Mis en ligne le 11 décembre 2018
Article du mois

Anne-Sophie Ducloy-Bouthors1 pour le Comité Scientifique de la SFAR

  1. Pole Anesthésie-Réanimation hôpital Jeanne de Flandre, CHRU, CHRU Lille Fr-59037

Tranexamic Acid for the Prevention of Blood Loss after Vaginal Delivery.

Loic Sentilhes, M.D. et al for the Groupe de Recherche en Obstetrique et Gynecologie.

N Engl J Med 2018;379:731-42. (1)

 

Contexte :

L’hémorragie du post-partum (HPP) est l’une des complications obstétricales les plus redoutées. Elle est définie par une perte de sang supérieure ou égale à 500 ml dans les 24h suivant l’accouchement, quel que soit le mode d’accouchement. Elle concerne 5 à 10% des accouchements et représente la première cause de mortalité maternelle, considérée comme majoritairement évitable (2).

L’essai français TRAAP (3) randomisé contrôlé en double aveugle versus placebo s’était fixé comme objectif de déterminer si, comparée au placebo, l’administration prophylactique intraveineuse de 1g d’acide tranéxamique (ATX) permettait de réduire l’incidence de l’HPP ≥500ml (pertes sanguines mesurées à l’aide d’un sac collecteur placé après l’accouchement pendant au minimum 15 minutes et ce jusqu’à l’arrêt des pertes sanguines selon le soignant). La réduction attendue de cette incidence était de 30% soit une baisse d’incidence de 10 à 7%. Le nombre de sujets à inclure était de 3628 parturientes à bas risque.

Résultats :

L’étude TRAAP a inclus 3891 patientes ayant accouché par voie basse en deux années dans 15 centres (1). L’incidence de l’HPP ≥500ml a été de 156 / 1921 (8.1%) dans le groupe ATX et de 188 / 1918 (9,8%) dans le groupe placebo (RR 0,83 ; IC 95% 0,68-1,01 p=0,07). Le recours aux agents utérotoniques additionnels du fait d’une hémorragie était réduit dans le groupe ATX (7,2% vs. 9,7%; RR 0,75; 0,61-0,92; p = 0,006; et p = 0.04 après ajustement pour comparaison multiple post hoc). De même, le taux d’HPP « clinique » c’est-à-dire le taux d’HPP selon le clinicien était aussi réduit dans le groupe ATX (7,8% vs. 10,4%; RR 0,74; IC 95% 0,61-0,91; P = 0.004; P = 0.04 après ajustement pour comparaison multiple post hoc). Enfin, les pertes sanguines > 500ml strictement étaient aussi significativement réduites dans le groupe ATX (6,6%) en comparaison avec le groupe placebo (8,8%) (RR 0.75; 95% IC 0,60-0,94; (post hoc) P = 0.046 après ajustement pour comparaison multiple post hoc.).Il n’y avait pas d’augmentation du nombre d’accidents thromboemboliques, de convulsions ni d’épisodes d’insuffisance rénale liés à l’ATX. Cependant, l’incidence des nausées vomissements était plus élevée dans le groupe ATX (7.0% vs. 3.2%, P<0.001).

Discussion :

Les données connues :

Le bénéfice de l’ATX est bien établi en chirurgie et en traumatologie ou encore en prévention du saignement obstétrical ou chirurgical chez les patientes présentant une anomalie constitutionnelle de l’hémostase (4).

Dans une population de parturientes à bas risque, l’hypercoagulabilité et l’hypofibrinolyse naturelle sont adaptées à l’interruption, par coagulation intravasculaire localisée, du flux sanguin dans le lit placentaire d’un utérus contractile (5). Dans le cadre d’une utilisation curative, après l’essai ouvert EXADELI (6), l’étude WOMAN a apporté des preuves d’une réduction de la mortalité due à l’hémorragie en postpartum si l’ATX est injecté entre la première et la troisième heure après le début de l’HPP (7). Pourtant, avant une césarienne programmée sans risque hémorragique a priori, son administration prophylactique ne réduit le volume du saignement que pendant la période postopératoire immédiate et n’apporte de gain clinique en termes d’épargne transfusionnelle que chez les patientes présentant une anémie pré-partum (8). Avant la délivrance d’un accouchement par voie basse, un essai RCT montrait que l’injection conjointe d’ocytocine et d’une dose uniforme unique d’ATX réduisait de moitié le volume du saignement (69 (39) vs 108 (53) ml, P < 0.001) entre la délivrance du placenta et les deux heures qui suivent (9). En méta-analyse, cette administration prophylactique ne permettait pas de réduire l’incidence de l’HPP de plus de 1000ml après accouchement par voie basse (RR 0.28, 95% CI 0.06-1.36 ; 2 études : 559 femmes) (10).

Toutes ces études avaient été menées dans des pays en voie de développement (8-10). L’intérêt de l’administration prophylactique d’ATX pour prévenir l’hémorragie du postpartum méritait donc d’être évaluée dans les conditions de prise en charge telle que définies par les RPC de 2014 (1,3,11).

Ce qu’apporte cette étude:

L’étude TRAAP apporte la preuve que, l’administration prophylactique systématique d’ATX à dose uniforme unique ne permet pas de diminuer significativement l’incidence de l’HPP définie par une perte sanguine ≥ 500ml dans une population à bas risque. L’ATX réduit 3 critères secondaires très cliniquement pertinents que sont le recours aux utérotoniques pour hémorragie, les HPP « cliniques » et les pertes sanguines > 500ml (même après ajustement pour comparaison multiple)

Points forts :

Cette étude est le premier essai en réel double aveugle (produit à l’étude conditionné en pharmacie) testant l’impact de l’administration prophylactique d’une dose unique de 1g d’ATX dans les conditions de prise en charge de l’HPP telle que définie dans les RPC pour la prise en charge de l’HPP françaises (11). Le nombre de patientes nécessaire a été évalué à 3628 patientes pour un risque alpha à 5% et une puissance à 80%. Le dessin de l’étude est rigoureux de même que la méthode et le partage des données (1,3).

Limites :

L’évaluation de la mesure du saignement est difficile après l’accouchement par voie basse. Elle est souvent sous-estimée (2). Dans cette étude, au contraire, l’incidence de l’HPP estimée cliniquement est plus importante que celle mesurée dans un sac de recueil. C’est sur cette estimation par le soignant ou sur sa décision d’administrer des utérotoniques additionnels que la comparaison aveugle est significative.

La mesure du saignement dans le sac de délivrance est méthodologiquement limitée dans le temps : minimum 15 minutes et au-delà si les pertes sanguines persistent. Dans les circonstances habituelles d’hémorragie sans fibrinolyse primitive, il faut qu’il y ait de la fibrine native et du t-PA pour que, au sein du complexe ternaire, le plasminogène soit activé en plasmine. Après l’accouchement par voie basse, ce phénomène est physiologique mais tardif > 30 minutes après délivrance (5) et adapté à la formation du caillot. Cette durée courte de maintien du sac de recueil (médiane de 26 minutes (IQ [17-38) dans le bras ATX et médiane de 27 minutes dans le groupe placebo (IQ [18-40]) aurait pu restreindre l’observation de l’impact d’ATX sur l’hémorragie « postopératoire ». Cette limite est cependant compensée par la validation du résultat négatif sur la chute de l’hémoglobine au deuxième jour post-partum.

L’étude TRAAP 2 en cours qui testera l’impact de l’administration prophylactique d’ATX avant la césarienne à bas risque aura probablement plus de chance d’être efficace puisque la molécule pourrait prévenir les deux types de saignement chirurgical et utérin.

Synthèse :

L’administration prophylactique systématique d’acide tranéxamique conjointe à l’ocytocine ne permet pas de réduire l’incidence de l’HPP égale ou supérieure à 500ml dans une population des parturientes à bas risque prise en charge selon les RPC HPP de 2014. Elle augmente modérément l’incidence des nausées et vomissements sans augmentation des effets secondaires de type évènement thromboembolique ou insuffisance rénale. Elle n’est donc pas recommandée actuellement de façon systématique dans cette population. C’est dans son emploi curatif que l’ATX administré précocement entre la première et la troisième heure de l’HPP, peut réduire la mortalité par hémorragie, sans augmentation des effets secondaires graves. La question de la meilleure posologie adaptée à l’intensité de la fibrinolyse reste d’actualité.

Références :

  • Sentilhes L, Winer N, Azria E, Sénat M-V, Le Ray C, Vardon D, et al. Tranexamic Acid for the Prevention of Blood Loss after Vaginal Delivery. N Engl J Med. 2018 23;379(8):731–42.
  • Enquête nationale confidentielle sur les morts maternelles 2007-2009 – Rapport du Comité national d’experts sur la mortalité maternelle (CNEMM) oct. 2013 – Disponible sur : inserm.fr.
  • Sentilhes L, Daniel V, Darsonval A, Deruelle P, Vardon D, Perrotin F, et al. Study protocol. TRAAP – TRAnexamic Acid for Preventing postpartum hemorrhage after vaginal delivery: a multicenter randomized, double-blind, placebo-controlled trial. BMC Pregnancy Childbirth. 2015 ;15:135.
  • McCormack PL. Tranexamic acid: a review of its use in the treatment of hyperfibrinolysis. 2012;72:585–617.
  • Gerbasi FR, Bottoms S, Farag A, Mammen EF. Changes in hemostasis activity during delivery and the immediate postpartum period. Am J Obstet Gynecol. 1990;162:1158–63.
  • Ducloy-Bouthors, A.-S., Jude, B., Duhamel, A., Broisin, F., Huissoud, C., Keita-Meyer, H., Mandelbrot, L., Tillouche, N., Fontaine, S., Le Goueff, F., Depret-Mosser, S., Vallet, B., Susen, S. High-dose tranexamic acid reduces blood loss in postpartum haemorrhage. Crit Care 2011;15: R117.
  • WOMAN Trial Collaborators. Effect of early tranexamic acid administration on mortality, hysterectomy, and other morbidities in women with post-partum haemorrhage (WOMAN): an international, randomised, double-blind, placebo-controlled trial. Lancet. 2017;389:2105-2116.
  • Faraoni D, Carlier C, Samama CM, Levy JH, Ducloy-Bouthors AS. Efficacy and safety of tranexamic acid administration for the prevention and/or the treatment of post-partum haemorrhage: a systematic review with meta-analysis. Ann Fr Anesth Reanim 2014;33:563–571.
  • Mirghafourvand M, Mohammad-Alizadeh S, Abbasalizadeh F, Shirdel M. The effect of prophylactic intravenous tranexamic acid on blood loss after vaginal delivery in women at low risk of postpartum haemorrhage: a double-blind randomised controlled trial. Aust N Z J Obstet Gynaecol. 2015;55:53–8.
  • Novikova N, Hofmeyr GJ. Tranexamic acid for preventing postpartum haemorrhage. Cochrane Database Syst Rev. 2010;(7):CD007872.
  • Sentilhes L, Vayssière C, Deneux-Tharaux C, Aya AG, Bayoumeu F, Bonnet M-P, et al. Postpartum hemorrhage: guidelines for clinical practice from the French College of Gynaecologists and Obstetricians (CNGOF): in collaboration with the French Society of Anesthesiology and Intensive Care (SFAR). Eur J Obstet Gynecol Reprod Biol. 2016;198:12–21.