C Dahyot-Fizelier, C Fazilleau, L Heyer, P Kalfon, F Michel, G Orliaguet, PF Perrigault, P Albaladejo et les membres du bureau de la SFAR. Société Française d’Anesthésie-Réanimation-Médecine PériOpératoire.
Le 26 avril 2022, deux décrets relatifs à l’activité de soins critiques ont été publiés au Journal Officiel. Ces décrets sont l’aboutissement d’un travail initié en 2018 par la Direction Générale de l’Offre de Soins avec les représentants de spécialités médicales (cardiologie, pneumologie, néphrologie, neurologie…), des deux spécialités de soins critiques (Anesthésie-Réanimation-Médecine Périopératoire et Médecine Intensive Réanimation) et des fédérations hospitalières et conférences. L’objectif de ces nouvelles dispositions, présentées le 10 mars 2022 par le cabinet du Ministre des Solidarités et de la Santé, Olivier Véran, est de placer sous un même régime national des autorisations l’ensemble de l’activité de soins critiques. Il s’agit d’une part de « moderniser les différentes obligations que doivent satisfaire les soins critiques […] » et d’autre part « de définir une gradation claire entre les différents niveaux de soins critiques, de définir les cas et les différents types de patients qui relèvent de chaque niveau […] ». Ces décrets entreront en vigueur le 1er juin 2023, et devront être appliqués au plus tard le 1er novembre 2023.
- Les soins critiques et leurs catégorisations
Le décret définit les soins critiques comme l’ensemble des activités anciennement dénommées réanimation, soins intensifs (SI) de spécialités et unités de surveillance continue en précisant que « l’activité de soins critiques consiste en la prise en charge des patients qui présentent ou sont susceptibles de présenter une ou plusieurs défaillances aigues mettant directement en jeu le pronostic vital ou fonctionnel et pouvant impliquer le recours à une ou plusieurs méthodes de suppléance ».
Il n’existe dorénavant plus que 2 niveaux de soins critiques adultes : réanimation et SI (les USC disparaissent). Ils sont déclinés de la façon suivante :
- Réanimation
- SI polyvalents contigus à la réanimation
- SI d’organes (cardiologie, neuro-vasculaire, hématologie)
- SI polyvalents dérogatoires (sans réanimation sur site ou non adossés à une réanimation)
La réanimation assure la prise en charge des patients qui présentent ou sont susceptibles de présenter une ou plusieurs défaillances aigües mettant directement en jeu leur pronostic vital ou fonctionnel, et pouvant impliquer le recours à une ou plusieurs méthodes de suppléance.
Les SI polyvalents (SIP) contigus assurent la prise en charge, au sein d’une unité dédiée, des patients qui sont susceptibles de présenter une ou plusieurs défaillances aiguës mettant directement en jeu leur pronostic vital ou fonctionnel, et pouvant impliquer de façon transitoire le recours à une méthode de suppléance, dans l’attente le cas échéant d’un transfert en réanimation.
Les SI d’organes (Cardiologie, neuro-vasculaire, hématologie) assurent la prise en charge des patients qui présentent ou sont susceptibles de présenter une défaillance aigue liée à la pathologie de l’organe de la spécialité concernée. Les actuels SI de spécialité, notamment de néphrologie, respiratoire ou d’hépato-gastro-entérologie seront conservées si l’activité du site le justifie et qu’une réanimation est disponible sur site.
Concernant la pédiatrie : les modalités sont définies de la façon suivante :
- Réanimation de recours et SIP +/- SI de spécialité.
- Réanimation et SIP +/- SI de spécialité
- SIP dérogatoires
- SI d’hématologie
Les patients de moins de 18 ans sont pris en charge dans les unités de soins critiques pédiatriques. Le terme « réanimation pédiatrique de recours » remplace le terme « réanimation pédiatrique spécialisée » du décret de 2006 ; elles prennent en charge les enfants dont « l’affection peut requérir des avis et des soins particuliers, du fait de sa rareté ou sa complexité ». Les réanimations pédiatriques et pédiatriques de recours doivent justifier d’un volume d’activité de 200 et 400 enfants par an respectivement (nouveau-nés exclus). Le décret précise également qu’à titre exceptionnel et de manière temporaire, en l’absence de lits disponibles en soins critiques pédiatrique, les patients à partir de 15 ans peuvent être pris en charge en soins critiques adulte sur le site [..] ».
- Impératifs architecturaux et de fonctionnement
Le décret stipule, pour l’activité adulte ou pédiatrique, que les unités de soins intensifs et de réanimation doivent s’organiser en plateau technique de soins critiques comprenant au moins une unité de réanimation et au moins une unité de SIP contiguë, favorisant les regroupements tant sur le plan architectural que fonctionnel, pour permettre la permanence des soins avec des médecins spécialistes des soins critiques (médecins anesthésistes réanimateurs (MAR) ou médecins intensivistes réanimateurs (MIR)). Ainsi, les SIP dérogatoires sont des unités isolées dont les ressources ne permettent pas de remplir ces conditions.
La condition d’ouverture de ces plateaux de soins critiques adultes et pédiatriques est un accès 24h sur 24 et adaptés à l’âge à :
– des moyens d’hospitalisation en médecine et chirurgie (en lien avec le nouveau régime d’autorisation des activités médicales et chirurgicales),
– un secteur opératoire à disposition avec des moyens de surveillance post-interventionnelle,
– un accès à un plateau technique permettant la réalisation d’examens d’imagerie (par radiologie conventionnelle, d’angiographie par scanner et échographie, par IRM et des actes de radiologie interventionnelle), d’examens de bactériologie, hématologie, biochimie, hémostase et gaz du sang.
– d’équipement de biologie médicale délocalisée au sein du plateau technique de soins critiques.
Des dérogations pourront être délivrées pour des sites ne réunissant pas toutes les conditions, sous réserve de délais compatibles avec des impératifs de sécurité des soins et de l’accès au plateau technique.
Les impératifs architecturaux spécifient que toute unité de soins critiques devra comprendre au moins :
– un secteur d’accueil des familles avec au moins une pièce de détente pour les proches et une pièce dédiée aux entretiens dans le respect de la confidentialité,
– des chambres de gardes pour les médecins assurant la permanence des soins « au sein ou à proximité immédiate de l’unité de réanimation »,
– des salles de réunion « permettant l’accueil de l’ensemble de l’équipe médicale et paramédicale de l’unité », munies « des outils numériques pour la réalisation de réunion à distance ».
Ces secteurs nécessaires pourront être mutualisés entre plusieurs unités contiguës avec des équipes mutualisées ou plateau de soins critiques.
Le nombre de lits minimal pour les secteurs de soins critiques :
– réanimation adulte : 8 lits, et 10 lits en cas de création d’une nouvelle unité,
– SIP adulte : 6 lits, et 8 en cas de création d’une nouvelle unité. Le nombre de lit minimal de SI de spécialité dépend de la spécialité.
– Réanimation pédiatrique de recours : 8 lits, et 10 lits en cas de création d’une nouvelle unité
– Réanimation pédiatrique : 6 lits, et 8 en cas de création d’une nouvelle unité.
– SIP ou d’hématologie pédiatrique : 4 lits. Les unités de soins critiques pédiatriques sont organisées pour offrir un environnement favorable à la santé des enfants et des adolescents, et en particulier, les parents ou leur substitut ont le droit de rester auprès de leur enfant jour et nuit.
Un point important traduit dans le décret le principe de réanimation temporaire : les SIP contigus du plateau technique de soins critiques devront être à même de supporter un équipement identique à celui d’une réanimation afin de permettre l’évolution capacitaire en lits de réanimation selon la variation de l’activité et les niveaux de prises en charge des patients.
Un plan de flexibilité de l’organisation du capacitaire et des ressources humaines doit être élaboré par les structures hospitalières disposant d’un plateau de soins critiques. Ce plan, adossé aux mesures architecturales et fonctionnelles précédentes, a pour but de permettre une adaptation temporelle selon l’activité et les ressources, notamment en cas de surcroît d’activité en réanimation dans un contexte de variation saisonnière ou de situations sanitaires exceptionnelles. Le volet formation du plan de flexibilité comprend la constitution et le maintien des compétences d’une réserve de professionnels de santé formés pour venir en renfort des équipes de réanimation et de soins intensifs en cas de situation exceptionnelle.
- Compétences médicales et non médicales pour la permanence des soins
Pour l’équipe médicale adulte de réanimation et SIP contiguë, la permanence est assurée :
– en journée par au moins deux médecins spécialistes en soins critiques, c’est-à-dire MAR ou MIR, membres d’une équipe mutualisée des deux unités, afin d’assurer une certaine collégialité,
– en dehors des services de jour, d’un médecin spécialisé en soins critiques (MAR ou MIR) couvrant les activités des deux unités.
Pour chaque plateau technique de soins critiques, un membre de l’équipe médicale MAR ou MIR assure la fonction de médecin coordonnateur des unités.
Pour les SIP dérogatoires, la permanence des soins en dehors des services de jour est assurée par la présence sur site d’un médecin ayant une formation ou une expérience en soins critiques avec une astreinte opérationnelle assurée par un MAR ou un MIR.
L’équipe médicale du plateau technique de soins critiques pédiatriques est composée de pédiatres, de MAR ou de MIR justifiant de compétences en soins critiques pédiatriques assure la permanence des soins. Lorsque cette dernière est commune entre une réanimation pédiatrique et une réanimation néonatale, alors, un médecin de l’équipe de l’autre spécialité est placé en astreinte opérationnelle.
Le coordonnateur de l’unité de réanimation pédiatrique et de réanimation pédiatrique de recours doit être qualifié en réanimation pédiatrique. Il a la responsabilité des SIP contigus et doit avoir une expérience de 2 ans d’expérience en réanimation pédiatrique ou 5 ans en réanimation pédiatrique de recours.
L’équipe non médicale adulte est constituée d’au moins :
En réanimation
– 2 infirmiers pour 5 lits ouverts,
– 1 aide-soignant pour 4 lits ouverts,
– 1 psychologue,
– 1 masseur-kinésithérapeute ayant une expérience en soins critiques, pouvant intervenir 7 jours sur 7.
Un plan de formation aux soins de réanimation, sur site, pour les infirmiers prenant leur fonction en réanimation, de huit semaines (réduite si expérience antérieure) devient obligatoire.
En soins intensifs polyvalents et de spécialité adulte :
– 1 infirmier pour 4 lits ouverts,
– 1 aide-soignant pour 4 lits ouverts le jour et 8 lits ouverts la nuit,
– 1 masseur-kinésithérapeute ayant une expérience en soins critiques.
L’équipe non médicale pédiatrique est constituée d’au moins :
En réanimation
– 2 infirmiers pour 5 lits dont une puéricultrice
– 1 aide-soignant ou auxiliaire de puériculture pour 4 lits ouverts
En réanimation de recours
– 2 infirmiers pour 4 lits dont une puéricultrice
– 1 aide-soignant ou auxiliaire de puériculture pour 4 lits ouverts
En SIP pédiatrique
– 1 infirmier pour 4 lits ouverts dont 1 puéricultrice
– 1 aide-soignant ou auxiliaire de puériculture pour 4 lits ouverts le jour et 1 pour 8 lits ouverts la nuit
Dans ces unités adultes et pédiatriques, les infirmiers et aide-soignants sont placés sous la responsabilité d’un cadre de santé et le recours aux compétences d’un diététicien, d’un ergothérapeute et de personnel à compétence biomédicale est nécessaire selon les besoins.
Sur les secteurs pédiatriques il est nécessaire de pouvoir recourir en plus à un psychomotricien et un orthophoniste.
Un rapport d’évaluation de la charge en soins infirmiers de réanimation sera produit dans les 18 mois à compter de la publication du décret dans une perspective d’un ratio à un infirmier pour deux lits ouverts tenant compte des capacités de formation initiale des infirmiers diplômés d’état.
- Les filières territoriales de soins critiques
Le décret souligne que les plateaux techniques de soins critiques doivent s’inscrire dans une filière territoriale de soins critiques et participer à sa structuration pour optimiser :
– les parcours de soins,
– les transferts de patients de soins critiques vers le centre adapté à sa prise en charge,
– l’expertise régionale en soins critiques notamment par la télésanté.
Perspectives
Le décret introduit le concept de soins critiques regroupant réanimation, soins intensifs polyvalents et d’organes. Les soins intensifs polyvalents, anciennement désignés unités de surveillance continue, doivent pouvoir être converties en réanimation en cas de nécessité, tant sur le plan matériel qu’humain, répondant à l’impératif de réanimation temporaire promue par l’Anesthésie-Réanimation-Médecine Péri-opératoire pendant la pandémie. Ce décret répond également partiellement à la préoccupation des professionnels des soins critiques en termes de reconnaissance des compétences des infirmiers de réanimation. En effet, il valide la nécessité d’une durée de formation d’adaptation à l’emploi de ces derniers de huit semaines. Par ailleurs, il faut souligner l’orientation vers un travail en réseau, d’abord au sein de plateaux techniques de soins critiques et au niveau régional en utilisant des moyens d’expertise incluant la télémédecine. Parallèlement, un groupe de travail de l’ANAP (Agence Nationale d’Appui à la Performance) composé de professionnels de santé, a publié des recommandations afin « d’accompagner la réorganisation des soins critiques », et d’autres sont en cours d’élaboration.
Néanmoins, la publication des décrets ne gèle pas les discussions avec les tutelles sur l’évolution des soins critiques. Cette perspective est inscrite dans la « feuille de route des soins critiques ». En premier lieu, la transition vers un IDE pour 2 lits de réanimation ouverts devrait intervenir après une « évaluation de la charge en soins » qui sera difficile à mettre en œuvre car il n’existe pas à ce jour d’outil permettant de comparer la charge en soins des secteurs d’hospitalisation conventionnelle à celle des secteurs de soins critiques. D’autre part, la feuille de route des soins critiques appelle à de nouvelles évolutions, en particulier des soins intensifs polyvalents dits « dérogatoires » vers des « unités de soins renforcés » dont les conditions d’implantation et de fonctionnement sont en cours de discussion.