Mis en ligne le 12 novembre 2015
Article du mois
Analyse de l’article Pr Thomas GEERAERTS, Pole Anesthésie Réanimation, CHU de Toulouse pour le comité Réanimation de la SFAR
L’hypertension intracrânienne (HTIC) est fréquente après traumatisme crânien (TC) grave. L’hypothermie thérapeutique est une des options thérapeutiques possibles. Son utilisation précoce à titre systématique n’est pas efficace pour améliorer le pronostic neurologique [1] . Son efficacité en termes de réduction de pression intracrânienne (PIC) est bien documentée [2] , mais son bénéfice en termes de pronostic neurologique reste à démontrer. Cette étude a été conçue pour évaluer l’effet de l’hypothermie (32-35°C) utilisée comme traitement de l’hypertension intracrânienne (HTIC) sur le pronostic neurologique des TC graves.
Il s’agit d’une étude randomisée contrôlée, multicentrique.
Les critères d’inclusion étaient des patients présentant un TC fermé avec des lésions scannographiques et une HTIC définie par une PIC supérieure ou égale à 20 mmHg pendant plus de 5 minutes après optimisation des agressions cérébrales secondaires dans les 10 premiers jours suivant le TC.
L’HTIC devait être résistante à un palier 1 de traitement comprenant la ventilation mécanique, la sédation-analgésie, le maintien d’une pression artérielle moyenne supérieure ou égale à 80 mmHg. La dérivation ventriculaire externe et la neurochirurgie pour évacuer les lésions compressives étaient possibles dans ce premier palier de sédation. La randomisation était effectuée quand l’HTIC nécessitait un palier 2 de traitement.
Dans le groupe hypothermie les patients bénéficiaient d’une diminution progressive de la température permettant un contrôle de la PIC (< 20 mmHg), en maintenant une température entre 32 et 35°C. La température minimale requise pour contrôler la PIC était la cible. L’hypothermie était induite par des solutés froids puis entretenue par un système de refroidissement.
Dans le groupe contrôle, l’hypothermie n’était pas autorisée (température > 36°C), mais étaient utilisables l’osmothérapie (mannitol ou sérum salé hypertonique) ainsi que le contrôle de la pression de perfusion cérébrale avec un objectif au dessus de 60 mmHg. Les barbituriques n’étaient pas autorisés au palier 2 de traitement.
En cas d’échec du palier 2, les barbituriques ou la craniectomie décompressive étaient autorisés dans les deux bras.
Les critères d’exclusion étaient des patients dont l’espérance de survie était inférieure à 24h, les patients ayant déjà été traités par hypothermie, ceux ayant reçu des barbituriques, les patients hypothermes (< 34°C) ou les patientes enceintes.
Le critère de jugement principal était le devenir neurologique mesuré par le Glasgow Outcome Scale étendu (GOS-E) à 6 mois. Les critères de jugement secondaires étaient l’échec du palier 2 de traitement pour contrôler l’HTIC, la survenue de pneumopathies dans les 7 premiers jours, la durée de séjour en réanimation et le handicap mesuré par l’échelle d’Oxford à 28 jours.
Il était initialement prévu d’inclure 600 patients, mais l’étude a été arrêtée précocement pour des raisons d’excès de mortalité dans le groupe hypothermie. L’étude a inclus 387 patients dans 47 centres, dont plus de la moitié dans le Royaume-Uni.
195 patients dans le groupe hypothermie et 192 dans le groupe contrôle ont pu être analysés en intention de traiter.
Critère de jugement principal : Le GOS-E était significativement moins bon dans le groupe hypothermie (p=0,04). Le devenir favorable (GOS-E 5 à 8) était moins fréquent dans le groupe hypothermie (p=0,03). Le risque de mourir dans les six premiers mois était plus élevé dans le groupe hypothermie (p=0,047). Ces résultats étaient confirmés en ajustant les données aux covariables influençant ces paramètres. La survenue d’effets indésirables graves était plus fréquente dans groupe hypothermie.
Dans le groupe hypothermie, il y avait moins d’échec de palier 2 de traitement. Par conséquent les barbituriques ont été utilisés plus souvent dans le groupe contrôle.
Il n’y avait pas de différence entre les deux groupes pour la survenue de pneumopathies précoces, pour la durée de séjour en réanimation ou le handicap à 28 jours.
L’adhérence au protocole était comparable dans les deux groupes (environ 80%)
Cette étude montre que l’hypothermie entre 32 et 35°C mise en œuvre dans le but de contrôler la PIC après échec d’un premier palier de traitement comprenant la sédation, la ventilation mécanique et la dérivation ventriculaire, ne permet pas une amélioration du pronostic neurologique ou de la mortalité en comparaison d’un groupe contrôle comprenant normothermie et osmothérapie. Il est même possible que l’hypothermie aggrave le devenir neurologique et la mortalité.
La PIC était cependant mieux contrôlée dans le groupe hypothermie.
- Question clinique pertinente
- Etude randomisée, contrôlée avec des effectifs conséquents
- Bonne conduite de l’étude avec un suivi du protocole très correct
- Groupe contrôle bien défini et comportant dans les faits une normothermie
- Groupes comparables lors de la randomisation
- Critères de jugement principal et secondaires pertinents
Points faibles :
- Pas d’aveugle
- Les critères pour définir une HTIC réfractaire au palier 2 peuvent paraître un peu excessifs (PIC supérieure ou égale à 20 mmHg pendant plus de 5 minutes). Une définition plus pragmatique et réaliste aurait pu être « PIC supérieure ou égale à 20 mmHg pendant plus de 15 minutes ».
- La mesure du GOS-E à 6 mois a été faite par questionnaire envoyé par courrier aux survivants ou par téléphone. Il aurait été plus rigoureux d’effectuer une consultation pour avoir une évaluation objective du devenir
- Le GOS-E a été mesuré à 6 mois ce qui peut paraître un peu précoce (habituellement 1 an pour les TC graves)
- Arrêt précoce de l’étude alors que les critères comme la mortalité étaient à la limite de la significativité (p=0,047). Les résultats observés doivent donc être pris avec précaution du fait du manque de puissance de cette étude
- Pas de contrôle de la PaCO2 dans le groupe hypothermie.
Conclusion :
Bien que l’hypothermie entre 32 et 35°C permette un meilleur contrôle de la PIC que la normothermie associée à une osmothérapie, elle entraîne probablement une surmortalité et un moins bon pronostic neurologique. Cette étude souligne deux points importants :
- Si l’HTIC est bien démontrée comme étant un facteur pronostique majeur des TC graves, l’efficacité relative des traitements visant à contrôler la PIC reste encore à démontrer. Comme les résultats de l’étude DECRA sur les craniectomies décompressives [3] , cette étude confirme que la contrôle de la PIC par une mesure thérapeutique n’est pas obligatoirement associé à un bénéfice en termes de mortalité ou de pronostic neurologique, ce dernier dépendant d’autres paramètres comme les lésions initiales traumatiques et le maintien du débit sanguin cérébral
- La place de l’hypothermie dans l’arsenal thérapeutique reste encore à clarifier. Il apparaît aujourd’hui important de privilégier une normothermie. Toutefois, l’utilisation de l’hypothermie comme thérapeutique de recours après échec d’un palier 2 de traitement d’une HTIC reste une option efficace pour contrôler la PIC.
Références :