Mis en ligne le 18 Décembre 2010
Questions Fréquentes
Adrien Bouglé & Jacques Duranteau
Département d’Anesthésie-Réanimation Chirurgicale
Hôpital de Bicêtre, Assistance Publique – Hôpitaux de Paris
Le Kremlin-Bicêtre
Question 1 – Pourquoi évaluer la volémie ?
Question 2 – Indices statiques ou dynamiques ?
Question 3 – Indices dynamiques et monitorage invasif
Question 4 – Indices dynamiques et monitorage non invasif
Question 5 – Limites des indices dynamiques
Question 6 – Le lever de jambes passif
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Question 1 – Pourquoi évaluer la volémie ?
Au bloc opératoire comme en réanimation, le clinicien est régulièrement confronté à une situation d’instabilité hémodynamique. En cas d’hypovolémie, le remplissage vasculaire permettra d’augmenter le volume intravasculaire, augmentant ainsi la pression systémique moyenne (PSM) et donc le gradient entre PSM et pression de l’oreillette droite (POD). Ce gradient POD-PSM est le principal déterminant du retour veineux [1], et donc du volume télé diastolique du ventricule gauche (VTDVG). Le VTDVG est assimilable à la précharge du ventricule gauche (VG), déterminant de la fonction ventriculaire gauche avec la post-charge du VG, l’inotropisme et la fréquence cardiaque. Le remplissage vasculaire améliorera donc la précharge du VG, et ainsi le débit cardiaque et la pression artérielle moyenne (PAM). Cependant la relation entre augmentation de la précharge ventriculaire et augmentation du volume d’éjection systolique (appelée courbe de fonction systolique) n’est pas linéaire, comme décrit par la loi de Franck-Starling. Dans la partie ascendante de la courbe de fonction systolique, dite précharge dépendance, une augmentation de précharge entraîne une augmentation du VES et donc du débit cardiaque. Dans la partie en plateau de la courbe de fonction systolique, dite précharge indépendance, une augmentation de précharge n’entraîne plus d’augmentation du VES. Ainsi, seulement 40 à 72 % des patients répondent à un remplissage vasculaire par une augmentation significative du débit cardiaque [2]. Il est donc essentiel de pouvoir prédire l’efficacité d’un remplissage vasculaire, afin de limiter les conséquences délétères d’un remplissage inutile, comme l’hémodilution ou l’altération des échanges gazeux.
Question 2 – Indices statiques ou dynamiques ?
En cas de contexte clinique évocateur, les signes cliniques d’hypovolémie (hypotension artérielle, tachycardie, signes d’hypoperfusion tissulaire comme les marbrures cutanées, ou l’oligurie) sont le plus souvent associés à une hypovolémie absolue ou relative et justifient un remplissage vasculaire. Cependant, ces critères peuvent être absents ou mis en défaut. Le clinicien doit disposer de critères prédictifs de l’efficacité du remplissage vasculaire, pour estimer que le remplissage vasculaire dispose d’une probabilité importante d’augmenter le VES et le débit cardiaque [3]. La courbe de Franck-Starling dépend de la contractilité myocardique. Il est donc aisé de comprendre que cette courbe sera différente d’un patient à un autre. Dès lors, les indices dits statiques (pression veineuse centrale PVC, pression artérielle pulmonaire d’occlusion PAPO) donnant une valeur donnée de précharge seront peu informatifs en dehors de valeurs très basses (PVC < 5mmHg). Cette faible valeur informative des indices statiques a été démontrée chez le volontaire sain [4] comme chez les patients de réanimation [5]. De nouveaux indices de précharge dépendance ont ainsi été développés, en utilisant des tests dynamiques basés sur les variations respiratoires de différentes valeurs hémodynamiques, plutôt qu’une valeur fixe de précharge. Ces indices dynamiques peuvent être utilisés en utilisant un monitorage invasif ou non invasif.
Question 3 – Indices dynamiques et monitorage invasif
Les indices dynamiques sont basés sur les interactions cœur-poumon. Lors de la ventilation en pression positive, les modifications de précharge et de post charge du ventricule droit (VD) sont à l’origine d’une variabilité respiratoire du VES, du DC et ainsi de la PA. L’augmentation de la pression pleurale secondaire à l’augmentation de la pression intra thoracique lors de l’insufflation mécanique diminue le gradient de retour veineux et ainsi la précharge VD. L’augmentation de la pression transpulmonaire induit une augmentation de la post charge VD. Il en résulte une diminution du VES du VD, et donc une diminution de la précharge du VG 2 à 3 battements cardiaques plus tard. Ces variations respiratoires seront majorées lorsque les deux ventricules travaillent en situation de précharge dépendance, sur la portion ascendante de la courbe de Franck-Starling. Plusieurs indices ont ainsi été développés.
Dans des travaux relativement anciens, les variations respiratoires de la pression systolique (différence entre PAS minimale et maximale au cours de la VM) et sa composante Δdown (= PASapnée – PASminimale) ont été rapportés comme associés à l’hypovolémie, chez l’animal soumis à une hémorragie [6] comme chez l’homme au cours du sepsis grave [7]. Dans ce dernier travail, un Δdown > 5 mmHg était prédicteur d’une réponse positive au remplissage. Dans une étude réalisée chez 40 patients en choc septique, Michard et al ont montré que les variations respiratoires de la pression pulsée (ΔPP) prédisaient une réponse positive au remplissage vasculaire plus efficacement que les variations respiratoires de la PAS. Dans cette étude, une valeur de ΔPP > 13 % était prédictive d’une augmentation de l’index cardiaque supérieure à 15 % après un remplissage par 500 ml d’une solution de colloïdes avec une sensibilité de 94 % et une spécificité de 96 % [8]. Enfin, la variation respiratoire du VES VG obtenue battement par battement par la méthode du contour de l’onde de pouls prédit également une réponse prédictive au remplissage vasculaire lorsqu’elle est supérieure à 9 – 10 % [3]. Ce paramètre nécessite un cathéter de pression artérielle et un système de monitorage contenant un algorithme de calcul spécifique, comme le système PiCCO™ (Munich, Allemagne) ou LidCO™ (Londres, Royaume-Uni).
Question 4 – Indices dynamiques et monitorage non invasif
La tendance vers une réanimation moins invasive et les différentes avancées technologiques ont permis ces dernières années le développement de monitorages hémodynamiques dits non invasifs. Le doppler œsophagien et l’échocardiographie par voie transthoracique ou transœsophagienne ont ainsi permis la validation de nouveaux critères dynamiques de précharge dépendance.
La mesure de la variabilité respiratoire du pic de vélocité aortique (ΔVpeak (%)= (Vmax – Vmin)/[(Vmax + Vmin) / 2] x 100)) mesurée en échocardiographie transthoracique ou par doppler œsophagien a été validée dans des études animale [9] ou humaine [10,11]. Dans une étude réalisée récemment chez l’enfant, un ΔVpeak supérieur à 12 % prédit avec une sensibilité de 81,2 % et une spécificité de 85,7 % une réponse positive au remplissage, quand le ΔPS ou le ΔPP sont peu informatifs [12].
Plusieurs études évaluent la variation respiratoire du diamètre de la veine cave inférieure ou supérieure. La veine cave inférieure (VCI) comporte un trajet intrathoracique virtuel. Son diamètre est donc dépendant du gradient de pression entre la pression extra murale, soit la pression abdominale, et la pression intramurale, soit la pression de l’oreillette droite (POD). En ventilation mécanique, l’augmentation de la pression pleurale secondaire à l’insufflation entraîne une augmentation de la POD et ainsi du diamètre de la VCI. Cette augmentation sera d’autant plus importante en cas d’hypovolémie. Barbier et al. ont montré qu’un index de collapsibilité de la VCI mesuré en échocardiographie transthoracique par la voie sous xiphoïdienne était prédicteur d’une réponse positive au remplissage vasculaire chez des patients en ventilation contrôlée, lorsqu’il est supérieur à 18 % [13].
À la différence de la VCI, la veine cave supérieure est entièrement soumise au régime de pression intrathoracique. En revanche, elle n’est accessible qu’en échocardiographie transœsophagienne. Un index de collapsibilité de la VCS supérieur à 36 % permet de discriminer répondeurs et non répondeurs au remplissage vasculaire avec une sensibilité de 90 % et une spécificité de 100 % [14].
Cependant, ces différents indices nécessitent que le patient soit en en ventilation contrôlée, sédaté, et sans troubles du rythme cardiaque. De plus, les techniques dérivées de l’échocardiographie nécessitent un apprentissage et un matériel qui peuvent faire défaut.
Question 5 – Limites des indices dynamiques
Les différents indices dynamiques ne sont validés que chez des patients en ventilation contrôlée, parfaitement adaptés au ventilateur, sans ventilation spontanée, et sans arythmie cardiaque. Dans une étude observationnelle chez 60 patients de réanimation, De Backer et al ne retrouvait plus de valeur prédictive au ΔPP lorsque les patients étaient ventilés avec un volume courant inférieur à 8 ml/kg [15]. Cependant, Huang et al ont montré qu’une valeurde ΔPP > 12 % conservait une bonne valeur prédictive chez les patients en syndrome de défaillance respiratoire aigue (SDRA) ventilés avec un VT < 8ml/kg [16]. Plus que le volume courant, il semble que ce soit le régime de pression auquel est soumis le volume sanguin intra thoracique qui soit important.
Il a été suggéré que l’existence d’une insuffisance ventriculaire droite ou gauche soit un facteur susceptible d’induire des faux positifs de critères basés sur les variations respiratoire de la précharge ventriculaire. Reuter et al ont montré que les variations respiratoires du VES conservaient une bonne valeur prédictive, même en cas de dysfonction myocardique [17]. En revanche, Mahjoub et al. ont montré qu’un faux positif d’un ΔPP > 12 % était significativement associé avec une dysfonction ventriculaire droite échocardiographique [18].
Question 6 – Le lever de jambes passif.
Comme nous l’avons vu, un certain nombre de situations ne permet pas l’interprétation d’une variabilité respiratoire de critères dynamiques, comme l’absence de ventilation contrôlée ou l’arythmie cardiaque. Dan ces situations, une augmentation du débit cardiaque au cours d’une manœuvre de lever de jambes passif est une alternative séduisante permettant de prédire une réponse prédictive au remplissage vasculaire. Le lever de jambes passif est une manœuvre réversible mobilisant le volume sanguin des membres inférieurs vers le compartiment intra thoracique, augmentant la précharge du VG et du VD [19]. Une augmentation du débit cardiaque mesurée par doppler œsophagien après lever de jambes passif permet de prédire une réponse positive au remplissage, même chez des patients en ventilation spontanée ou en arythmie cardiaque [20].
[1] Guyton AC, Lindsey AW, Abernathy B, Richardson T. Venous return at various right atrial pressures and the normal venous return curve. Am J Physiol 1957;189(3):609-15.
[2] Michard F, Teboul JL. Predicting fluid responsiveness in ICU patients: a critical analysis of the evidence. Chest 2002;121(6):2000-8.
[3] Teboul JL. Recommandations d’experts de la SRLF : « Indicateurs du remplissage vasculaire au cours de l’insuffisance circulatoire ». Ann Fr Anesth Reanim 2005;24(5):568-76.
[4] Kumar A, Anel R, Bunnell E, et al. Pulmonary artery occlusion pressure and central venous pressure fail to predict ventricular filling volume, cardiac performance, or the response to volume infusion in normal subjects. Crit Care Med 2004;32(3):691-9.
[5] Osman D, Ridel C, Ray P, et al. Cardiac filling pressures are not appropriate to predict hemodynamic response to volume challenge. Crit Care Med 2007;35(1):64-8.
[6] Perel A, Pizov R, Cotev S. Systolic blood pressure variation is a sensitive indicator of hypovolemia in ventilated dogs subjected to graded hemorrhage. Anesthesiology 1987;67(4):498-502.
[7] Tavernier B, Makhotine O, Lebuffe G, Dupont J, Scherpereel P. Systolic pressure variation as a guide to fluid therapy in patients with sepsis-induced hypotension. Anesthesiology 1998;89(6):1313-21.
[8] Michard F, Boussat S, Chemla D, et al. Relation between respiratory changes in arterial pulse pressure and fluid responsiveness in septic patients with acute circulatory failure. Am J Respir Crit Care Med 2000;162(1):134-8.
[9] Slama M, Masson H, Teboul JL, et al. Monitoring of respiratory variations of aortic blood flow velocity using esophageal Doppler. Intensive Care Med 2004;30(6):1182-7.
[10] Feissel M, Michard F, Mangin I, Ruyer O, Faller JP, Teboul JL. Respiratory changes in aortic blood velocity as an indicator of fluid responsiveness in ventilated patients with septic shock. Chest 2001;119(3):867-73.
[11] Monnet X, Rienzo M, Osman D, et al. Esophageal Doppler monitoring predicts fluid responsiveness in critically ill ventilated patients. Intensive Care Med 2005;31(9):1195-201.
[12] Durand P, Chevret L, Essouri S, Haas V, Devictor D. Respiratory variations in aortic blood flow predict fluid responsiveness in ventilated children. Intensive Care Med 2008;34(5):888-94.
[13] Barbier C, Loubieres Y, Schmit C, et al. Respiratory changes in inferior vena cava diameter are helpful in predicting fluid responsiveness in ventilated septic patients. Intensive Care Med 2004;30(9):1740-6.
[14] Vieillard-Baron A, Chergui K, Rabiller A, et al. Superior vena caval collapsibility as a gauge of volume status in ventilated septic patients. Intensive Care Med 2004;30(9):1734-9.
[15] De Backer D, Heenen S, Piagnerelli M, Koch M, Vincent JL. Pulse pressure variations to predict fluid responsiveness: influence of tidal volume. Intensive Care Med 2005;31(4):517-23.
[16] Huang CC, Fu JY, Hu HC, et al. Prediction of fluid responsiveness in acute respiratory distress syndrome patients ventilated with low tidal volume and high positive end-expiratory pressure. Crit Care Med 2008;36(10):2810-6.
[17] Reuter DA, Kirchner A, Felbinger TW, et al. Usefulness of left ventricular stroke volume variation to assess fluid responsiveness in patients with reduced cardiac function. Crit Care Med 2003;31(5):1399-404.
[18] Mahjoub Y, Pila C, Friggeri A, et al. Assessing fluid responsiveness in critically ill patients: False-positive pulse pressure variation is detected by Doppler echocardiographic evaluation of the right ventricle. Crit Care Med 2009;37(9):2570-5.
[19] Boulain T, Achard JM, Teboul JL, Richard C, Perrotin D, Ginies G. Changes in BP induced by passive leg raising predict response to fluid loading in critically ill patients. Chest 2002;121(4):1245-52.
[20] Monnet X, Rienzo M, Osman D, et al. Passive leg raising predicts fluid responsiveness in the critically ill. Crit Care Med 2006;34(5):1402-7.