Mis en ligne le 28 Octobre 2012
Questions Fréquentes
A Blanié, B Vigué
Département d’Anesthésie Réanimation. CHU de Bicêtre
F Mégret, A Ouattara
Service d’Anesthésie Réanimation. CHU de Bordeaux
Question 1 – Quel est l’intérêt de la succinylcholine en réanimation ?
Question 2 – Quels sont les risques de la succinylcholine ?
Question 3 – L’immobilisation en réanimation est-elle un facteur de risque d’hyperkaliémie post succinylcholine ?
Question 4 – Les pathologies neurologiques sont-elles des facteurs de risques d’hyperkaliémie post succinylcholine ?
Question 5 – Quels autres facteurs de risques d’hyperkaliémie post succinylcholine ?
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Question 1 – Quel est l’intérêt de la succinylcholine en réanimation ?
En réanimation, les intubations, tout comme les ré-intubations, sont fréquentes et sont souvent réalisées dans un contexte d’urgence chez un patient considéré “estomac plein”. Mais, ce geste d’urgence n’est pas dénué de risque (intubation difficile, hypoxémie sévère, hypotension sévère et inhalation massive). La succinylcholine, en raison de son court délai et de sa durée d’action rapide, est donc le curare recommandé pour les inductions en séquence rapide (1-3). Il n’existe actuellement pas d’autre drogue alternative validée dans cette indication en réanimation, bien que l’association rocuronium +/- sugammadex puisse être intéressante (3).
Question 2 – Quels sont les risques de la succinylcholine ?
Un des risques de la succinylcholine est la réaction anaphylactique. En France, les curares sont retrouvés comme premier agent causal (60%) dont les plus fréquemment incriminés sont la succinylcholine et le rocuronium (respectivement 249 cas (27%) et 301 cas (33%) entre 1997 et 2002) (4).
L’autre risque est l’hyperkaliémie aigüe induite par l’injection de succinylcholine (5-7). Après succinylcholine, la dépolarisation musculaire provoque, en général, une augmentation moyenne de la kaliémie de 0,5 à 1,0 mmol/L par efflux à travers les récepteurs cholinergiques avec un maximum entre la 3ème et la 5ème minute suivie d’une normalisation sans conséquence clinique dans la majorité des cas (8,9). Toutefois, des hyperkaliémie sévères ont été décrites provoquant des troubles du rythme cardiaque voir un arrêt cardio-circulatoire (7). Cette hyperkaliémie induite par la succinylcholine est liée soit à un efflux majoré de potassium par dérégulation haute des récepteurs cholinergiques soit une rhabdomyolyse (5-7).
L’hyperkaliémie par rhabdomyolyse est due à la destruction ou augmentation de la perméabilité membranaire du muscle strié et donc à la perte du contenu cellulaire (myoglobine, potassium, et créatine kinase). Elle survient surtout lors de dystrophies musculaires congénitales (myopathie de Duchenne, de Becker…). Le taux de décès en cas de survenue d’un arrêt cardio-circulatoire est évalué à 30% contrairement à 17% dans le cas de dérégulation haute (7).
L’hyperkaliémie par dérégulation haute (« upregulation ») des récepteurs cholinergiques nicotiniques est due à l’efflux plus important de potassium à travers les récepteurs qui sont dépolarisés par la succinylcholine (5, 6). D’une part cette dérégulation est quantitative avec une augmentation du nombre de récepteur au-delà de la jonction neuromusculaire. D’autre part, elle est qualitative avec l’apparition de récepteur immature α1α1δβγ (demi-vie courte, meilleure affinité et sensibilité à la succinylcholine et durée d’ouverture des canaux plus longue) et de récepteurs α7AChR (forte affinité pour la choline). De nombreux facteurs à l’origine d’une dérégulation haute des récepteurs cholinergiques ont été décrits. Toutefois, le délai d’apparition et les conséquences cliniques de ce phénomène restent discutés et peu étudiés en réanimation (5-7).
Question 3 – L’immobilisation en réanimation est-elle un facteur de risque d’hyperkaliémie post succinylcholine ?
L’immobilisation prolongée, par le dysfonctionnement neuromusculaire qu’elle provoque, pourrait entraîner une dérégulation haute des récepteurs cholinergiques et une hyperkaliémie après injection de succinylcholine (10,11). Fink et al. ont montré une baisse de la fonction musculaire, une perte de masse musculaire et une augmentation du nombre de récepteurs cholinergiques après 12 jours d’immobilisation chez le rat avec un effet majoré au cours de l’inflammation (11). La réponse hyperkaliémique paraît dépendante de la durée et intensité de l’immobilisation, mais aussi, de l’association fréquente à d’autres facteurs de risque de dérégulation haute. La durée d’immobilisation est difficile à mesurer en pratique mais la durée de séjour en réanimation pourrait être considérée comme un marqueur indirect. Les études de Castillo et al. et de Mégret et al., chez 23 et 36 patients de réanimation, ont montré que le potassium à 5 minutes après injection de succinylcholine était corrélé à la durée de séjour en réanimation précédant l’intubation (respectivement, r= 0,39 et 0,37, p<0,05) (12,13). Dans une étude récente de 153 intubations en réanimation, l’analyse multivariée retrouve que la durée de séjour en réanimation est le seul facteur indépendamment associé à l’augmentation de potassium après succinylcholine (DK) (r=0,561, p<0,05) et à un risque d’hyperkaliémie aigüe ≥ 6,5 mmol/L (p<0,001) (14). Pour les intubations avant 16 jours de réanimation, le DK médian était de 0,25 mmol/l (0-0,6 mmol/L), comparable à la population « standard », alors que K médian était de 1,9 mmol/L au-delà de 16 jours. Ce seuil de 16 jours de réanimation était retrouvé très prédictif d’hyperkaliémie sévère ≥ 6,5 mmol/L (et de DK >1,5mmol/L (données non publiées)) avec une forte sensibilité et spécificité. Une hyperkaliémie sévère ≥ 6,5 mmol/L était retrouvé chez seulement 1% (95% IC : 0-4%) des cas avant 16 jours contre 37% (IC 95% : 19-58%) après (14). L’étude de Mégret et al. retrouve un seuil de 12 jours pour un DK >1,5mmol/L mais comporte un effectif relativement faible (13).
Ainsi la durée de séjour en réanimation, facteur indirect de l’immobilisation, est associée à une augmentation du potassium après succinylcholine. Au-delà d’une quinzaine de jours de réanimation, le risque d’hyperkaliémie sévère et/ou d’augmentation importante de potassium après succinylcholine est un risque réel à prendre en compte. Les conséquences cliniques de ces hyperkaliémies sont par contre difficiles à juger du fait de la rareté de l’événement.
Question 4 – Les pathologies neurologiques sont-elles des facteurs de risques d’hyperkaliémie post succinylcholine ?
L’état de dénervation anatomique, qui apparaît à la suite de lésions en amont ou en aval du motoneurone, est classiquement un facteur de risque de dérégulation haute des récepteurs cholinergiques (5-7). Le délai de survenue du risque d’hyperkaliémie grave qui en découle n’est pas clairement défini mais ne semble pas débuter avant les premières 48 heures (15). Selon les cas cliniques rapportés dans la littérature, le risque d’hyperkaliémie aigüe induit par la succinylcholine peut apparaître à partir du cinquième jour et pendant plusieurs semaines après le début de l’état pathologique. Chez le babouin avec un membre dénervé, l’augmentation de la kaliémie apparaît dès le 4ème jour avec un pic au 14ème jour mais sans jamais mettre en jeu le pronostic vital (16). Les cas rapportés et les études expérimentales n’étudient que les déficits d’origines périphériques ou médullaires (15,16). Ces études animales ont bien montré que l’efflux de potassium augmente de manière croissante entre un muscle normal, immobilisé, paraplégique et après section nerveuse (17). Mais l’origine du déficit neurologique pourrait avoir différentes conséquences sur cette dérégulation des récepteurs et l’augmentation de potassium. Aucune étude expérimentale ne s’est intéressée aux risques d’hyperkaliémies lorsque le déficit neurologique est d’origine cérébrale. Une étude récemment rapportée par notre groupe et portant sur 153 intubations en réanimation, retrouve un DK médian plus important en cas de déficit moteur d’origine cérébrale mais le faible effectif et le délai du déficit rendent l’interprétation quelque peu hasardeuse (14). Ainsi, à l’heure actuelle, on ne peut donc pas conclure sur le risque d’hyperkaliémie lors d’un déficit moteur d’origine cérébrale.
Dans cette même étude clinique, la présence d’une pathologie cérébrale aigüe à l’admission en réanimation était associée à une hyperkaliémie sévère ≥6,5 mmol/L (p=0,047) après analyse multivariée mais pas à une augmentation de potassium DK (p=0,102), et ceci indépendamment de la présence d’un déficit moteur à 48h ou de la durée de séjour en réanimation (14). Ceci pourrait être expliqué par une sédation plus profonde et donc une immobilisation plus importante.
Ainsi, la plupart des sociétés savantes recommande la présence d’une dénervation depuis plus de 48h-72h reste une contre-indication à la succinylcholine du fait du risque d’hyperkaliémie aigüe (1-3).
Question 5 – Quels autres facteurs de risques d’hyperkaliémie post succinylcholine ?
L’administration prolongée de curares non dépolarisants a été retrouvée associée à une augmentation des récepteurs cholinergiques et du pic d’hyperkaliémie dans des études animales (5,6,18). Cet effet est probablement lié à l’immobilisation et/ou à leur action antagoniste au niveau du récepteur cholinergique. La seule étude clinique chez 153 intubations de réanimation n’a pas retrouvé d’association entre l’utilisation prolongée de curare non dépolarisant et DK après succinylcholine, mais l’effectif était faible (14). Quant aux stéroïdes exogènes, la dysfonction neuromusculaire dose dépendante semblent être liée à une atrophie musculaire et non pas à une augmentation du nombre de récepteurs (19).
A la suite de brûlures étendues ou de traumatismes thermiques, de nombreux cas d’hyperkaliémie après l’injection de succinylcholine ont été décrits dans la littérature parfois compliqués d’arrêt cardio-circulatoire (5-7, 20). La dérégulation haute des récepteurs cholinergiques serait secondaire à l’inflammation et à la dénervation musculaire locale. Une dérégulation à distance de la zone de brûlure peut aussi être observée mais elle serait plus due à l’immobilisation prolongée qu’à des facteurs systémiques. Dans le cadre d’un traumatisme musculaire direct, la dérégulation haute serait plus liée à une altération de la membrane musculaire qu’à une dénervation.
En ce qui concerne l’impact de l’infection et/ou de l’inflammation sur l’augmentation du nombre de récepteurs et du risque d’hyperkaliémie dans les études animales, les données dans la littérature sont floues, voire contradictoires. (6,21,22). Quelques cas d’hyperkaliémie aiguë ont été rapportés chez des patients septiques après succinylcholine, mais tous les patients étaient immobilisés et avaient probablement d’autres facteurs de risque (23). Dans notre étude portant sur 153 intubations en réanimation, la présence d’un sepsis et/ou sepsis abdominal n’était pas associée à une augmentation du potassium ni à une hyperkaliémie ≥ 6,5 mmol/L après l’analyse multivariée (14). Ainsi, la présence d’un sepsis ne peut, à lui seul, contre-indiquer l’utilisation de la succinylcholine en réanimation.
Références
1. Walz JM, Zayaruzny M, Heard SO. Airway management in critical illness. Chest 2007;131:608-20
20. Gronert GA. Succinylcholine hyperkalemia after burns. Anesthesiology 1999;91:320-2