Mis en ligne le 19 Mars 2012
Questions Fréquentes
Olivier COLLANGE
Jean-Richard DIEBOLT
Guy FREYS
Chloé CHAUVIN
Pôle d’Anesthésie, Réanimations Chirurgicales, SAMU-SMUR
Hôpitaux Universitaires de Strasbourg
STRASBOURG
olivier.collange@chru-strasbourg.fr
Dans une excellente et récente « QFP », Julien Pottecher et coll. précisent la place des trachéotomies dans la prise en charge des voies aériennes supérieures en réanimation (https://sfar.org/article/832/gestion-des-voies-aeriennes-en-reanimation).
La « QFP » que nous présentons ici souhaite répondre aux questions spécifiques posées par les techniques de trachéotomie percutanée en réanimation.
Question 1 – Quelles sont les indications de la trachéotomie percutanée (TPC) en réanimation ?
Question 2 – Quelles sont les contre-indications de la TPC ?
Question 3 – Quand faire la trachéotomie ?
Question 4 – Quelles sont les modalités pratiques de réalisation d’une trachéotomie ?
Question 5 – Quelles sont les techniques disponibles ?
Question 6 – Quelle technique choisir ?
Question 7 – Comment optimiser la TPC ?
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Question 1 – Quelles sont les indications de la trachéotomie percutanée (TPC) en réanimation ?
En réanimation, le recours à la trachéotomie est le plus souvent envisagé après un échec du sevrage de la ventilation mécanique ou une ventilation mécanique de durée prolongée.
Les bénéfices attendus de la trachéotomie (comparée à l’intubation prolongée) sont d’améliorer la sécurité des voies aériennes supérieures, de diminuer l’espace mort instrumental, de simplifier la toilette bronchique et buccale, de faciliter les soins et enfin, d’améliorer le confort du patient.
Classiquement, la trachéotomie TPC peut être envisagée lorsque la durée prévisible de ventilation mécanique est supérieure à 21 jours [1]. Ainsi, lorsque l’insuffisance respiratoire aiguë ou chronique décompensée, les troubles de la conscience ou l’existence d’un trouble neurologique ou neuromusculaire semblent devoir nécessiter une ventilation mécanique prolongée, il est logique de proposer une TPC.
Néanmoins, la définition des indications et des contre-indications (question N°2) de la TPC est un sujet actuellement débattu et en pleine évolution. De plus, la détermination du bon délai pour réaliser la TPC (question N°3) fait encore actuellement l’objet d’études prospectives dont les résultats ne sont pas encore complètement publiés.
Au total, il semble actuellement logique de proposer la TPC lorsque plus de 2 semaines de ventilation mécanique et/ou de protection des voies aériennes supérieures sont nécessaires.
Question 2 – Quelles sont les contre-indications de la TPC ?
Classiquement, plusieurs états ou éléments contre-indiquent la réalisation d’une TPC.
Liste des contre-indications classiques (adaptée, d’après [2], [3]et [4]) :
Facteurs démographiques
– Âge < 18 ans
– Non-consentement de la personne ou, en cas d’inaptitude, de ses proches
Facteurs anatomiques
– Infection du site
– Présence d’une masse ou d’un goitre
– Présence (palpation ou visualisation à l’écho-Doppler) d’un vaisseau sanguin
– Antécédents de trachéotomie
– Rachis cervical instable ou figé
– Impossibilité de palper les repères anatomiques
– Cou court
– Obésité morbide
Facteurs médicaux
– Ventilation minute supérieure à 15L/min *
– PEP supérieure à 10 cm H2O **
– FiO2 > 70% *
– Patient non intubé
– Situations d’urgence
– Numération plaquettaire < 75 000 /mm3
– Troubles de la coagulation clinique ou biologique
* toutes situations pour lesquelles l’arrêt de la ventilation (nécessaire à la mise en place de la sonde de trachéotomie) ne pourra être toléré. PEP pression expiratoire positive, FiO2 fraction inspirée en oxygène.
Certaines études suggèrent que la trachéotomie pourrait être un facteur de risque de médiastinite chez les patients ayant une sternotomie récente [5, 6]. Il semble néanmoins que la trachéotomie per se ne soit pas directement responsable de la survenue de médiastinite [6-9]. Au total, la présence d’une sternotomie récente ne semble pas devoir retarder la réalisation d’une TPC lorsqu’elle est nécessaire.
Après une cervicotomie antérieure, il semble raisonnable d’attendre 6 à 10 jours avant la TPC [10], même si des TPC précoces semblent pouvoir être réalisées sans observer de complication infectieuse particulière [11].
Enfin, il faut souligner la différence entre ce qui est classiquement accepté et ce qui est réalisé en pratique par certaines équipes maîtrisant particulièrement bien les techniques de TPC. Plusieurs publications suggèrent ainsi que la TPC est réalisable même en présence de certaines contre-indications. Par exemple, Blankenship et coll. ont réalisé une TPC (Ciaglia Blue rhino + fibroscopie) chez 16 patients « à haut risque » présentant soit une obésité morbide (BMI 64±29) soit des troubles de la coagulation. Ils comparent les complications et la durée de réalisation des TPC « à haut risque » à celles réalisées chez 38 patients considérés à « bas risque » [3]. Il n’y a pas de différence significative en termes de complication ou de temps de réalisation. Par exemple, le temps moyen [valeurs extrêmes] de sécurisation des voies aériennes est de 14,4 [5-30] minutes dans le groupe à haut risque vs. 12,2 [4-24] minutes dans le groupe à bas risque. Dans une autre étude, Tabae et coll. montrent que la notion de « cou court » n’est pas liée à une augmentation des complications après TPC [4].
Finalement, la définition précise des contre-indications à la réalisation d’un TPC en réanimation nécessite probablement l’avis actualisé d’un groupe d’expert. En attendant, il semble prudent de respecter les contre-indications classiques et de n’envisager de les dépasser qu’au sein d’une équipe entraînée et dans le cadre d’un protocole de recherche.
Question 3 – Quand faire la trachéotomie ?
Cette question est intimement liée à l’indication même de la trachéotomie. Implicitement, si la trachéotomie est indiquée, il convient de la faire le plus tôt possible pour ne pas cumuler les complications de l’intubation orotrachéale prolongée à celles de la trachéotomie.
Lors d’une métanalyse publiée en 2005, Griffith et coll. indiquent qu’une trachéotomie précoce est associée à des durées de ventilation mécanique et d’hospitalisation en réanimation plus courtes [12]. Depuis, plusieurs études randomisées ont été réalisées pour déterminer le meilleur moment de la trachéotomie. Wang et coll. ont très récemment fait le point sur cette question lors d’une nouvelle métanalyse [13]. Sur plus de 1200 citations scrutées, seules 7 études contrôlées randomisées avaient des critères de qualité suffisants pour être analysées. Cette métanalyse montre que la trachéotomie précoce ne permet pas de réduire la mortalité à court ou à long terme, l’incidence des pneumopathies acquises sous ventilation mécanique, la durée de ventilation mécanique ou la durée du séjour à l’hôpital ou en réanimation [13].
Bien que les résultats complets de l’étude TracMan (Tracheotomy Management in Critical Care ; http://www.tracman.org.uk/) n’ont pas encore été publiés, certaines données ont déjà été diffusées lors de congrès ou dans des publications de synthèse [14]. Cette étude a pour but de déterminer si la réalisation d’une trachéotomie précoce (dans les 4 premiers jours) vs. une trachéotomie tardive (après 10 j d’intubation) permet de modifier le devenir du patient. L’étude inclut plus de 900 patients recrutés dans 72 services de réanimation anglais sur une durée totale de 4 ans. La trachéotomie précoce est associée à une durée de sédation plus courte, mais ne permet pas de diminuer la durée de séjour en réanimation ou à l’hôpital et ne modifie pas la mortalité à court et à long terme [14]. Parmi les patients prévus pour avoir une trachéotomie «tardive (> 10j), plus de la moitié n’a pas eu besoin de trachéotomie [14].
Au total, la durée de ventilation mécanique précédant la TPC ne semble pas être un évènement « marquant » lors de l’hospitalisation d’un patient en réanimation. Les données actuelles indiquent qu’il n’y a aucun gain à précipiter la réalisation d’une TPC.
Question 4 – Quelles sont les modalités pratiques de réalisation d’une trachéotomie ?
Le patient doit être sédaté, voire curarisé et monitoré (notamment l’EtCO2). Il est placé en décubitus dorsal avec la nuque en hyperextension en plaçant un billot sous les épaules. La sonde d’intubation doit être retirée sous contrôle laryngoscopique « au maximum » c’est-à-dire en plaçant le ballonnet juste sous les cordes vocales, permettant ainsi de ventiler le patient sans gêner la ponction trachéale. Un masque laryngé peut également être utilisé et remplacer la sonde d’intubation trachéale. La FiO2 est réglée à 100% pour garantir une parfaite oxygénation lors de la phase d’arrêt de la ventilation mécanique (mise en place de la sonde de trachéotomie). La présence de deux médecins est nécessaire : le premier réalise la TPC et le second gère la sonde d’intubation et la ventilation mécanique, voire la fibroscopie trachéale. Enfin, la réalisation d’une TPC nécessite la proximité d’un bloc opératoire et la disponibilité d’une équipe chirurgicale capable de faire face aux complications potentielles, notamment hémorragiques.
La trachée est abordée entre le 1er et le 2ème anneau ou entre le 2ème et le 3ème anneau trachéal, ce qui correspond habituellement à deux travers de doigt au dessus de la fourchette sternale ou encore, à 1 cm sous le cartilage cricoïde. Le niveau est repéré par palpation ou éventuellement par transillumination si une fibroscopie trachéale est associée à la TPC. Enfin, la réalisation d’une échographie trachéale permet de confronter le trajet de l’abord trachéal avec les structures anatomiques environnantes.
Question 5 – Quelles sont les techniques disponibles ?
Au total, six techniques de TPC par « dilatation » sont décrites (percutaneous dilatational tracheostomy). Toutes utilisent la méthode de Seldinger et commencent par une ponction trachéale, sécurisée par la mise en place d’un guide métallique. Le trajet de ponction est dans un deuxième temps élargi soit à l’aide d’un dilatateur (Ciaglia, Fantoni, Percutwist), soit par l’application de forceps (Griggs). Ces techniques sont décrites notamment à l’aide de schémas dans la conférence d’actualisation de la SFAR de J.C. Chevrolet [15].
Ciaglia est le premier à avoir remis la trachéotomie percutanée au goût du jour des techniques trachéales en réanimation dès 1985. La simplicité de cette technique a largement contribué au succès actuel de la TPC. La trachée est abordée perpendiculairement avec une aguille 15 Gauge montée sur un mandrin liquide, le reflux d’air dans la seringue signale la bonne position de l’aiguille. Celle-ci peut être confirmée par fibroscopie. Le guide métallique souple est inséré dans la trachée en direction de la carène. L’orifice de ponction est progressivement dilaté à l’aide de bougies de calibres croissants. Une canule de trachéotomie est ensuite introduite dans la trachée à l’aide d’un des derniers dilatateurs. Le set de dilatations successives a utilement été remplacé par un dilatateur unique en forme de corne de rhinocéros. Cette technique est probablement la plus utilisée à travers le monde.
La technique de Griggs préconise l’utilisation de pince métallique recourbée spécifique (par exemple : pince modifiée de Howard-Kelly. La pince est glissée de sur le guide en position fermée. Elle est ouverte à deux reprises pour dilater d’abord les espaces prétrachéaux puis l’orifice transtrachéal. Après avoir retiré la pince en position ouverte, la canule de trachéotomie est glissée sur le guide métallique à l’aide d’un introducteur.
La méthode PercuTwist (décrite par Frova) utilise un introducteur conique pointu en forme de vis. Après ponction percutanée de la trachée et mise en place du guide métallique, l’introducteur est vissé directement dans la paroi trachéale antérieure. La fibroscopie bronchique est nécessaire pour contrôler la bonne progression de la vis dans la trachée. Lorsque la dilatation est optimale, une canule de trachéotomie est placée à l’aide d’un introducteur.
La trachéotomie par voie translaryngée (technique décrite par Fantoni) est plus complexe, elle est dérivée des techniques de gastrotomie percutanée. Son principal intérêt théorique est la diminution du risque de lésion du mur postérieur de la trachée en raison de la dilatation trachéale effectuée du dedans vers le dehors. Après repérage de l’abord trachéal à la fibroscopie, la trachée est ponctionnée à l’aide d’une aiguille courbe.Un guide métallique souple est inséré dans la trachée de façon rétrograde, en direction de l’oropharynx. Le guide métallique est récupéré au travers des cordes vocales après avoir dégonflé le ballonnet de la sonde d’intubation. La sonde d’intubation conventionnelle est remplacée par une sonde à ballonnet de petit calibre positionnée juste au dessus de la carène. Un dilatateur-canule conique est glissé sur le guide métallique et l’ensemble est tracté de la trachée vers la peau pour permettre l’issue de la sonde de trachéotomie. La canule doit alors être orientée vers la carène par une rotation de 180°.
Enfin, la dernière technique disponible consiste à utiliser un ballon de type radiologie interventionnelle pour dilater l’orifice trachéal (Ciaglia Blue Dolphin). Cette méthode doit être validée par plusieurs études avant de pouvoir être recommandée [16].
Question 6 – Quelle technique choisir ?
Plusieurs études, en général monocentriques et utilisant un relativement petit effectif de patients, ont comparé les différentes techniques de TPC. Eu égard aux faibles taux de complications de l’ensemble des techniques (de l’ordre de 5%), il très difficile de préconiser une technique plutôt qu’une autre sur la base de ces études. Il est probable que toutes les techniques, pratiquées par une équipe expérimentée, aient un taux de complication équivalent [17-19].
Néanmoins, certaines techniques ont des spécificités. La dilatation unique type Blue Rhino Ciaglia est certainement la plus simple et probablement la plus utilisée dans le monde. La dilatation « à la pince » (Griggs) évite les lésions du mur postérieur, mais aurait tendance à être associée à plus complications que la technique de dilatation unique de Ciaglia [20]. La réalisation de la technique translaryngée (Fantoni) nécessite une équipe très entraînée et une bronchoscopie rigide [18]. Par ailleurs, cette technique est souvent associée à un taux de complication plus élevé (-notamment à des épisodes d’hypoxémie), que celui observé avec les autres techniques [21].
Question 7 – Comment optimiser la TPC ?
Plusieurs moyens peuvent être utilisés pour faciliter la réalisation de la TPC ou pour en limiter les risques.
La fibroscopie trachéo-bronchique (FTB) peut aider au repérage des deuxième et troisième anneaux trachéaux, mais que de façon inconstante. La FTB permet de prévenir les lésions de la membrane trachéale postérieure lors de la ponction ou de la dilatation et confirme le bon positionnement de la sonde de trachéotomie. Au total, la fibroscopie permettrait de réduire les complications liées à la TPC [22, 23]et la plupart des auteurs recommandent notamment d’utiliser la fibroscopie lors des TPC utilisant les techniques de dilatation (multiples ou unique). La nécessité d’utiliser un fibroscope peut néanmoins retarder la réalisation de la TPC (disponibilité du fibroscope), allonger la durée de la procédure et gêner la ventilation mécanique pendant la procédure. Enfin, il faut souligner le risque de ponction du fibroscope lors de la ponction percutanée.
Le repérage des structures anatomiques et vasculaires à l’aide d’une échographie-Doppler permet certainement d’améliorer la sécurité du geste [24], surtout quand les repères anatomiques sont difficilement palpables [25]. L’écho-Doppler permet en particulier de visualiser des troncs artériels éventuellement palpables comme le tronc brachio-céphalique mais aussi des structures plus fines ou des veines comme la veine thyroïdienne inférieure. L’utilisation de l’écho-Doppler participerait ainsi à élargir les indications de la TPC à des situations jugées jusqu’à présent comme difficiles ou risquées.
Enfin, quand elle est possible, l’utilisation d’un masque laryngé permet de retirer complètement la sonde d’intubation et pourrait ainsi faciliter la ponction transtrachéale et la progression de la sonde de trachéotomie [26, 27].
1. Quel abord trachéal pour la ventilation mécanique des malades de réanimation (à l’exclusion du nouveau-né)? in XVIII Conférence de consensus en réanimation et médecine d’urgence.1998.
2. Melker R, Kost K, Percutaneous dilational cricothyrotomy and tracheostomy, in Benumof’s airway management, C.A. Hagberg, Editor. 2007, Mosby Elsevier: Philadelphia, PA, USA. p. 640-677.
14. Durbin CG, Jr. Tracheostomy: why, when, and how? Respir Care 2010; 55: 1056-68.
15. Chevrolet JC, Trachéotomie percutanée, in Conférences d’actualisation. 2002, Elsevier: Paris. p. 465-478.