Jabaudon M, Quenot JP, Badie J, Audard J, Jaber S, Rieu B, et al. JAMA. 2025: e253169. doi: 10.1001/jama.2025.3169.
Sédation inhalée prolongée par sévoflurane au cours du SDRA : le chant du cygne ?
Article commenté du CS par le Pr Laurent Muller – CHU Nîmes.
Dans le numéro du JAMA du 18 mars 2025, Matthieu Jabaudon et le groupe des investigateurs SESAR publient un essai randomisé contrôlé ouvert du même nom, portant sur l’intérêt potentiel de la sédation inhalée par sévoflurane au cours du syndrome de détresse respiratoire aigu (SDRA)1.
Position du problème.
Les effets favorables potentiels de la sédation par sévoflurane en réanimation ont été largement étudiés. Hors SDRA, dès 2011, dans une population de patients de réanimation sédatés pour une durée de plus de 24 heures, le sévoflurane inhalé permettait une réduction significative du délai d’extubation et de la consommation de morphine tout en améliorant la qualité du réveil, en comparaison au propofol et au midazolam2. Des résultats favorables ont été démontrés par la suite au cours du SDRA. In vitro, le sévoflurane permettait une amélioration de la réparation alvéolaire dans un modèle expérimental de tissu alvéolaire exposé à des cytokines3. Ces résultats ont été confirmés dans un modèle murin de SDRA4. Dans une étude pilote randomisée publiée en 2017 par le même groupe que les investigateurs de l’étude SESAR, la sédation par sévoflurane (comparée au midazolam) au cours du SDRA permettait une amélioration significative de l’oxygénation associée à une réduction des marqueurs de dommage alvéolaire et inflammatoires5. De plus une étude rétrospective suggérait que le sévoflurane pouvait faciliter le passage de la ventilation contrôlée à la ventilation spontanée au cours du SDRA6.
Les résultats de l’étude SESAR.
La réalisation de l’étude SESAR était donc justifiée par un faisceau d’arguments solides. Cet essai faisait l’hypothèse d’une amélioration du pronostic du SDRA grâce à la sédation par sévoflurane. Le comparateur était le propofol. Dans les deux groupes, une curarisation continue par cisatracurium était associée pour 48 heures. Dans cette étude randomisée ouverte, 687 patients (346 dans le groupe sévoflurane et 341 dans le groupe propofol) ont été inclus dans 66 unités de réanimation. Il s’agissait de SDRA sévères, la rapport PaO2/FiO2 à l’inclusion était de l’ordre de 110 mmHg dans chaque groupe (interquartiles compris entre 80-137, similaires dans les deux groupes). Les deux groupes étaient également comparables en termes de recours et de doses de vasopresseurs ainsi que pour le taux de décubitus ventral (37% dans chaque groupe). Environ 55 % des patients inclus étaient admis pour SDRA secondaire à une infection à SARS-CoV-2. La durée médiane de ventilation était comparable, de 7 jours en médiane. La durée médiane d’administration était de 5 jours dans le groupe sévoflurane et de 6 jours dans le groupe propofol. Le critère de jugement principal était le nombre de jours vivant hors ventilation pendant les 28 premiers jours, critère qui tient compte des décès précoces et du délai d’extubation. Le critère de jugement secondaire était la mortalité à 90 jours.
L’étude montre des résultats inverses à l’hypothèse principale. Le groupe sévoflurane est associé à une baisse significative des jours libres de ventilation à J28 et à une surmortalité à 90 jours (52,9 % vs 44,3 %, Hazard ratio 1,31 (1,05 – 1,62), p < 0,02). La surmortalité semble directement expliquée par une mauvaise tolérance hémodynamique du sévoflurane (doses de noradrénaline et niveaux de lactate sanguin significativement plus élevés dans le groupe sévoflurane) mais également par un excès d’insuffisances rénales aigues dans le groupe sévoflurane, sans qu’une toxicité directe du sévoflurane ait pu être démontrée. Les composés fluorés néphrotoxiques n’ont en effet pas été mesurés. Il n’est pas possible de déterminer si une durée plus courte de sédation au sévoflurane aurait modifié les résultats de cette étude. Compte tenu de la plus grande instabilité hémodynamique dans le groupe sévoflurane, on peut formuler l’hypothèse que l’excès d’insuffisances rénales aigues observées est en partie d’origine hémodynamique. La différence de mortalité ne semble pas liée à une incidence plus élevée d’acidoses hypercapniques sévères (pH < 7,15), comparables dans les deux groupes. Une plus forte incidence d’hypercapnie pouvait être attendue compte tenu de l’augmentation de l’espace mort induit par l’évaporateur de sévoflurane. L’utilisation de micro-évaporateurs dans l’étude SESAR explique probablement ce résultat. Les auteurs n’éliminent toutefois pas un effet délétère baro ou volotoxique direct de ce type de sédation et ont planifié des analyses secondaires. Le type de sous-groupe de patients qui pourrait in fine bénéficier du traitement inhalé est peu clair. Une tendance à un meilleur pronostic chez les patients non atteints de COVID pourrait suggérer une différence de comportement du sévoflurane selon le morphotype de SDRA. Les auteurs soulignent toutefois que ce résultat peut être uniquement expliqué par une gravité intrinsèque plus sévère des patients atteints de COVID-19. Une des critiques formulées dans l’éditorial associé à cette étude mentionnait l’absence de détails sur le type et les doses de corticoïdes utilisés dans les deux groupes, source de biais potentiel7. La fréquence d’utilisation des corticoïdes était toutefois comparable dans les deux groupes.
Implications cliniques.
Contrairement aux données de la littérature, les résultats de l’étude SESAR plaident contre l’utilisation du sévoflurane au cours du SDRA. Plus largement, ces résultats posent la question de la pertinence des dispositifs de sédation inhalée prolongée en réanimation.
Références
- 1.Jabaudon M, Quenot JP, Badie J, Audard J, Jaber S, Rieu B, et al. Inhaled Sedation in Acute Respiratory Distress Syndrome: The SESAR Randomized Clinical Trial JAMA. 2025 Mar 18:e253169. doi: 10.1001/jama.2025.3169.
- Mesnil M, Capdevila X, Bringuier S, Trine PO, Falquet Y, Charbit J, etb al. Long-term sedation in intensive care unit: a randomized comparison between inhaled sevoflurane and intravenous propofol or midazolam. Intensive Care Med 2011; 37: 933-41
- Loubet F, Robert C, Leclaire C, Theilliere C, Saint-Beat C, Lenga Ma Bonda W, et al. Effects of sevoflurane on lung alveolar epithelial wound healing and survival in a sterile in vitro model of acute respiratory distress syndrome. Exp Cell Res 2024; 438: 114030
- Zhai R, Lenga Ma Bonda W, Leclaire C, Saint-Beat C, Theilliere C, Belville C, et al. Effects of sevoflurane on lung epithelial permeability in experimental models of acute respiratory distress syndrome. J Transl Med 2023; 21: 397
- Jabaudon M, Boucher P, Imhoff E, Chabanne R, Faure JS, Roszyk L, et al. Sevoflurane for Sedation in Acute Respiratory Distress Syndrome. A Randomized Controlled Pilot Study. Am J Respir Crit Care Med 2017; 195: 792-800
- Heider J, Bansbach J, Kaufmann K, Heinrich S, Loop T, Kalbhenn J: Does volatile sedation with sevoflurane allow spontaneous breathing during prolonged prone positioning in intubated ARDS patients? A retrospective observational feasibility trial. Ann Intensive Care 2019; 9: 41
- Venkatesh B, Hammond N, Delaney A: Sevoflurane Sedation in Acute Respiratory Distress Syndrome: Time to Put It to Sleep. JAMA 2025 Mar 18.doi: 10.1001/jama.2025.3023.