Mis en ligne le 28 2009
Questions Fréquentes
Pr Carole Ichai
Service de réanimation Médicochirurgicale. Hôpital Saint-Roch
Université de Nice Sophia-Antipolis
Question 1 – Quelle est la relation entre hyponatrémie et hydratation intracellulaire ?
Question 2 – Quelles sont les conséquences cérébrales de l’hyponatrémies hypotonique ?
Question 3 – Comment évaluer la gravité d’une hyponatrémie hypotonique ?
Question 4 – Quelles sont les causes les plus fréquentes d’hyponatrémies hypotoniques ?
Question 5 – Comment traiter une hyponatrémie ?
Question 6 – Qu’est ce que la myélinolyse centropontine ?
Question 7 – Les antagonistes des récepteurs à la vasopressine dans le traitement des hyponatrémies : pourquoi et comment ?
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Question 1 – Quelle est la relation entre hyponatrémie et hydratation intracellulaire ?
Les mouvements d’eau entre secteur extra- et intracellulaire à travers la membrane cellulaire dépendent du gradient osmotique transmembranaire. Ce dernier est déterminé par le type de substance osmotique. Les substances diffusibles, appelées osmoles inactives (urée, méthanol, ethylèneglycol, éthanol), se répartissent de façon égale de part et d’autre de la membrane cellulaire, de façon à égaliser leur concentration. De fait, elles n’entraînent pas de gradient osmotique transmembranaire, donc pas de mouvement d’eau. Les substances non diffusibles, appelées osmoles actives restent dans le secteur extracellulaire (sodium, glucose, mannitol, glycérol) ou dans le secteur intracellulaire (potassium). Leur accumulation dans un des secteurs induit donc un mouvement d’eau du secteur le plus vers le moins concentré. En pratique clinique, l’état d’hydratation intracellulaire s’évalue par le calcul de la tonicité plasmatique qui est la somme des seules osmoles actives extracellulaires les plus couramment dosées dans le ionogramme sanguin. Elle se calcule par la formule : (Na x 2) + glycémie (mmol/l) = 275-290 mosm/l. Ainsi, toute hypotonie plasmatique signifie une hyperhydratation intracellulaire et vice et versa.
Devant une hyponatrémie, le 1er réflexe est de calculer la tonicité plasmatique. On peut ainsi distinguer 3 catégories d’hyponatrémies [1-3] :
Les hyponatrémies isotoniques dites “pseudohyponatrémies”, sont celles qui sont associées à des hyperlipidémies ou hyperprotidémies sévères et ne s’assompagnent d’aucun trouble de l’hydratation intracellulaire.
Les hyponatrémies hypertoniques ou “fausses hyponatrémies” sont en rapport avec les hyperglycémies (acidocétose ou hyperosmolarité hyperglycémique). L’hyponatrémie est due à une dilution en rapport avec l’hypertonie plasmatique induite par l’hyperglycémie. Elles s’associent donc à une déshydratation intracellulaire.
Les hyponatrémies hypotoniques dites “vraies hyponatrémies” s’accompagnent d’une hyperhydratation intracellulaire. Toutes les questions suivantes ne considéreront que les hyponatrémies hypotoniques.
1. Adrogue HJ, Madias NE. Hyponatremia. N Engl J Med, 2000, 342 : 1581-9
2. Ichai C, Theissen A, Giunti C. Hyponatrémies en réanimation. Encycl Med Chir (Anesthésie-Réanimation), 36-860-A-05, 2002, 10 p
3. Kumar S, Berl T. Sodium. Lancet, 1998, 352 : 220-8
Question 2 – Quelles sont les conséquences cérébrales de l’hyponatrémies hypotonique ?
Le risque de l’hyponatrémie hypotonique est la survenue d’un œdème cérébral qui peut induire une mort encéphalique ou des équelles neurologiques sévères. Le cerveau possède des moyens de lutte contre cette complication. Il s’agit de mécanismes de régulation du volume cellulaire appelé “osmorégulation cérébrale” [1-3]. En cas d’hyponatrémie hypotoniques, les cellules cérébrales sont capables d’extruder très rapidement des osmoles actives, de sorte que le gradient osmotique transmembranaire et donc l’œdème cérébral s’atténuent. Ce processus se fait en 4 étapes : 1) détection de l’hypotonie plasmatique par des récepteurs transmembranaires, 2) transmission du signal par une cascade de signalisation appelée “osmotransduction”, 3) activation de l’extrusion des osmoles actives grâce à des canaux transmembranaires, 4) mémorisation du volume cellulaire initial. Les osmoles actives impliquées dans ce processus d’extrusion sont de 2 types : les électrolytes Cl- et K+ et des osmoles organiques ou osmolytes qui sont des acides aminé, triéthylamines, et des polyols. Parmi ces derniers, le myoinositol jouerait un rôle primordial.
L’efficacité de l’osmorégulation dépend principalement de la rapidité d’installation de l’hyponatrémie. En cas d’hyponatrémie aiguë (installée en moins de 24 heures), l’osmorégulation repose essentiellement sur l’extrusion de Cl- et K+, et elle n’est que partiellement efficace. Lorsque l’hyponatrémie est chronique, l’osmorégulation fait appel aussi à l’extrusion des osmoles organiques. Dans ce cas l’adaptation quasi totale permet au volume cérébral de ne pas varier. Dans tous les cas, la réversibilité des phénomènes est toujours plus lente lors de la correction de l’hyponatrémie, ce qui explique la prudence dans le traitement.
1. Pasantes-Morales H, Lezama RA, Ramos-Mandujano G, Tuz KL. Mechanisms of cell volume regulation in hypo-osmolality. Am J Med 2006 ; 119 : S4-11
2. Sterns R, Silver SM. Brain volume regulation in response to hypo-osmolality and its correction. Am J Med 2006 ; 119 Suppl 7A : S12-6
3. Ichai C, Theissen A, Giunti C. Hyponatrémies en réanimation. Encycl Med Chir (Anesthésie-Réanimation), 36-860-A-05, 2002, 10 p
Question 3 – Comment évaluer la gravité d’une hyponatrémie hypotonique ?
L’hyponatrémie se définit par une natrémie < 136 mmol/l. La gravité d’une hyponatrémie hypotonique n’est pas en rapport avec la valeur absolue de la natrémie mais liée à la survenue d’un œdème cérébral. Ce dernier se traduit cliniquement par une encéphalopathie dont les signes n’ont aucune spécificité, allant de la simple obnubilation jusqu’aux convulsion et coma [1]. La sévérité de l’encéphalopathie hyponatrémique est corrélée à celle de l’œdème cérébral. Classiquement, les hyponatrémies aiguës (installées en moins de 24 heures) sont symptomatiques et se manifestent par une encéphalopathie car l’osmorégulation cérébrale est incomplète. Les hyponatrémies chroniques sont plutôt asymptomatiques. Néanmoins, des données plus récentes soulignent le rôle d’autres facteurs impliqués dans la sévérité des signes neurologiques. Il s’agit principalement du sexe féminin en période d’activité génitale, de l’hypoxie et de la baisse du débit sanguin cérébral [2, 3]. Par ailleurs, les hyponatrémies chroniques, dites asymptomatiques, s’accompagneraient de chutes et malaises plus fréquents [4]
1. Ichai C, Theissen A, Giunti C. Hyponatrémies en réanimation. Encycl Med Chir (Anesthésie-Réanimation), 36-860-A-05, 2002, 10 p
2. Arieff AI. Influence of hypoxia and sex on hyponatremic encephalopathy. Am J Med 2006 ; 119 Suppl 7A : S59-64
3. Ayus JC, Armstrong DL, Arieff AI. Hyponatremia with hypoxia : effects on brain perfusion, adaptation and histology in rodents. Kidney Int 2006 ; 69 : 1319-25
4. Decaux G. Is asymptomatic hyponatremia really asymptomatic ? Am J Med 2006 ; 119 Suppl 7A : S79-82
Question 4 – Quelles sont les causes les plus fréquentes d’hyponatrémies hypotoniques ?
Les vraies hyponatrémies sont classées selon l’état du volume extracellulaire (tableau). Le diagnostic de syndrome de sécrétion inappropriée d’ADH (SIADH) repose sur l’existence d’une hyponatrémie hypotonique avec volume extracellulaire normal associé à une antidiurèse anormale (urines anormalement concentrées), et une correction partielle lors de la restriction hydrique. Dans tous les cas, il s’agit d’un diagnostic d’élimination [1]. Les dosages d’ADH ont montré qu’il existe 4 types de profil : 3 d’entre-eux se traduisent par une sécrétion inappropriée d’ADH (en dehors de tout stimuli non osmotique) et le 4ème se caractérise par une sécrétion normale d’ADH associée à une anomalie génétique des aquaporines 2. Le point commun entre ces 4 pathologies est l’existence d’une antidiurèse anormale, de telle sorte qu’il paraît plus logique actuellement de parler de syndrome d’antidiurèse anormale (SIAD) [2, 3]. L’exercice soutenu, comme chez le marathonien, appelé “Exercise-Associated Hyponatremia” (EAH) peut induire une hyponatrémie par SIADH, mais aussi par dilution en rapport avec l’absorption de boissons hypotoniques [4, 5]. Dans ce contexte, la gravité et le traitement de l’hyponatrémie sont identiques aux hyponatrémies d’autres causes.
La période postopératoire est une cause fréquente d’hyponatrémie à VEC diminué. Parmi les causes iatrogènes, il faut retenir l’administration de thiazidiques chez les femmesâgées de petite taille et hypertendues.
Avec VEC normal (capital sodé normal) | Avec VEC augmenté (capital sodé augmenté) | Avec VEC diminué (capital sodé diminué) |
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Rétention d’eau | Rétention d’eau et de sel prédominant sur l’eau | Perte d’eau et de sel prédominant sur le sel |
– Sécrétion inappropriée d’ADH (SIADH) Potomanie Endocrinopathies : insuffisances surénaliennes, hypothyroidies Thiazidiques |
Natriurèse > 20 mmol/l : Insuffisance rénale aiguë oligurique Iatrogène : perfusions de solutés hypotoniques Natriurèse < 20 mmol/l : Etats oedémateux : insuffisance cardiaque congestive, cirrhose, syndrome néphrotique Iatrogène : perfusions de solutés hypotoniques Dénutrition grave Grossesse |
Natriurèse > 20 mmol/l : Diurétiques (thiazidiques) Cerebral salt wasting syndrome Insuffisance surrénalienne Néphrpathie par perte de sel Natriurèse < 20 mmol/l : Pertes gastrointestinales : vomissements, diarrhée Pertes cutanées |
Tableau. Principales causes des hyponatrémies hypotoniques en fonction du volume extracellulaire
1. Adrogue HJ, Madias NE. Hyponatremia. N Engl J Med, 2000, 342 : 1581-9
2. Verbalis JG. Whole-body volume regulation and escape from antidiuresis. Am J Med 2006 ; 119 : S21-9
3. Robertson GL. Regulation of arginine vasopressin in the syndrome of inappropriate antidiuresis. Am J Med 2006 ; 119 Suppl 7A : S36-42
4. Almond CS, Shin AT, Fortescue EB. Hyponatremia among runners in the Boston Marathon. N Engl J Med 2005 ; 352 : 1550-6
5. Siegel AJ. Exercise-associated hyponatremia : role of cytokines. Am J Med 2006 ; 119 Suppl 7A : S74-8
Question 5 – Comment traiter une hyponatrémie ?
Le traitement des hyponatrémies est double : correction de l’hypotonie plasmatique et traitement étiologique. Le traitement symptomatique est délicat car une correction du trouble trop lente ou trop tardive peut aboutir à laisser évoluer un œdème cérébral ; d’un autre côté, un traitement trop rapide peut conduire à la survenue d’une myélinolyse centropontine [1, 2]. Des recommendations de conduite thérapeutique viennent d’être publiées [3]. Ainsi, les hyponatrémies aiguës symptomatiques nécessitent une correction active par du sérum salé hypertonique. L’élévation de la natrémie doit atteindre 2 à 4 mmol/l en 2 à 4 heures jusqu’à disparition des signes neurologiques. Dans tous les cas il ne faut pas dépasser une correction de plus de 10 à 12 mmol/l en 12 heures et de 18 mmol/l en 48 heures. Le traitement actif doit toujours être stoppé dès que la natrémie atteint 130 mmol/l. Ce traitement nécessite une surveillance en unité de soins critiques avec des contrôles biologiques (ionogramme sanguin) répétés toutes les 2 à 4 heures. Les hyponatrémies chroniques asymptomatiques ne nécessitent pas de traitement urgent et font surtout appel à la restriction hydrique, les diurétiques de l’anse et probablement aux antagonistes des récepteurs de la vasopressine (cf infra).
1. Ichai C, Theissen A, Giunti C. Hyponatrémies en réanimation. Encycl Med Chir (Anesthésie-Réanimation), 36-860-A-05, 2002, 10 p
2. Adrogue HJ, Madias NE. Hyponatremia. N Engl J Med, 2000, 342 : 1581-9
3. Verbalis JG, Goldsmith SR, Greenberg A, Schrier RW, Sterns RH. Hyponatremia treatment guidelines 2007 : Expert panel recommendations. Am J Med 2007 ; 120 : S1-21
Question 6 – Qu’est ce que la myélinolyse centropontine ?
Sur un plan anatomopathologique, la myélinolyse centropontine (MCP) se caractérise par des lésions de démyélinisation axonales le plus souvent situées au niveau pontique, mais qui peuvent toucher tous les territoires du cerveau. Elle survient classiquement après un intervalle libre après correction d’une hyponatrémie [1, 2]. Ce syndrome se manifeste par une détèrioration neurologique progressive pouvant aller jusqu’à la paralysie pseudobulbaire, la dysarthrie, quadriparésie ou même locked-in syndrome. Le plus souvent les patients évoluent vers un coma chronique ou le décès. Longtemps attribué à la seule correction trop rapide de l’hyponatrémie, des données plus récentes soulignent le rôle majeur de l’hypoxie, l’alcoolisme chronique, la dénutrition et l’hypokaliémie [1, 2]. Le traitement de la MCP n’est que préventif. Bien sûr, il convient de respecter les règles de correction précédemment citées. Certains traitements préventifs sont en cours d’éssai : injection iv de déxaméthasone et injection iv de myoinositol [3, 4].
1. Lampl C, Yazdi K. Central pontine myelinolysis. Eur Neurol 2002 ; 47 : 3-10
2. Murase T, Sugimura Y, Takefuji S, Oiso Y, Murata Y. Mechanisms and therapy of osmotic demyelination. Am J Med 2006 ; 119 Suppl 7A : S69-73
3. Sugimura Y, Murase T, Takefuji S. Protective effect of dexamethasone on osmotic-induced delyelination in rats. Exp Neurol 2005 ; 192 : 178-83
4. Silver SM, Schroeder BM, Sterns RH, Rojiani AM. Myoinositol administration improves survival and reduces myelinolysis after rapid correction of chronic hyponatremia in rats . J Neuropathol Exp Neurol 2006 ; 65 : 37-44
Question 7 – Les antagonistes des récepteurs à la vasopressine dans le traitement des hyponatrémies : pourquoi et comment ?
Les antagonistes V1aR induisent une vasodilatation, ceux des V2R appelés “aquarétiques” entraînent une diurèse avec des urines diluées. Plusieurs études ont montré l’efficacité des antagonistes V2R pour corriger l’hyponatrémie des patients avec SIADH en toute sécurité. Ces aquarétiques ont été récemment étudiés chez des patients présentant une hyponatrémie secondaire à un SIADH, une insuffisance cardiaque congestive (ICC) ou une cirrhose [1-3]. L’antagoniste combiné V1aR/V2R (conivaptan) semble particulièrement adapté aux hyponatrémie hypervolémiques des ICC [4].
Les dernières recommendations américaines de la FDA ont accepté l’utilisation préférentielle d’antagonistes combinés V1aR/V2R pour traiter les hyponatrémies normo- (SIADH) et hypervolémiques (ICC) [5]. Leur utilisation au cours de l’ICC permet d’éviter les effets délétères des diurétiques. Il est recommandé d’utiliser ces molécules sur des périodes courtes (4 jours) en i.v. en milieu hospitalier avec un bolus de 20 mg en dose de charge sur 30 minutes, puis 20 mg/j à la seringue électrique. Si l’augmentation de la natrémie est insuffisant, la posologie peut être élevée à 40 mg. Le traitement sera arrêté si au contraire la correction de l’hyponatrémie est trop rapide. Les antagonistes sélectifs V2R semblent plutôt être destinés à l’avenir pour des traitements chroniques per os et pour les hyponatrémies des cirrhotiques. Aucun cas de myélinolyse centropontine suivant la correction d’une hyponatrémie par antagoniste de l’AVP n’est à ce jour décrit. Les règles de rapidité de correction des hyponatrémies restent les mêmes avec ces molécules. Il n’existe aucune indication de nos jours quand à l’utilisation des ces antagonistes seuls dans les hyponatrémies aigues symptomatiques sans les associer à du sérum salé hypertonique. Ces molécules ne sont malheureusement pas encore commercialisées en France.
1. Palm C, Pitrosch F, Herbrig K, Gross P. Vasopressin antagonists as aquaretic agents for the treatment of hyponatremia. Am J Med 2006 ; 119 Suppl 7A : S87-92
2. Greenberg A, Verbalis JG. Vasopressin receptor antagonists. Kidney Int 2006 ; 69 : 2124-30
3. Gheorghiade M, Gattis WA, O’ Connor CM. Effects of tolvaptan, a vasopressin antagonist, in patients hospitalized with a worsening heart failure : a randomized controlled trial. JAMA 2004 ; 291 : 1963-71
4. Udelson JE, Smith WB, Hendrix GH. Acute hemodynamic effects of conivaptan, a dual V1a and V2 vasopressin receptor antagonist, in patient with advanced heart failure. Circulation 2001 ; 104 : 2417-23
5. Verbalis JG, Goldsmith SR, Greenberg A, Schrier RW, Sterns RH. Hyponatremia treatment guidelines 2007 : Expert panel recommendations. Am J Med 2007 ; 120 : S1-21
Pr Carole Ichai