Ing et al.  Br J of Anaesth 2024 132 (5): 899e910. X-doi: 10.1016/j.bja.2024.01.025

Analyse réalisée par Claire Bopp, Jean-Philippe Salaun et Mathilde De Queiroz pour le comité scientifique de la SFAR

 

Contexte de l’étude :

La chirurgie non-obstétricale en cours de grossesse est un réel enjeu de santé publique puisqu’elle concerne 2% des femmes enceintes. L’association entre une exposition prénatale à l’anesthésie générale pendant la grossesse et le risque de développement de trouble du comportement chez l’enfant n’est pas bien définie.

Niveaux de preuves et connaissances avant la publication de l’article :

Les études expérimentales précliniques mettent en évidence l’existence d’un effet d’une anesthésie générale que ce soit en prénatal ou en post natal sur le devenir neuro-développemental des nouveau-nés. La littérature clinique sur les effets des agents anesthésiques en postnatal est quant à elle plutôt rassurante. Pour la période prénatale, peu d’études se sont intéressées à la question des conséquences d’une exposition à l’anesthésie générale pendant la grossesse. Actuellement, seules les études cliniques de Ing en 2021(1) et de Blesser et al en 2022 (2) ont été publiées sur cette thématique mais sans pouvoir confirmer les données précliniques En effet, Blesser (2) et son équipe conclue sur l’absence d’association entre une exposition prénatale à une anesthésie générale et des troubles du comportement chez les enfants. Ainsi, cette étude est la troisième étude publiée sur ce sujet montrant bien l’intérêt actuel pour cette problématique.

Méthodologie :

Une cohorte de femme enceinte a été tirée au sort à partir de la base de données de Medicaid Analytic eXtract (MAX) issue de 47 États des États-Unis et Washington DC, pour la période de 1999 à 2013.

Un appariement multivarié avec ajustement sur le critère principal a été utilisé pour apparier chaque enfant exposé à une anesthésie générale pendant la grossesse (appendicectomie et/ou cholécystectomie) à cinq enfants non exposés. Avant l’appariement, un échantillon aléatoire de 10 % de mères non exposées et d’enfants liés a été exclu de la cohorte de l’étude et utilisé pour estimer le risque d’un diagnostic infantile de trouble neuropsychiatrique et ne faisant pas partie de la population finale de l’étude. L’appariement a mis l’accent sur les covariables potentielles prédictives. La période d’observation des enfants s’étendait de leur naissance à la clôture de l’étude le 31/12/2013.  Une analyse de sensibilité a concerné les femmes traitées pour troubles psychiatrique au cours de la grosses, une attention a été portée sur les données partielles ainsi que sur les complications imputables à la chirurgie (retard de croissance, accouchement prématuré, …).

Critère de jugement principal :

Le critère de jugement principal était l’âge au premier diagnostic d’un trouble du comportement (perturbateur ou intériorisé) avec une analyse en sous-groupe en fonction du sexe, du type de chirurgie, du trimestre d’exposition, de la région du pays et de l’année de naissance.

Critères secondaires :

Les différents troubles du comportement ont été étudiés de manière indépendante : trouble perturbateur du comportement (déficit de l’attention/ trouble d’hyperactivité [TDAH] ou de conduite, …) ou trouble du comportement intériorisé (trouble bipolaire, dépression ou anxiété), autisme, difficulté d’apprentissage, trouble développemental de la parole ou du langage, déficience intellectuelle.

Compliance à la randomisation : Non applicable

Résultats :

CJP :  

Sur une cohorte de 16 778 231 naissances, 34 271 enfants exposés à une anesthésie générale en période pré natale ont été appariés avec 171 355 enfants non exposés issus de la base de données. Les deux groupes étaient équilibrés sur les variables prénatales.

Les enfants exposés étaient plus susceptibles que les enfants non exposés de développer un trouble du comportement, avec une augmentation de 31 % du risque (OR 1.31[IC 95 % :  1,23-1,40]). Ce risque était identique au cours des 3 premières années de vie, mais diverge par la suite. Aucune différence n’a été retrouvée en fonction du sexe, du type de chirurgie ainsi que de la région du pays. Néanmoins, un risque plus élevé aux deuxième et troisième trimestres a été mis en évidence (premier trimestre OR 1.15 [IC 95% : 1.02-1.28] vs premier trimestre OR 1.39[IC 95% : 1.27-1.51], p =0.008, ou vs troisième trimestre OR 1.42 [IC 95% : 1.23-1.64], p = 0.02). L’analyse de sensibilité n’a pas influencé les résultats sur l’objectif principal.        

Critères secondaires :

Les enfants exposés étaient également plus susceptibles que les enfants non exposés de développer des TDAH (OR 1,32 [IC  95 % :1,22-1,43]), des troubles du comportement, (OR 1,28 [IC 95 % : 1,14-1,42]), des troubles du développement du langage (OR 1,16 [IC 95 %, 1,05-1,28) et l’autisme (OR 1.31 [IC 95% : 1.05-1.64]).

Forces et limites méthodologiques de l’étude :

L’intérêt de cette étude réside dans le fait qu’elle est l’une des premières à s’intéresser à l’impact de l’anesthésie générale prénatale sur le développement neuro-comportemental de l’enfant.

Néanmoins, les conclusions de cette étude doivent être prises avec précaution et ceci pour plusieurs raisons. Tout d’abord, c’est une étude sur base de données qui s’étend sur une longue période d’inclusion, avec un suivi de plus de15 ans pour les premières inclusions et de moins de 5 ans pour les dernières, ne prenant pas en compte l’évolution des pratiques ni de l’anesthésie ni de la chirurgie. Les auteurs concluent à un lien direct entre les troubles du développement neurocomportemental et l’exposition à une anesthésie générale. Hors, de nombreux autres facteurs peuvent être impliqués comme l’inflammation, l’infection ou l’exposition à certains antibiotiques. D’autre part, aucune donnée sur la période peropératoire n’a été relevée dans cette étude :  que ce soit le type de médicaments utilisés, les variations hémodynamiques et ventilatoires peropératoires, et le contexte chirurgical. Ne pouvant dissocier l’exposition à l’anesthésie générale de l’exposition au geste chirurgical, il est difficile dans ce contexte de conclure à un lien direct entre trouble du développement neurocomportemental et anesthésie générale (4).

Conclusions de l’étude :

Cette étude alerte sur le risque de développer un trouble du comportement lors d’une exposition prénatale à une anesthésie générale. Néanmoins, ces résultats, non retrouvés dans les études antérieures, doivent être pris avec prudence, et doivent être confirmés par des études ambidirectionnelles plus robustes qui devront également s’intéresser au niveau socio-économique des familles. L’origine des troubles du développement neuro-comportemental suite à une exposition prénatale est probablement multifactorielle.

Implications potentielles sur la pratique de l’expert et sur la recherche future dans le(s) domaine(s) abordé(s) :

La chirurgie non-obstétricale en cous de grossesse est un réel enjeu de santé publique sur lequel il faut réfléchir de manière conjointe avec les gyneco-obstetriciens. Au-delà de la discussion sur l’indication opératoire, la possibilité de réaliser le geste sous anesthésie locorégionale devrait être évoquée de manière systématique. Néanmoins, si une anesthésie générale est nécessaire, la question de la stabilité hémodynamique et ventilatoire peropératoire et ses conséquences probables sur le fœtus est essentielle.

Pour compléter votre lecture :

  1. Ing C, Jackson WM, Zaccariello MJ, et al. Prospectively assessed neurodevelopmental outcomes in studies of anaesthetic neurotoxicity in children: a systematic review and meta-analysis. British Journal of Anaesthesia 2021; 126: 433–44
  2. Bleeser T, Devroe S, Lucas N, et al. Neurodevelopmental outcomes after prenatal exposure to anaesthesia for maternal surgery: a propensity-score weighted bidirectional cohort study. Anaesthesia 2023; 78: 159–69.
  3. Salaun J-P, Chagnot A, Cachia A, et al. Consequences of general anesthesia in infancy on behavior and brain structure. Anesth Analg 2023; 136: 240-250.
  4. Holly B . Behavioural disorders after prenatal exposure to anaesthesia for maternal surgery : is it the anaesthesia or the surgery ? Br J A Anaesth 2024 : 132-899.

Que retenir

La chirurgie non-obstétricale en cours de grossesse est un réel enjeu de santé publique puisqu’elle concerne 2% des femmes enceintes.

L’association entre une exposition prénatale à l’anesthésie générale pendant la grossesse et le risque de développement de trouble du comportement chez l’enfant reste à définir.