Le syndrome de fragilité est très souvent associé à l’existence d’une sarcopénie, correspondant à une diminution de la masse musculaire. Sur les 5 critères du score de fragilité (Frailty score) décrit par Fried et al. (1), 3 ont un lien direct ou indirect avec la sarcopénie. La baisse de la force musculaire et la lenteur de déplacement traduisent une baisse de la masse musculaire. La sédentarité est généralement la conséquence de ces 2 facteurs.

La diminution physiologique de la masse musculaire débute vers 40 ans et s’accélère à partir de 70 ans (2). Elle est le résultat d’un déséquilibre entre des capacités amoindries de synthèse des protéines musculaires et une dégradation physiologique inchangées de celles-ci. Les fonctions du muscle ne se limitent pas à assurer la position debout, une force musculaire et une vitesse de déplacement. Le myocyte intervient également dans la régulation glycémique en stockant le glucose en post-prandial et en le libérant lors des périodes de jeûne. Le muscle représente également un stock important en acides aminés qui, à l’inverse des protéines présentes dans le foie et le cerveau, est facilement mobilisable en cas de besoin (p. ex. avec une alimentation hypocalorique), grâce à la néoglucogénèse hépatique.

La chirurgie aboutit à une réduction de la masse musculaire par 3 mécanismes (3). L’activation de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien par le stress chirurgical se traduit, entre autres, par une diminution de la sensibilité cellulaire à l’insuline empêchant le stockage dans le myocyte du glucose, et par l’activation de la néoglucogenèse hépatique à partir des protéines musculaires. L’importance de la résistance à l’insuline et de la production endogène de glucides sont proportionnelles à l’intensité du stress chirurgical. Le second mécanisme est la réponse inflammatoire à l’agression qui se traduit par un accroissement des besoins en acides aminés. La production de protéines pro- ou anti-inflammatoires (cytokines) nécessitent un « approvisionnement » en acides aminés obtenus en dégradant les protéines musculaires. Enfin, le troisième mécanisme correspond aux besoins associés à la cicatrisation, phénomène initié dès l’incision chirurgicale. La synthèse de proline et d’hydroxyproline, ciment tissulaire, s’effectue grâce à la mobilisation des acides aminés contenus dans les myocytes. Les 3 mécanismes aboutissent à une diminution de la masse musculaire qui est aggravée par le jeûne calorique et protidique périopératoire. Plusieurs études ont montré que la sarcopénie préopératoire est associée à une mortalité postopératoire plus importante (4).

Pour un stress chirurgical identique, les capacités d’adaptation et de résilience du patient sont directement liées à sa masse musculaire et, donc, à son niveau de fragilité (5). Quelle que soit la classe de risques de la chirurgie, la mortalité à 1 mois est toujours significativement plus élevée chez les patients fragiles ou pré-fragiles (6).

Par ailleurs, le statut de fragilité est un facteur prédictif de morbi-mortalité plus puissant que l’âge du patient ou sa classe ASA (7).

Aussi, il apparaît clairement que l’association d’une fragilité ou d’une pré-fragilité et de la chirurgie représente une association, par essence, morbide. Le rôle du médecin anesthésiste va être dans le cadre de la consultation préanesthésique d’identifier le risque de fragilité afin de proposer au patient une stratégie adaptée.

 

Prochain épisode : Évaluer la fragilité au quotidien.

Pascal Alfonsi pour le COPP

 

  1. Fried LP, Tangen CM, Walston Jet al. Frailty in older adults: evidence for a phenotype. J Gerontol A Biol Sci Med Sci2001;56(3): M146–M156.
  2. Wilkinson DJ, Piasecki M, Atherton PJ. The age-related loss of skeletal muscle mass and function: Measurement and physiology of muscle fibre atrophy and muscle fibre loss in humans. Ageing Res Rev. nov 2018;47:123‑32.
  3. Gillis C, Carli F. Promoting Perioperative Metabolic and Nutritional Care. Anesthesiology. 1 déc 2015;123(6):1455‑72.
  4. Park B, Bhat S, Xia W, Barazanchi AWH, Frampton C, Hill AG, et al. Consensus-defined sarcopenia predicts adverse outcomes after elective abdominal surgery: meta-analysis. BJS Open. 10 juill 2023;7(4):zrad065.
  5. Ethun CG, Bilen MA, Jani AB, Maithel SK, Ogan K, Master VA. Frailty and cancer: Implications for oncology surgery, medical oncology, and radiation oncology. CA Cancer J Clin. 2017 Sep;67(5):362-377
  6. George EL, Hall DE, Youk A, Chen R, Kashikar A, Trickey AW, Varley PR, Shireman PK, Shinall MC Jr, Massarweh NN, Johanning J, Arya S. Association Between Patient Frailty and Postoperative Mortality Across Multiple Noncardiac Surgical Specialties. JAMA Surg. 2021 Jan 1;156(1):e205152.
  7. Joseph B, Pandit V, Zangbar B, Kulvatunyou N, Hashmi A, Green DJ, O’Keeffe T, Tang A, Vercruysse G, Fain MJ, Friese RS, Rhee P. Superiority of frailty over age in predicting outcomes among geriatric trauma patients: a prospective analysis. JAMA Surg. 2014 Aug;149(8):766-72.
  8. Kim SW, Han HS, Jung HW, Kim KI, Hwang DW, Kang SB, Kim CH. Multidimensional frailty score for the prediction of postoperative mortality risk. JAMA Surg. 2014 Jul;149(7):633-40.