Mis en ligne le 23 octobre 2017
Article du mois

Place du levosimendan en anesthésie-réanimation

Par le Pr Jean-Luc Fellahi (Hôpital Louis Pradel – Hospices Civils de Lyon) pour le Comité Scientifique de la SFAR

 

Position du problème : Le lévosimendan est un agent inotrope positif et vasodilatateur qui présente des propriétés pharmacocinétiques et pharmacodynamiques originales. Longtemps soumis à une autorisation temporaire d’utilisation, il est aujourd’hui disponible sans restriction en France. Il persiste cependant des incertitudes sur la place qu’il convient de lui attribuer en pratique clinique. En outre, son prix élevé invite à cibler clairement ses indications potentielles dans l’insuffisance cardiaque aiguë, tant en médecine périopératoire qu’en réanimation.

Les études : Quatre essais multicentriques randomisés, contrôlés, en double aveugle versus placebo ont donné lieu à des publications majeures entre 2016 et 2017 :

  • L’étude britannique LeoPARDS: Gordon AC et al. Levosimendan for the prevention of acute organ dysfunction in sepsis. NEJM, October 27, 2016 ;
  • L’étude nord-américaine LEVO-CTS: Mehta RH et al. Levosimendan in patients with left ventricular dysfunction undergoing cardiac surgery. NEJM, March 19, 2017 ;
  • L’étude italienne CHEETAH: Landoni G et al. Levosimendan for hemodynamic support after cardiac surgery. NEJM, April 12, 2017 ;
  • L’étude française LICORN: Cholley B et al. Effect of levosimendan on low cardiac output syndrome in patients with low ejection fraction undergoing coronary artery bypass grafting with cardiopulmonary bypass. JAMA, August 8, 2017.

Méthodes et résultats : Globalement, les résultats de ces 4 études majeures sont négatifs et décevants, l’utilisation du lévosimendan ne permettant pas de réduire la morbimortalité des patients à court et moyen terme.

  • LeoPARDS: 516 patients en choc septique sous agents vasopresseurs ont été randomisés en groupe lévosimendan (259) ou placebo (257) et suivis sur une période maximale de 28 jours. Le lévosimendan était administré à la dose de 0.1 µg/kg/min pendant 2 à 4h puis 0.2 µg/kg/min pendant 20 à 22h. Le critère de jugement principal était le score SOFA quotidien en réanimation. L’analyse était réalisée en intention de traiter. Le score SOFA était respectivement de 6.68±96 et 6.06±3.89 dans les groupes lévosimendan et placebo : mean difference 0.61 (95%CI, -0.07 to 1.29), P=0.053. Il n’y avait pas de différence significative entre les deux groupes sur la mortalité à J28. L’incidence des effets indésirables était plus fréquente dans le groupe lévosimendan.
  • LEVO-CTS: 849 patients présentant une FEVG ≤ 35% et adressés pour une chirurgie cardiaque avec CEC ont été randomisés en groupe lévosimendan (428) ou placebo (421) et suivis sur une période maximale de 30 jours. Le lévosimendan était administré avant la chirurgie à la dose de 0.2 µg/kg/min pendant 1h puis 0.1 µg/kg/min pendant 23h. Le critère de jugement principal était un critère composite associant la mortalité à J30 et/ou le recours à la dialyse à J30 et/ou un infarctus du myocarde à J5 et/ou le recours postopératoire à une assistance circulatoire mécanique à J5. L’analyse était réalisée en intention de traiter. Le critère de jugement principal survenait respectivement dans 24.5% et 24.5% des cas dans les groupes lévosimendan et placebo : aOR 1.00 (99%CI, 0.66 to 1.54), P=0.98. Il n’y avait pas de différence entre les deux groupes sur l’incidence des effets indésirables.
  • CHEETAH: 506 patients nécessitant un support hémodynamique après chirurgie cardiaque ont été randomisés en groupe lévosimendan (248) ou placebo (258) et suivis sur une période maximale de 30 jours. Le lévosimendan était administré à la dose de 0.025 à 0.2 µg/kg/min pendant 48h ou jusqu’à la sortie du patient de réanimation. Le critère de jugement principal était la mortalité à J30. L’analyse était réalisée en intention de traiter. Le critère de jugement principal survenait respectivement dans 12.9% et 12.8% des cas dans les groupes lévosimendan et placebo : absolute risk difference1% (95%CI, -5.7 to 5.9), P=0.97. Il n’y avait pas de différence entre les deux groupes sur l’incidence des effets indésirables ni sur les durées de ventilation mécanique, de séjour en réanimation et à l’hôpital.
  • LICORN: 335 patients présentant une FEVG ≤ 40% et adressés pour une chirurgie de revascularisation coronaire avec CEC ont été randomisés en groupe lévosimendan (167) ou placebo (168) et suivis sur une période maximale de 6 mois. Le lévosimendan était administré après l’induction anesthésique à la dose de 0.1 µg/kg/min pendant 24h. Le critère de jugement principal était un critère composite associant la persistance d’un traitement par catécholamines 48h après la fin de la chirurgie et/ou le recours postopératoire à une assistance circulatoire mécanique et/ou le recours à la dialyse en réanimation. L’analyse était réalisée en intention de traiter. Le critère de jugement principal survenait respectivement dans 52% et 61% des cas dans les groupes lévosimendan et placebo : absolute risk difference -7% (95%CI, -17 to 3), P=0.15. Il n’y avait pas de différence entre les deux groupes sur l’incidence des effets indésirables ni sur la mortalité à J28 et J180.

Commentaires : La première étude (LeoPARDS) a été conduite en réanimation chez des patients en choc septique. Elle n’a pas montré de bénéfice à l’addition au traitement standard de lévosimendan à dose fixe en termes de réduction de la morbimortalité. Il y avait davantage d’effets indésirables dans le groupe lévosimendan. Les trois autres études ont été réalisées en chirurgie cardiaque. Le lévosimendan était utilisé à dose fixe en prévention de la survenue d’un syndrome de bas débit cardiaque chez des patients à risque dans deux études (LEVO-CTS et LICORN) et pour le traitement de la défaillance cardiaque postopératoire dans la dernière (CHEETAH). Là encore, le lévosimendan n’a pas permis de réduire l’incidence des complications postopératoires ni d’améliorer la survie à court et moyen terme.

Faut-il en conclure que c’est déjà la fin du lévosimendan ? Je ne le pense pas. Comme souvent, il convient de ne pas jeter trop rapidement le bébé avec l’eau du bain et, ce faisant, de se priver prématurément d’un médicament aux propriétés pharmacologiques originales et complémentaires des autres agents inotropes positifs. Les 4 études décrites ici ont toutes des limites méthodologiques qu’il convient de souligner. En particulier, aucune ne fournit les données macro-hémodynamiques des patients qui nous permettraient de juger des effets du produit sur les variables ciblées a priori, notamment le débit cardiaque. Ces informations seraient pourtant précieuses à une époque où l’on mesure de mieux en mieux la nécessité d’ajuster l’hémodynamique sur une base individuelle en s’appuyant sur les outils de monitorage ad hoc et sur des algorithmes d’optimisation hémodynamique pertinents. Par ailleurs, les stratégies d’utilisation du lévosimendan différaient entre les études (prévention et/ou traitement des complications) et l’administration du produit reposait sur le choix d’une dose fixe, plutôt faible, définie de manière empirique, et jamais ajustée au profil hémodynamique des patients. Les résultats de ces études ne préjugent donc en rien des bénéfices potentiels (ou des effets indésirables) du lévosimendan à des posologies différentes. Enfin, il conviendrait probablement de mieux cibler des sous-groupes de patients susceptibles au plan théorique de davantage bénéficier des propriétés de la molécule. Ainsi, d’autres études sont nécessaires chez les patients chroniquement traités par bétabloquants, dans la prévention du recours à l’ECMO chez les patients en choc cardiogénique, dans le sevrage des patients sous ECMO, dans les cures itératives des patients (notamment les enfants) en attente de greffe, dans la protection systémique d’organes. De même, le schéma optimal d’administration du produit (timing et dose) reste à définir.

Pour la pratique, on retiendra : Nonobstant plusieurs méta-analyses d’essais monocentriques randomisés suggérant un bénéfice du lévosimendan en termes de morbimortalité dans différentes situations cliniques, ces 4 grands essais multicentriques randomisés récents ne plaident pas en faveur de l’utilisation prophylactique ou curative du lévosimendan à faible dose en complément du traitement standard chez les patients de chirurgie cardiaque et dans le choc septique. Des études complémentaires à la fois hémodynamiques et d’outcomes sur des populations ciblées et dans des indications précises sont nécessaires. En attendant, le lévosimendan doit probablement rester un médicament de niche.