Mis en ligne le 2 mai 2017
Article du mois
Article: Benefit and harm of adding ketamine to an opioid in a patient-controlled analgesia device for the control of postoperative pain: systematic review and meta-analyses of randomized controlled trials with trial sequential analyses.
Assouline B, Tramèr MR, Kreienbühl L, Elia N.
Pain. 2016 Dec;157(12):2854-2864
Commentaire. Dr Emmanuel Marret pour le Comité Douleur-ALR de la SFAR
La morphine administrée en mode Patient-Controlled Analgesia (PCA) reste une des stratégies de référence pour le traitement de la douleur après une chirurgie majeure. Malgré tout, son utilisation reste associée à des effets secondaires fréquents (nausées-vomissements), parfois graves (dépression respiratoire) et collatéraux (hyperalgésie). En peropératoire, l’administration de faibles doses de kétamine est recommandée chez les patients opérés d’une chirurgie à risque de douleur aigue intense ou associée à un risque significatif de douleur chronique postopératoire ou chez les patients vulnérables à la douleur (prise d’opiacés au long cours). La question d’administrer la kétamine en postopératoire peut se poser d’autant plus que ces patients continuent de recevoir des morphiniques pendant cette période et que certaines études ont montré un bénéfice d’une administration postopératoire. Elle peut être alors délivrée soit sous la forme d’une perfusion continue soit sur un mode PCA en co-administration avec la morphine.
A compter du 24 avril 2017, les préparations injectables de kétamine appartiendront à la liste des substances classées comme stupéfiants. Elles devront suivre la réglementation applicable aux stupéfiants. L’administration postopératoire de kétamine en mode PCA pourrait être considérée comme un mode plus sûr en comparaison à son administration en seringue électrique. Une connaissance du bénéfice et du risque de la PCA morphine-kétamine parait intéressante.
Méthodologie : Assouline et al. ont effectué une méta-analyse des essais contrôlés et randomisés ayant étudié une association kétamine-morphinique administrée de manière conjointe en mode PCA versus le même morphinique administré selon les même modalités (groupe contrôle). La recherche s’est faite dans 3 bases de données bibliographiques et s’est terminée en avril 2016. Les auteurs ont relevé la consommation postopératoire d’opiacés et leurs effets secondaires ainsi que les scores de douleur. Le risque de biais méthodologique des études était évalué. Les auteurs considéraient, comme bénéfice pertinent, une diminution de 25% de la consommation de morphine, de 30% de la douleur au repos à H24, de 30% des nausées vomissements postopératoires NVPO et une diminution de 50% du risque d’événements respiratoires.
Résultats : Sur les 220 articles identifiés, 19 essais randomisés (1349 adultes, 104 enfants) ont été inclus. Les études étaient publiées entre 1996 et 2014. La morphine était le morphinique le plus utilisé (15 études) puis le fentanyl, le tramadol et l’hydromorphone. Les bolus de kétamine allaient de 1 à 5 mg (adulte). Trois critères étaient diminués significativement. La douleur postopératoire évaluée au repos à la 24ème heure baissait de 32% (différence moyenne pondérée = -11 mm ([IC 95% : -18 ; -3,9] p < 0,001 – 9 essais – 535 adultes, 60 enfants). La consommation cumulée de morphine à J1 diminuait de 28% (différence moyenne pondérée = -13 mg [IC95% : -23 ; -3] ; p =0,002 – 7 essais – 495 patients). L’incidence de NVPO baissait de 44 à 24% (RR=0.56 [IC95% : 0,4; 0,78] p < 0,001 – 7 essais – 375 adultes, 60 enfants). Les auteurs ne montraient pas de différence significative sur le risque de dépression respiratoire (RR=0.31 ([IC95% : 0.06 to 1.51], p=0.08, 9 essais, 871 patients), d’hallucination (RR=1.16 [IC95% : 0.47 to 2.79], p=0.70 – 7 trials, 690 patients; odds ratio 1.16) et sur les effets secondaires de morphiniques (rétention d’urine, prurit). A 48 heures, les scores de douleur et la consommation étaient diminuées (respectivement -0.9 cm (IC95% :-1.6 ; -0.2) et -17.9 mg (IC95% : -21,1 ; -14,8). Les auteurs n’objectivaient pas de dose-réponse.
Discussion :
Les données connues. La kétamine interagit avec le récepteur NMDA au niveau du système nerveux central. Ce mécanisme d’action permet de limiter les phénomènes d’hyperalgésie observée chez les patients recevant des morphiniques. Elle est habituellement administrée en peropératoire sous la forme d’un bolus avec ou sans perfusion continue. Son effet se prolonge en postopératoire. Les scores de douleur et de la consommation de morphine des 24 premières heures (-15 mg) sont diminués parfois au prix d’une augmentation du risque d’hallucination (Elia N et al. Pain 2005). Certaines études ont montré qu’un protocole avec une administration postopératoire de kétamine était aussi bénéfique sur la douleur. La kétamine administrée comme adjuvant dans la PCA morphine est une méthode ayant fait l’objet de plusieurs études avec des résultats hétérogènes.
Ce qu’apporte cette étude. Elle permet de synthétiser les données sur l’association kétamine-morphine en mode PCA. L’analyse statistique démontre le bénéfice de ce mode d’administration. Si l’on se réfère à d’autres méta-analyses, le gain sur la consommation de morphine et les scores de douleurs des 24 premières heures semble superposable à celui d’une administration de kétamine en peropératoire ou à celui des AINS et supérieur aux autres antalgiques non morphiniques (paracétamol par exemple). Il faut noter qu’il ne s’agit que d’une comparaison indirecte. Cette équivalence ou supériorité devrait être confirmée par des comparaisons directes. Les auteurs n’observent pas une augmentation du risque d’hallucinations lors d’une co-administration PCA-kétamine.
Les questions que soulève cette étude. Les effets indésirables de la kétamine rendent prudents certains praticiens sur son utilisation postopératoire. L’absence d’augmentation des hallucinations est un élément rassurant. Le rapport bénéfice-risque de l’administration de la kétamine en seringue électrique en postopératoire comparé à l’administration conjointe à l’opiacé en mode PCA n’est pas connu.
Point forts :
-Approche méthodologique (analyse séquentielle) permettant de conclure sur les effets de cette modalité d’administration de la kétamine pour diminuer les scores de douleur et la consommation de morphine des 24 premiers heures, et ce avec un degré de certitude important.
– Le bénéfice est important, supérieur à celui du paracétamol et similaire à celui des AINS. Ce mode d’administration peut être ainsi intéressant dans les situations l’utilisation où l’utilisation peropératoire des AINS peut poser des problèmes.
Points négatifs :
– Les auteurs n’ont pas mis en évidence de bénéfice sur la dépression respiratoire, effet indésirable majeure et responsable d’une morbi-mortalité postopératoire non négligeable. Les auteurs anticipent qu’il aurait fallu inclure plus de 4000 patients pour qu’un essai ou une méta-analyse démontre une baisse du risque de dépression respiratoire de 50%. L’effet observé sur la dépression respiratoire (RR=0.31 ([IC95% : 0.06 to 1.51], p=0.08, 9 essais, 871 patients) mérite d’être étudié plus en profondeur.
– L’absence de dose-réponse ne permet pas de proposer une dose idéale. L’éventail des doses étudiées est large, allant de 1 à 5 mg par bolus de kétamine.
– Du fait d’un nombre insuffisant de patients, les auteurs ne peuvent pas conclure de manière définitive sur la diminution qu’ils jugent pertinente de la consommation de morphine (c’est à dire de 25%), de la douleur au repos à H24 (30%), des NVPO (30%) et des événements respiratoires (50%) avec la PCA morphine-kétamine.
– Les enfants sont sous représentées dans cette méta-analyse. Il n’est pas possible de tirer des conclusions sur la population pédiatrique. Cette idée est renforcée par les résultats d’une méta-analyse incluant spécifiquement des enfants opérés (Michelet D et Al. Pediatr Drugs 2016). Les auteurs ne parvenaient pas à observer de différence significative de la kétamine sur la douleur postopératoire et la consommation des morphiniques en rapport avec un manque d’études pédiatriques.
-Le développement des programmes de récupération rapide après chirurgie conduit à ne pas administrer de morphinique par voie intraveineuse. Dans ce contexte, de nouvelles alternatives à l’administration PCA-kétamine doivent être recherchées.
-Finalement, le bénéfice d’une telle administration sur la douleur chronique n’est pas étudié.
Conclusion. La kétamine est un adjuvant efficace sur la douleur postopératoire immédiate chez les patients recevant une PCA avec des morphiniques.