Mêlée à la tristesse que nous éprouvons en apprenant le décès brutal de Yannick Le Manach à l’âge de 45 ans, chaque anesthésiste-réanimateur, et à un sens plus général encore toute notre spécialité, ressent une fierté tout à fait légitime devant l’œuvre scientifique considérable et étendue qu’il nous laisse. Très peu, toutes spécialités médicales confondues, peuvent se prévaloir de plusieurs publications dans chacune des plus grandes revues scientifiques médicales : NEJM, Lancet, JAMA, BMJ…
A considérer l’œuvre scientifique de Yannick, on est impressionné non seulement par la rigueur méthodologique mais par l’originalité du raisonnement, et plus encore par la diversité des thématiques abordées avec le même succès scientifique. C’est dans le laboratoire de biostatistiques de Doug Altman à Oxford, qu’il a appris à maitriser les règles de l’analyse scientifique.
La liste impressionnante de ses travaux scientifiques témoigne de sa rigueur et de sa créativité scientifique car ses recherches recouvrent un spectre très large. Yannick a été un élément moteur du groupe VISION (Vascular events In noncardiac Surgery patIents cOhort evaluatioN) qui a fait progresser de façon considérable la prévention des complications cardio-vasculaires péri-opératoires. Mais il ne s’est pas enfermé dans une seule thématique et il a vite dépassé le cadre de sa recherche initiale sur le risque cardio-vasculaire pour faire progresser de très nombreux domaines de notre spécialité, en particulier le risque opératoire dans son sens le plus général avec la validation de scores de risque et de seuils de biomarqueurs, l’épidémiologie, le monitorage péri-opératoire, la pharmacologie.
La parfaite maîtrise de la méthodologie scientifique et l’originalité de la réflexion scientifique de Yannick a rapidement traversé les frontières. En 2012, un des plus grands centres de recherche universitaire médicale, le « Population Health Research Institute » à Hamilton au Canada est venu le chercher à Paris pour en faire un de ses professeurs-cliniciens-chercheurs. Lorsque PJ Devereaux, responsable de la recherche dans cette université est venu à Paris pour recruter Yannick, il a été plus impressionné par les connaissances œnologiques de Yannick Le Manach que par sa maitrise pourtant unanimement reconnue de la méthodologie des essais cliniques. Au contact de ce groupe mondialement reconnu, Yannick a montré toute l’étendue de sa réflexion scientifique et il a pleinement tenu sa place dans ce centre de recherche de renommée internationale en levant plus de 10 millions de dollars de subventions recherche. Il a établi des collaborations avec plus de 200 chercheurs dans plus de 10 pays.
Sa rigueur scientifique, sa recherche de l’excellence, l’absence de toute concession méthodologique rendaient Yannick parfois tyrannique, de cette tyrannie des plus jeunes que tous les plus anciens doivent accepter.
Le sens de l’amitié de Yannick était à la hauteur de sa rectitude méthodologique. Si ses exigences scientifiques l’ont quelquefois isolé, tous ceux qui ont eu la chance de travailler avec lui sont unanimes pour vanter sa loyauté, sa fidélité. Plus important que la fidélité il y a des preuves de fidélité, et les équipes dans lesquelles Yannick a travaillé peuvent en témoigner. Tous ceux qui ont sollicité une aide pour mener à bien une recherche ont constaté la grande disponibilité de Yannick pour les autres. La générosité de Yannick n’est pas seulement un des effets de sa constance. C’est une véritable référence, une éthique de vie. Le don d’organe qu’il a autorisé en témoigne.
Pour Yannick le découragement était une humeur, la rigueur et l’excellence scientifique une volonté. C’est un grand regret pour tous que cette volonté n’ait pas eu le dessus dans les moments de découragement qu’il a traversé.
Aujourd’hui nos pensées quittent l’excellence scientifique de Yannick pour aller vers Stéphanie, ses filles Maëlle, Enora, Rozenn, sa famille, ses amis.
Pierre CORIAT