Mis en ligne le 8 Mars 2010
Questions Fréquentes

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P. Montravers, M. Desmard

DAR – Hôpital Bichat, Université Paris Diderot

Question 1 – Hémorragies digestives et CORTICOIDES ?

Question 2 – Les Infections sont-elles favorisées par les glucocorticoïdes ?

Question 3 – Neuropathies induites et Glucocorticoïdes ?

Question 4 – Risque d’arythmie complète par fibrillation auriculaire et corticoides ?

 

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Question 1 – Hémorragies digestives et CORTICOIDES ?

La survenue fréquente d’une ulcération gastro-duodénale chez un patient sans antécédents digestifs, recevant une corticothérapie, est un sujet de controverse, illustrée par deux méta-analyses. La première regroupant plus de 6000 patients dans 50 articles en 1976, n’a mis en évidence aucune association claire entre corticothérapie et ulcère peptique (Conn). La seconde méta-analyse groupant également plus de 6000 patients a mis en évidence une tendance non significative à un risque relatif (RR) accru d’ulcération (1,8 versus 0,8%;RR:2,3) et d’hémorragie digestive (2,5 vs 1,6%;RR:1,5)(Messer). Une étude cas-témoins de 1400 patients a montré que le risque d’ulcération digestive, provoquée par une corticothérapie, est significatif en cas de traitement associé par les anti-inflammatoires non-stéroïdiens (RR:4,4 vs 1,1 en l’absence de traitement associé) (Griffin, Piper).

Dans une étude rétrospective sur 11 ans conduite chez 465 greffés rénaux, Chen et coll ont analysé en la survenue d’une ulcération digestive post-transplantation. Au total 181 (39%) ont eu au moins un épisode d’ulcère gastrique ou duodénal, une oesophagite, une gastrite, une duodénite ou un ulcère oesophagien. En analyse multivariée, les facteurs de risque d’ulcère postopératoire chez ces patients étaient l’utilisation d’un bolus de méthylprednisolone (RR:3,954;IC95%:3,154-18,312;p<0,03) et des antécédents d’ulcère préopératoire (RR:7,599;IC95%:1,211-12,905; p<0,0001).

A l’opposé, l’étude Corticus n’a pas montré d’augmentation significative du saignement sous hydrocortisone chez les malades en état de choc (Sprung), mais il ne s’agit pas du même agent ni de la même indication de ces agents.

Le potentiel de synergie de l’association corticoïdes AINS a été confirmé dans deux travaux. Dans une étude de base de données au Royaume-Uni, Hernandez-Diaz et coll ont comparé 2105 patients avec des complications gastro-intestinales avec de 11500 patients contrôles sans complications. Le risque relatif de complications gastro-intestinales était accru d’un facteur 1,8 (IC95%:1,3-2,4) chez les patients recevant un traitement oral par corticoïdes et les complications gastriques d’un facteur 2,4 (IC95%:1,7-3,4). Les corticoïdes étaient associés à des saignements (RR:1,8;IC95%:1,3-2,4). L’utilisation simultanée d’anti-inflammatoires à faible-moyenne dose et forte dose était associée à un risque accru de complications digestives respectivement de 4,0 (IC95%:1,3-12,0) et 12,7 (IC95%:6,2-26,1) comparé à des patients sans corticoïdes. Les auteurs concluaient à la nécessité d’une monothérapie plutôt qu’une association corticoïdes+AINS.

Dans un second travail récent consacré à l’analyse des effets de bolus de methylprednisolone chez 67 patients atteints de lupus, les auteurs ont observé un risque accru de lésion de la muqueuse gastrique en cas d’antécédents d’ulcère peptique et d’usage d’AINS. En analyse multivariée, l’utilisation d’AINS était le seul facteur de risque de lésion gastrique (RR:26,99;IC95%:4,9-148 ;p<0,0001).

Une surveillance est recommandée chez les patients de réanimation recevant une corticothérapie. L’utilisation systématique de protecteurs gastriques, d’inhibiteurs de la pompe à proton ou d’anti-H2 n’a pas prouvé son utilité dans ce contexte. La nutrition entérale précoce et les pansements contribuent probablement à la prévention des complications digestives liées aux glucocorticoïdes. Chez des patients présentant un risque élevé d’hémorragie digestive (âge avancé, traitement anticoagulant associé, association AINS et corticoïdes, aspirine à dose anti-agrégante, antécédent ou épisode actuel ulcéreux dont hémorragique), certains auteurs recommandent la prescription d’inhibiteurs de la pompe à proton en cas de prescription de corticoïdes (Peura).

Références :

Question 2 – Les Infections sont-elles favorisées par les glucocorticoïdes ?

Les glucocorticoïdes peuvent être proposés pour le traitement d’infections graves en réanimation. Toute l’ambivalence de ces agents repose sur leur effet immunodépresseur qui impose de conserver en mémoire les risques éventuels de favoriser le développement d’une infection. En présence d’une infection il y a intérêt à obtenir un diagnostic de responsabilité de l’agent infectieux avant la mise en route des corticoïdes pour pouvoir assurer un traitement anti-infectieux efficace.

Dans une étude cas-témoins conduite pendant 2 ans dans un centre de brulés, tous les patients recevant des corticoïdes au cours de leur séjour en réanimation ont été appariés avec un groupe de patient de même âge et de même sévérité. Les indications de la corticothérapie étaient multiples : lésion médullaire, choc septique, insuffisance surrénale, névrite optique, œdème des voies aériennes, traitement substitutif…. En analyse univariée par rapport au groupe témoin, les auteurs ont observé une augmentation de la fréquence des infections pulmonaires (26 % versus 12 %, p<0,01), des bactériémies (19 % vs 7 %, p<0,01) et des infections urinaires (17 vs 8 %, p<0,05). En analyse multivariée, la prescription de glucocorticoïdes étaient associée à un risque accru d’infection pulmonaire (risque relatif : 2,64 ; intervalle de confiance à 95 % : 1,21-5,75) et de bactériémie (3,25 ; 1,26-8,37). Les patients qui recevaient des glucocorticoïdes avaient une durée de séjour accrue de 7 jours (p<0,01) et une durée de ventilation accrue de 5 jours (p<0,01). Dans l’étude Corticus qui évaluait l’effet de la supplémentation en hydrocortisone chez des patients en choc septique et en sepsis grave, les auteurs ont observé une augmentation de la fréquence des surinfections dont de nouveaux épisodes de sepsis ou de choc septique (33% versus 26% dans le groupe placebo). Le risque relatif d’infection lié au traitement par hydrocortisone était accru d’un facteur 1,37.

Références :

Les conséquences d’une administration récente doivent être analysés différemment d’une administration au long cours. Ainsi dans les maladies auto-immunes, les transplantations d’organe, ou les chimiothérapies il est plus difficile de faire la part de l’immunosuppression liée à la maladie de fond, aux autres immunosuppresseurs et aux corticoïdes. Une seule méta-analyse est disponible sur le sujet qui ne retrouve pas de complications infectieuses accrues si les posologies de corticoïdes sont équivalentes ou inférieures à 10 mg de prednisone. Une dose cumulative équivalente à 700 mg de prednisone serait associée à un risque relatif multiplié par 2 d’infection. Cette analyse prend en compte les corticothérapies courtes mais à forte dose. Les infections observées reflètent l’atteinte de l’immunité cellulaire : tuberculose, hépatites, infections à herpes virus, grippe, infections fongiques à levures (candida et cryptocoques) et à filamenteux (aspergillus) et pneumocystoses.

En rhumatologie dans une grande série de patients traités par corticoïdes pour des lupus érythémateux, les auteurs ne rapportent au total que 26 infections fongiques invasives pour plus de 2300 patients étudiés dont une vaste majorité d’infections à Cryptococcus neoformans. A l’opposé, dans une population de patients traités pour une polyarthrite rhumatoïde, les auteurs rapportent une fréquence d’infection multipliée par 2 par rapport à la population normale. Le sites les plus fréquemment impliqués étaient les infections respiratoires (risque multiplié par 3,5) et les bactériémies (risque multiplié par 4). Cependant, dans une petite série de patients atteints de polyarthrite rhumatoïde comparant les effets secondaires d’une administration de prednisone à faible dose (10 mg) à un placebo, les auteurs ont rapporté une incidence similaire d’infection.

Références :

  • Chen HS, Tsai WP, Leu HS et al. Invasive fungal infection in systemic lupus erythematosus: an analysis of 15 cases and a literature review Rheumatology 2007;46:539-44
  • Franklin J, Lunt M, Bunn D et al. Risk and predictors of infection leading to hospitalisation in a large primary-care-derived cohort of patients with inflammatory polyarthritis. Ann Rheum Dis 2007;66;308-12.
  • Van Everdingen A, Jacobs JW, Siewertsz et al. Low-dose prednisone therapy for patients with early active rheumatoid arthritis: Clinical efficacy, disease-modifying properties, and side effects. A randomized, double-blind, placebo-controlled clinical trial. Ann Intern Med. 2002;136:1-12
  • Lionakis MS, Kontoyiannis DP. Glucocorticoids and invasive fungal infections. Lancet 2003;362:1828–38

Question 3 – Neuropathies induites et Glucocorticoïdes ?

La survenue de neuropathies chez les patients de réanimation après traitements corticoïdes est reconnue depuis une dizaine d’année. Dans une cohorte de 109 patients survivants à un SDRA, les patients ayant reçu des corticoïdes étaient ceux qui avaient le plus de difficultés à la marche dans les 12 mois suivants. Dans une série de 95 patients de réanimation, de Jonghe et collaborateurs décrivent une incidence de 25% de neuropathie axonale sensitivo-motrice dite « de réanimation » sans atteinte histologique nerveuse. Plus de la moitié de ces patients avaient reçu des glucocorticoïdes pour une durée moyenne de 8 jours à la posologie moyenne cumulée de 1450 mg. En analyse multivariée, le risque de neuropathie était multiplié par 14,9 chez les patients qui avaient reçus des glucocorticoïdes. Cependant les données sont contradictoires concernant le rôle de la posologie dans la survenue de ces atteintes neurologiques. Dans l’étude Corticus qui évaluait l’effet de la supplémentation en hydrocortisone chez des patients en choc septique et en sepsis grave, les auteurs n’ont pas observé d’augmentation de la fréquence des neuropathies après la même dose cumulée de 1450 mg d’hydrocortisone. Le type d’agent impliqué pourrait donc potentiellement également jouer un rôle.

Références :

  • Bercker S, Weber-Carstens S, Deja M, et al. Critical illness polyneuropathy and myopathy in patients with acute respiratory distress syndrome. Crit Care Med. 2005;33:711-5.
  • De Jonghe B, Sharshar T, Lefaucheur JP, et al. Paresis acquired in the intensive care unit: a prospective multicenter study. Jama. 2002;288:2859-67.
  • Herridge MS, Cheung AM, Tansey CM, et al. One-year outcomes in survivors of the acute respiratory distress syndrome. N Engl J Med. 2003;348:683-93.
  • Stevens RD, Dowdy DW, Michaels RK, Mendez-Tellez PA, Pronovost PJ, Needham DM. Neuromuscular dysfunction acquired in critical illness: a systematic review. Intensive Care Med. 2007;33:1876-91.

Question 4 – Risque d’arythmie complète par fibrillation auriculaire et corticoides ?

Les glucocorticoïdes à forte dose sont associés à un risque accru d’infarctus du myocarde, d’accident vasculaire cérébral et de défaillance cardiaque (Christiansen). Des travaux récents suggèrent également une association avec l’ACFA. Une attention particulière doit être portée à cet effet secondaire du fait se sa prévalence élevée (10% dans la population au delà de 80 ans) et le risque multiplié par 3 à 4 d’AVC (Christiansen). La littérature fait état de 2 séries de cas cliniques décrivant des épisodes d’ACFA après bolus de méthylprednisolone (Aslam, McLuckie). Dans deux étude cas-contrôles hollandaise (385 patients) (Van der Hooft) et britannique (468 patients)(Huerta), les auteurs avaient observé une fréquence accrue d’ACFA chez les utilisateurs de glucocorticoïdes. L’interprétation de ces deux travaux était rendue difficile du fiat d’une restriction aux patients BPCO (Huerta), d’une participation incomplète de la population (Van der Hooft), et d’une taille modeste des effectifs rendant imprécise l’analyse des sous-groupes.

Une étude cas-contrôle danoise vient de préciser ces éléments en appariant sur l’âge et le sexe un patient en ACFA pour 10 patients témoins (Christiansen). L’utilisation de glucocorticoïdes chez les 20221 patients en ACFA étudiés était observée dans 6,4% des cas. Les corticoïdes étaient associés à un risque accru d’ACFA ou de flutter (RR : 1,92, intervalle de confiance à 95% 1,79-2,06), par rapport à des patients n’en ayant jamais reçu. En cas d’introduction récente de GC, le risque était de 3,62 (IC95% 3,11-4,22) tandis qu’un usage au long cours était associé à un risque plus faible de 1,66(IC95% :1,53-1,80). Ce risque était observé chez les patients avec et sans maladie respiratoire et cardiovasculaire. Chez des patients ayant reçu par le passé des GC, ce risque n’était pas observé. Une hypokaliémie induite par les corticoïdes pourrait être un facteur favorisant d’ACFA. Les conséquences thérapeutiques pour le prescripteur ne sont pas établies pour l’instant (utilisation accrue d’anticoagulants ?) mais ce risque mérite d’être souligné.

Références :

  • Aslam AK, Vasavada BC, Sacchi TJ et al. Atrial fibrillation associated with systemic lupus erythematosus and use of methylprednisolone. Am J Ther 2001;8 :303-5
  • McLuckie AE, Savage RW. Atrial fibrillation following pulse methylprednisolone therapy in an adult. Chest 1993;104 :622-3
  • Van der Hooft CS, Heeringa J, Brusselle GG et al. Corticosteroids and the risk of atrial fibrillation. Arch intern med 2006;166 :1016-20
  • Huerta C, Lanes SF, Garcia Rodriguez LA. Respiratory medications and the risk of cardiac arrhythmias. Epidemiology 2005;16 :360-6
  • Christiansen CF, Christensen S, Mehnert F et al. Glucocorticoid use and risk of atrial fibrillation or flutter. A population-based, case-control study. Arch Intern Med 2009;169 :1677-83

Ph. Montravers M. Desmard