Mis en ligne le 20 Mai 2013
Questions Fréquentes

logo-sfar-ok-400

 Dr Anne-Claire Lukaszewicz, MD, PhD
Département d’Anesthésie Réanimation SMUR
Hôpital Lariboisière-Assistance Publique Hôpitaux de Paris
Université Paris 7 Diderot
2 rue Ambroise Paré
75475 Paris cedex 10
tél: +33 1 49 95 80 85
fax: +33 1 49 95 80 73
aclukaszewicz@hotmail.com

 

Question 1 – Pathophysiologie et sévérité des infections méningées : quelles différences entre les méningites nosocomiales et communautaires ?
Question 2 – Quels critères diagnostiques ?
Question 3 – Comment traiter ?
Question 4 – 
Quelles mesures permettent de prévenir des infections méningées nosocomiales ?

[hr_shadow]

Question 1 – Pathophysiologie et sévérité des infections méningées : quelles différences entre les méningites nosocomiales et communautaires ?

La mortalité des infections méningées nosocomiales est faible [1] en comparaison de celle décrite dans la méningite communautaire à pneumocoque qui atteint 30% des cas [2].

Les infections méningées nosocomiales se développent généralement au décours d’une procédure invasive chirurgicale ou interventionnelle. Il existe alors une contamination des espaces sous arachnoïdiens et péri-encéphaliques après rupture localisée de l’enveloppe externe protectrice du système nerveux central (SNC) constituée par les méninges et la boîte crânienne [3]. Dans la méningite nosocomiale, les pathogènes incriminés sont issus de la flore bactérienne colonisant le patient et dépendent de la localisation de la porte d’entrée (cuir chevelu, fracture de la base du crâne, voie d’abord chirurgicale ORL, etc.). Les germes les plus souvent incriminés sont les staphylocoques à coagulase négative (au premier rang desquels Staphylococcus epidermidis), suivis de Staphylococcus aureus [4] et plus rarement à Propionibacterium acnes. Dans les étiologies d’origine ORL (fracture de la base du crâne, voie d’abord ORL) on retrouve plus fréquemmentdes germes du nasopharynx, notamment le pneumocoque [3].

A l’inverse, dans les infections méningées communautaires, l’agent pathogène pénètre les méninges par voie hématogène en traversant la barrière hémato-encéphalique (BHE). Il s’agit donc d’une pathologie systémique entraînant d’emblée une atteinte inflammatoire diffuse et profonde de l’encéphale [5]. La plus grande sévérité des méningites communautaires à pneumocoque est due à la virulence et au mode d’invasion de la bactérie  qui repose sur un arsenal enzymatique permettant la pénétration du mucus et des cellules de la BHE [2].

Les pathogènes sont reconnus par les cellules résidentes immunitaires du parenchyme cérébral (microglie) initiant une cascade inflammatoire impliquée dans le recrutement de cellules circulantes comme les neutrophiles [5]. Cette réponse cellulaire conduit à la libération de cytokines et de molécules radicalaires dérivées de l’oxygène [6], qui de façon collatérale participent à l’atteinte des cellules cérébrales et majorent les séquelles cérébrales [5].

Question 2 – Quels critères diagnostiques ?

Les critères d’infection méningée ne diffèrent pas lors d’une infection nosocomiale ou communautaire et associent fièvre, troubles de la conscience, élévation des leucocytes dans le liquide céphalorachidien (LCR) et examen microbiologique positif. Cependant dans un contexte d’hémorragie sous arachnoïdienne post-traumatique ou post-interventionnelle, les critères biologiques habituels deviennent moins spécifiques du fait de la présence de sang dans le LCR. Ainsi, la plupart des études retiennent la définition proposée par Lozier et coll. en 2002: examen microbiologique direct positif ou culture positive avec leucocytes dans le LCR >100/mm3, protéinorachie > 0,4 g/L et ratio glycorachie/glycémie < 0,5 [7]. Une méningite aseptique est définie par une leucocytose >100/mm3 avec une culture du LCR négative en 72 heures. Une culture du LCR positive sans leucocytose ou hyperprotéinorachie est en revanche évocatrice d’une contamination de l’échantillon [7].

Etant donné le délai de 48-72 heures nécessaire à l’obtention des résultats des cultures bactériennes, d’autres critères ont été proposés afin d’améliorer la performance diagnostique  de méningite nosocomiale. Pfausler et coll. ont proposé le calcul du « CSF cell index » qui établit un ratio entre les rapports Leucocytes/Globules Rouges (GR) dans le LCR et dans le sang : [LeucoLCR/GRLCR]/[LeucoSANG/GRSANG] [8]. Si la présence des leucocytes dans le LCR est en relation avec le saignement, la cellularité du LCR est proche de celle du sang et cet index proche de 1. L’index augmente s’il existe un recrutement méningé de leucocytes sans rapport avec le saignement, comme au cours d’une infection méningée. Dans une méta-analyse récente [9], la concentration le lactate dans le LCR semble un outil diagnostique intéressant : une concentration de lactate dans le LCR supérieure au seuil de 350 mg/L (3,85 mmol/L) permet le diagnostic de méningite avec une sensibilité de 93% et une spécificité de 96%. La recherche de l’ARN 16S ribosomal bactérien dans le LCR possède une valeur prédictive négative relativement bonne [10]. Toutefois, dans une étude récente, sur 6 méningites bactériennes postopératoires documentées par la culture, la PCR 16S était négative dans 4 cas, en partie à cause d’un inoculum faible. Les auteurs concluent que cet examen ne permet donc pas d’améliorer la prise en charge clinique par rapport à la culture du LCR [11]. Enfin, des travaux récents suggèrent que les évènements inflammatoires oxydatifs sont plus importants dans les méningites bactériennes que dans les méningites aseptiques [6]. L’analyse des marqueurs du métabolisme oxydatif pourraient avoir un intérêt pour le diagnostic différentiel de la méningite septique et aseptique et le suivi du traitement des patients. L’intérêt d’autres médiateurs tels que la CRP ou la procalcitonine n’ont pas encore été validés dans le diagnostic de l’infection méningée nosocomiale.

Question 3 – Comment traiter ?

Devant une forte suspicion de méningite nosocomiale, l’antibiothérapie probabiliste doit être débutée et associer une céphalosporine de 3e génération (cefotaxime 150 à 200 mg/kg/24h IVSE ou en doses répétées x6/24h) à la vancomycine (30-45 mg/kg/24h avec pour objectif une vancocinémie à 15-20 µg/mL) [3]. Une alternative à la vancomycine pourrait être le linézolide dans cette indication (600mg x2/24h). Une autre stratégie, pourrait être d’adapter l’antibiothérapie initiale à la flore des patients concernés en se basant sur des prélèvements systématiques de dépistage évaluant la colonisation bactérienne (cutanée, ORL) afin de couvrir d’emblée les germes multi-résistants dont le patient serait porteur [12]. Dans ces 2 stratégies, l’antibiothérapie sera secondairement adaptée au(x) germe(s) identifié(s) et aux données de l’antibiogramme. Dans ce choix, il faut alors privilégier les antibiotiques à bonne diffusion méningée comme les quinolones, la fosfomycine, le bactrim ou la rifampicine. Ainsi les associations fréquentes sont:

–       quinolones + rifampicine ou fosfomycine pour les staphylocoques méti S

–       vancomycine, fosfomycine ou linézolide pour les staphylocoques méti R

–       céphalosporines de 3e génération ± quinolones pour les entérobactéries

–       ceftazidime, le céfépime ou les carbapénèmes pour les pseudomonas, acinetobacter ou entérobactéries résistantes

Certains antibiotiques sont utilisables par voie intra-thécale comme : la vancomycine à raison de 10 à 20 mg/24h, les aminosides (qui ne diffusent pas vers les méninges par voie systémique) et la colimycine. La présence de cathéters intra-duraux ventriculaires ou lombaires permettent d’envisager plus aisément cette voie d’administration moyennant un clampage d’une heure du dispositif de dérivation en surveillant la tolérance du patient. La place de l’administration intra-thécale par rapport au traitement par voie systémique reste cependant mal définie. Elle reste donc à ce jour réservée aux infections difficiles à éradiquer par un traitement intraveineux classique,

La prescription antibiotique se doit d’être rationnalisée. Après introduction d’une antibiothérapie probabiliste pour suspicion de méningite, celle-ci doit être arrêtée si la culture microbiologique est négative après 72h. Cette attitude est validée par l’étude de Zarrouk et coll. [1], dans laquelle l’arrêt systématique de l’antibiothérapie en cas de méningite aseptique ne modifie pas l’évolution des patients. Lorsque la culture est positive, la durée de traitement pour les méningites et ventriculites est d’environ 2 semaines (10 à 20 jours) mais peut être prolongée en cas de contrôle difficile du foyer infectieux comme lors des brèches ostéo-méningées. La durée d’antibiothérapie pour les empyèmes et les abcès cérébraux est prolongée de 6 semaines à 3 mois. La reprise chirurgicale doit dans ce dernier cas être absolument discutée. En présence de matériel intra-thécal (intraventriculaire ou lombaire), il peut être recommandé de changer l’ensemble du dispositif en cas d’infection documentée pour augmenter les chances de succès thérapeutique [13]. Cependant certaines équipes ne remplacent le matériel qu’en cas de persistance de prélèvements positifs. De façon pragmatique, on peut proposer d’introduire une antibiothérapie probabiliste seule en cas de forte suspicion d’infection méningée nosocomiale en attendant la confirmation  des résultats microbiologiques définitifs, puis de changer de matériel intra-thécal uniquement après confirmation du diagnostic de méningite septique et 48-72h d’antibiothérapie efficace.

L’évaluation de la réponse au traitement est avant tout clinique, et ne repose pas sur une surveillance systématique du LCR sous traitement. Il parait toutefois logique de proposer un contrôle microbiologique du LCR en cas de réponse clinique insatisfaisante (persistance de la fièvre ou déficit neurologique). Un dosage des antibiotiques dans le LCR pourra alors être aussi réalisé pour ajuster les posologies.


Question 4 – 
Quelles mesures permettent de prévenir des infections méningées nosocomiales ?

Plusieurs facteurs de risques d’infection méningée nosocomiale sont connus, comme la fuite de LCR post-procédure ou après traumatisme, ainsi que la durée de la chirurgie. Si certains de ces facteurs de risque ne sont pas contrôlables, d’autres facteurs sont évitables. L’incidence des infections liées aux soins survenant dans le cadre de la pose et de la surveillance des cathéters de dérivation intra-thécale est extrêmement variable dans la littérature, oscillant entre 2 et 30% [7,14, 15]. Ces différences peuvent venir d’une hétérogénéité des définitions utilisées, mais aussi d’une meilleure maîtrise des facteurs de risque. En effet, les modalités des manipulations du dispositif semblent importantes pour la prévention des infections et ventriculites sur cathéter. Il est particulièrement recommandé de limiter les prélèvements répétés pour analyse du LCR qui exposent à la contamination du dispositif. De même, il n’est pas recommandé de renouveler systématiquement le matériel en prévention de l’infection [14]. Des études observationnelles et méta-analyses suggèrent que les cathéters imprégnés d’antibiotiques ou de nanoparticules d’argent pourraient avoir un intérêt mais aucun essai clinique prospectif randomisé de grande puissance ne l’a confirmé [16, 17]. L’application de recommandations de soins semble être le facteur le plus important pour contrôler l’incidence de ces infections. Korinek et coll. ont ainsi montré que la qualité des soins et la stricte application de protocoles de service diminuait de moitié l’incidence des infections ventriculaires sur cathéter, de 12% à 6% [15]. Les mesures prises concernaient les procédures d’asepsie à l’insertion du cathéter, la limitation des manipulations du dispositif de drainage, la limitation des prélèvements de LCR au cours de l’évolution et une surveillance renforcée du dispositif. De façon intéressante, les deux seuls facteurs de risque de survenue d’une infection ventriculaire dans cette cohorte étaient l’existence d’une fuite de LCR et les violations du protocole de soin. De façon similaire, la mise en place et l’évaluation d’un protocole de soins infirmiers des cathéters ventriculaires dans notre service de réanimation chirurgicale a permis de réduire l’incidence des infections de 21,7% à 1,8%.

Références

1.​ Zarrouk V, Vassor I, Bert F, Bouccara D, Kalamarides M, Bendersky N, Redondo A, Sterkers O, Fantin B. Evaluation of the management of postoperative aseptic meningitis. Clin Infect Dis 2007;44:1555-1559.
2.​ Mook-Kanamori BB, Geldhoff M, van der Poll T, van de Beek D. Pathogenesis and pathophysiology of pneumococcal meningitis. Clin Microbiol Rev 2011;24:557-591.
3.​ Van de Beek D, Drake JM, Tunkel AR. Nosocomial bacterial meningitis. N Engl J Med 2010;362:146-154.
4.​ Beer R, Lackner P, Pfausler B, Schmutzhard E. Nosocomial ventriculitis and meningitis in neurocritical care patients. J Neurol 2008;255:1617-1624.

5. ​Scheld WM, Koedel U, Nathan B, Pfister HW. Pathophysiology of bacterial meningitis: Mechanism(s) of neuronal injury. J Infect Dis 2002;186 Suppl 2:S225-233.
6. ​Lukaszewicz AC, Gontier G, Faivre V, Ouanounou I, Payen D. Elevated production of radical oxygen species by polymorphonuclear neutrophils in cerebrospinal fluid infection. Ann Intensive Care 2012;2:10.
7.​ Lozier AP, Sciacca RR, Romagnoli MF, Connolly ES, Jr. Ventriculostomy-related infections: A critical review of the literature. Neurosurgery 2002;51:170-181; discussion 181-172.
8. ​Pfausler B, Beer R, Engelhardt K, Kemmler G, Mohsenipour I, Schmutzhard E. Cell index–a new parameter for the early diagnosis of ventriculostomy (external ventricular drainage)-related ventriculitis in patients with intraventricular hemorrhage? Acta Neurochir (Wien) 2004;146:477-481.
9. ​Sakushima K, Hayashino Y, Kawaguchi T, Jackson JL, Fukuhara S. Diagnostic accuracy of cerebrospinal fluid lactate for differentiating bacterial meningitis from aseptic meningitis: A meta-analysis. J Infect 2011;62:255-262.

10. Banks JT, Bharara S, Tubbs RS, et al. Polymerase chain reaction for the rapid detection of cerebrospinal fluid shunt or ventriculostomy infections. Neurosurgery 2005;57:1237-1243
11.​ Zarrouk V, Leflon-Guibout V, Robineaux S, Kalamarides M, Nicolas-Chanoine MH, Sterkers O, Fantin B. Broad-range 16s rrna pcr with cerebrospinal fluid may be unreliable for management of postoperative aseptic meningitis. J Clin Microbiol 2010;48:3331-3333.
12.​ Pirracchio R, Deye N, Lukaszewicz AC, Mebazaa A, Cholley B, Mateo J, Megarbane B, Launay JM, Peynet J, Baud F, Payen D. Impaired plasma b-type natriuretic peptide clearance in human septic shock. Crit Care Med 2008;36:2542-2546.
13. ​Schreffler RT, Schreffler AJ, Wittler RR. Treatment of cerebrospinal fluid shunt infections: A decision analysis. Pediatr Infect Dis J 2002;21:632-636.
14.​ Dasic D, Hanna SJ, Bojanic S, Kerr RS. External ventricular drain infection: The effect of a strict protocol on infection rates and a review of the literature. Br J Neurosurg 2006;20:296-300.
15.​ Korinek AM, Reina M, Boch AL, Rivera AO, De Bels D, Puybasset L. Prevention of external ventricular drain–related ventriculitis. Acta Neurochir (Wien) 2005;147:39-45; discussion 45-36.
16. ​Lackner P, Beer R, Broessner G, Helbok R, Galiano K, Pleifer C, Pfausler B, Brenneis C, Huck C, Engelhardt K, Obwegeser AA, Schmutzhard E. Efficacy of silver nanoparticles-impregnated external ventricular drain catheters in patients with acute occlusive hydrocephalus. Neurocrit Care 2008;8:360-365.
17.​ Thomas R, Lee S, Patole S, Rao S. Antibiotic-impregnated catheters for the prevention of csf shunt infections: A systematic review and meta-analysis. Br J Neurosurg 2012;26:175-184.