des hommes, 98 % étaient traités pour hypertension artérielle, 9 % avaient une maladie rénale chronique, 8 % étaient diabétiques et 6 % souffraient d’insuffisance cardiaque. Les caractéristiques de base des patients randomisés pour l’arrêt des iSRA (n = 1115 patients) ou poursuite des iSRA (n = 1107 patients) étaient comparables entre les groupes. Dans les 2 groupes, il était recommandé de reprendre le traitement dès que possible après la chirurgie. La durée médiane de suivi était de 28 jours [IQR 28–31 jours].
CJP : Le taux de mortalité toutes causes confondues et de complications postopératoires majeures à 28 jours était de 22 % dans le groupe d’arrêt des iSRA et de 22 % dans le groupe poursuite des iSRA (RR 1,02 ; [IC95 %, 0,87–1,19] ; p = 0,85). Les résultats sont restés inchangés après ajustement pour les facteurs de stratification.
Critères secondaires : L’incidence d’hypotension peropératoire a été de 41 % chez les patients du groupe arrêt, contre 54 % dans le groupe maintien (RR, 1,31 ; [IC95 %, 1,19–1,44]). Cependant, la durée médiane de l’hypotension péropératoire était courte (6 min vs 9 min, respectivement). De même, le recours aux vasopresseurs était élevé dans les deux groupes, mais plus fréquent dans le groupe poursuite des iSRA (85 % vs 72 %, P = 0,02). L’incidence de l’insuffisance rénale aiguë était équivalente dans les deux groupes (11 %).
L’adhésion était excellente (96,3 % des patients ont eu une adhésion complète). Les patients du groupe de poursuite des iSRA ont arrêté le traitement à une médiane de 0 jour (IQR, 0–0 jour) avant la chirurgie, comparé à une médiane de 3 jours (IQR, 3–3 jours) dans le groupe d’arrêt des iSRA. Les patients ont repris le traitement à une médiane de 1 jour après l’opération dans les deux groupes.
Forces et limites méthodologiques de l’étude :
L’arrêt ou le maintien d’un traitement par iSRA en pré-opératoire d’une chirurgie non cardiaque est un élément clé dans la prise en charge péri-opératoire des patients bénéficiant de ce type de traitement. Le fait que l’étude STOP-or-NOT tente de répondre par une méthodologie rigoureuse à cette question quotidienne et fondamentale est déjà en soi un point remarquable de ce travail. Parmi les autres points forts il faut retenir la grande variété des CNC majeures, un arrêt des iSRA garantissant une élimination du traitement au moment de la chirurgie ainsi qu’une définition pragmatique de l’hypotension peropératoire.
Parmi les limites de l’étude, il faut tout d’abord noter que les patients et les praticiens les prenant en charge n’étaient pas en aveugle de l’arrêt ou non du traitement par iSRA. Ensuite, certaines populations traitées habituellement par iSRA étaient sous représentées (les insuffisants cardiaques notamment). Enfin, l’essai était uniquement mené en France et ces résultats pourraient ne pas être généralisables à d’autres systèmes de santé.
Conclusions de l’étude :
L’étude STOP-or-NOT a montré, qu’en CNC l’arrêt ou le maintien des traitements iSRA en préopératoire, ne modifiaient pas la survenue de complications postopératoires graves, malgré une incidence accrue -mais limitée- d’hypotension peropératoire dans le groupe sous iSRA.
Implications potentielles sur la pratique de l’expert et sur la recherche future dans le(s) domaine(s) abordé(s) :
Les recommandations américaines de 20145 qui préconisaient la poursuite des iSRA en pré-opératoire, ont été mise à jour en 20246 et rejoignent les recommandations européennes de 20227 préconisant le maintien du traitement par iSRA chez les patients insuffisants cardiaques et un arrêt pour les autres patients en cas de risque important d’hypotension per-opératoire. Les niveaux de recommandation et de preuve sont cependant faibles.
Avec l’étude STOP-or-NOT ces recommandations actuelles pourraient être révisées, en suggérant de maintenir les traitements iSRA en pré-opératoire de CNC. Toutefois, les cliniciens pourraient personnaliser leur prise en charge. En effet, l’arrêt des iSRA pourrait être approprié en cas de risque important d’hypotension per-opératoire, tandis que la poursuite du traitement pourrait être préférable pour les patients à risque de décompensation de leur pathologie sous-jacente à l’arrêt de ces traitements ou pour des raisons pratiques.
Pour renforcer les conclusions de l’étude STOP-or-NOT, il pourrait être envisagé de concevoir un essai international où l’aveugle serait respecté, avec une population élargie aux indications des iSRA autre que le traitement de l’hypertension (insuffisance cardiaque, insuffisance rénale, diabète) et avec un suivi à plus long terme.
Références
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- Roshanov PS, Salehian O, Guyatt GH, et al.: Withholding versus Continuing Angiotensin-converting Enzyme Inhibitors or Angiotensin II Receptor Blockers before Noncardiac Surgery: An Analysis of the Vascular events In noncardiac Surgery patIents cOhort evaluatioN Prospective Cohort. Anesthesiology 2017; 126: 16-27.
- Shiffermiller JF, Monson BJ, Vokoun CW, et al.: Prospective Randomized Evaluation of Preoperative Angiotensin‐Converting Enzyme Inhibition (PREOP‐ACEI). J Hosp Med 2018; 13:661–7
- Ackland GL, Patel A, Abbott TEF, et al.: Discontinuation vs. continuation of renin–angiotensin system inhibition before non-cardiac surgery: the SPACE trial. Eur Heart J 2023:ehad716 doi:10.1093/eurheartj/ehad716
- Fleisher LA, Fleischmann KE, Auerbach AD, et al.: 2014 ACC/AHA Guideline on Perioperative Cardiovascular Evaluation and Management of Patients Undergoing Noncardiac Surgery: A Report of the American College of Cardiology/American Heart Association Task Force on Practice Guidelines. Circulation 2014; 130
- Thompson A, Fleischmann KE, Smilowitz NR, et al.: 2024 AHA/ACC/ACS/ASNC/HRS/SCA/SCCT/SCMR/SVM Guideline for Perioperative Cardiovascular Management for Noncardiac Surgery: A Report of the American College of Cardiology/American Heart Association Joint Committee on Clinical Practice Guidelines. Circulation 2024:CIR.0000000000001285
- Halvorsen S, Mehilli J, Cassese S, et al.: 2022 ESC Guidelines on cardiovascular assessment and management of patients undergoing non-cardiac surgery. Eur Heart J 2022; 43:3826–924
Pour compléter votre lecture : bibliographie, liens vers RFE, RPP, …
Thompson A, Fleischmann KE, Smilowitz NR, et al.: 2024 AHA/ACC/ACS/ASNC/HRS/SCA/SCCT/SCMR/SVM Guideline for Perioperative Cardiovascular Management for Noncardiac Surgery: A Report of the American College of Cardiology/American Heart Association Joint Committee on Clinical Practice Guidelines. Circulation 2024:CIR.0000000000001285
Halvorsen S, Mehilli J, Cassese S, et al.: 2022 ESC Guidelines on cardiovascular assessment and management of patients undergoing non-cardiac surgery. Eur Heart J 2022; 43:3826–924