Mis en ligne le 9 DĂ©cembre 2015
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Mise au point du comité douleur-ALR
Les points essentiels
- En comparaison aux autres analgĂ©siques non morphinique, les AINS permettent une analgĂ©sie accompagnĂ©e de lâĂ©pargne morphinique la plus importante (environ de 16 mg soit proche de 50 %) et dâune rĂ©duction des effets secondaires de la morphine
- Les AINS en association à la morphine permettent une réduction de 30% des NVPO
- Câest le degrĂ© dâinhibition de COX-1 qui diffĂ©rencie les AINS-NS (non sĂ©lectifs) et les ISCOX-2. Ainsi, aux doses usuelles, les AINS-NS et les ISCOX-2 entraĂźnent une inhibition de 80% de COX-2
- Le risque hĂ©morragique pĂ©ri opĂ©ratoire nâest pas majorĂ© par les AINS, y compris lors des amygdalectomies
- Les AINS ne doivent pas ĂȘtre prescrits en association Ă un traitement anticoagulant Ă dose curative en raison du risque hĂ©morragique
- Une clairance de la crĂ©atinine estimĂ©e infĂ©rieure Ă 50ml/min doit ĂȘtre une contre-indication Ă la prescription dâAINS.
- Il est recommandĂ© de prendre en compte les facteurs de risque athĂ©ro-thrombotique en cas de prescription dâAINS-NS ou ISCOX-2 en respectant les contre-indications et prĂ©cautions dâemploi dĂ©finies pas lâANSM. La prescription simultanĂ©e dâaspirine et dâAINS-NS est probablement dĂ©conseillĂ©e.
- Il existe un bĂ©nĂ©fice analgĂ©sique Ă lâassociation dâun bolus unique de dexamĂ©thasone avec un AINS sans majoration du risque hĂ©morragique
- Toutes les recommandations et les Ă©tudes ayant montrĂ© un bĂ©nĂ©fice Ă lâutilisation des AINS en pĂ©riopĂ©ratoire portent sur une durĂ©e courte de prescription (infĂ©rieure Ă 5 jours)
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Introduction
Le bĂ©nĂ©fice apportĂ© par les inhibiteurs des cyclooxygĂ©nases (COX) de type 1 et/ou 2 câest-Ă -dire les anti-inflammatoires (AINS), prescrits en pĂ©ri opĂ©ratoire a Ă©tĂ© largement dĂ©montrĂ©. Les recommandations formalisĂ©es dâexperts (RFE) de 2008 prĂ©cisent les modalitĂ©s dâutilisation. Lâobjectif de cette mise au point est dâĂ©clairer des aspects nouveaux concernant la prescription des AINS en pĂ©ri opĂ©ratoire. Il sâagit, notamment du bĂ©nĂ©fice, aujourdâhui bien dĂ©montrĂ© des inhibiteurs sĂ©lectifs de COX -2 (ISCOX-2), des risques athĂ©ro-thrombotiques associĂ©s aux AINS et du risque hĂ©morragique.
Bénéfice analgésique des ISCOX2 en périopératoire
Suite au retrait de plusieurs publications frauduleuses il y a quelques annĂ©es et au retrait du marchĂ© de plusieurs ISCOX-2 en raison du risque cardiovasculaire, les donnĂ©es manquaient pour affirmer le bĂ©nĂ©fice analgĂ©sique associĂ© aux ISCOX-2 en pĂ©ri opĂ©ratoire. Ce nâest plus le cas, aujourdâhui. Si lâon compare avec les AINS-NS, la recherche bibliographique entre 2009 et 2014 retrouve au total 38 Ă©tudes dont 26 RCT et 10 mĂ©ta analyses ayant Ă©tudiĂ© lâintĂ©rĂȘt des AINS-NS et 45 Ă©tudes dont 38 RCT et 5 mĂ©ta analyses ayant Ă©tudiĂ© lâintĂ©rĂȘt des ISCOX2. Les AINS-NS et les ISCOX-2 utilisĂ©s seuls sont efficaces. Ils ont un NNT (number of needed to treated) dâenviron 2.5 ce qui en fait de trĂšs bon antalgiques. AssociĂ©s Ă la morphine, ils permettent une amĂ©lioration des scores de douleur, une Ă©pargne morphinique significative associĂ©e Ă une rĂ©duction des NVPO de la sĂ©dation et de la durĂ©e de lâilĂ©us postopĂ©ratoire. Cette Ă©pargne morphinique est la plus intĂ©ressante si lâon compare aux autres antalgiques non morphiniques (nĂ©fopam, paracĂ©tamol). La littĂ©rature est trĂšs abondante, de haute qualitĂ© mĂ©thodologique. Le niveau de preuves est Ă©levĂ©. Enfin, les AINS-NS et ISCOX-2 ont Ă©tĂ© comparĂ©s dans 6 Ă©tudes : 4 RCT et 2 mĂ©ta analyses. Ils sont Ă©quivalents en terme dâanalgĂ©sie, utilisĂ©s seuls ou en association avec la morphine.
Les ISCOX-2 peu utilisĂ©s actuellement en France, ont pourtant toute leur place dans lâarsenal analgĂ©sique pĂ©ri opĂ©ratoire. Leur utilisation devrait naturellement augmenter dans un futur proche.
Risques athéro-thrombotiques associés au AINS
Depuis la publication des rĂ©sultats contradictoires des Ă©tudes VIGOR [1] et CLASS [2] il y a 10 ans, une littĂ©rature trĂšs abondante alimente le dĂ©bat sur les risques cardio-vasculaires associĂ©s Ă la prise dâAINS. Lors dâun traitement chronique par AINS-NS ou par ISCOX-2, de nombreuses Ă©tudes [3, 4] et mĂ©ta analyses [5, 6] ont bien rapportĂ© une augmentation du risque thrombotique pour les deux thĂ©rapeutiques. Il est important de rappeler ici que le risque thrombotique existe avec les AINS-NS et les ISCOX-2. Ce risque liĂ© Ă lâinhibition de COX-2 est dose dĂ©pendant et retrouvĂ© de façon Ă©quivalente pour tous les AINS. En effet, les AINS-NS nâinhibent pas moins la COX-2 que les ISCOX-2. Cependant tous les AINS ne sont pas Ă©quivalents. Certaines Ă©tudes ont ainsi retrouvĂ© un risque plus faible avec le naproxĂšne [5]. Pour les ISCOX-2 actuellement disponibles, le lumiracoxib ne semblerait pas ĂȘtre associĂ© Ă un risque augmentĂ© [7] mais il a Ă©tĂ© retirĂ© du marchĂ© dans certains pays en raison dâune toxicitĂ© hĂ©patique. Une importante mĂ©ta analyse rĂ©cente incluant 116 429 patients confirme des profils diffĂ©rents suivants les mĂ©dicaments : le risque dâinfarctus du myocarde est le plus Ă©levĂ© avec le rofĂ©coxib. LâibuprofĂšne est associĂ© Ă un risque ratio de 3,36 (IC 95% : 1-11,6) pour les AVC [8]. Au final, le risque cardiovasculaire mais Ă©galement le risque gastro-intestinal des AINS-NS est dose dĂ©pendant [5]. Des fortes doses dâAINS-NS Ă©tant contre indiquĂ©es par les effets gastriques, lâincidence des Ă©vĂšnements cardiovasculaires en sera dâautant limitĂ©e. Pour les ISCOX-2, le risque cardiovasculaire est Ă©galement dose-dĂ©pendant et des doses plus importantes peuvent ĂȘtre utilisĂ©es en pratique clinique en raison de lâabsence de risque gastrique. Ainsi, le rofecoxib administrĂ© Ă faibles doses (moins de 25mg) prĂ©sente un risque Ă©quivalent Ă celui de lâibuprofĂšne, du diclofĂ©nac ou du naproxĂšne. UtilisĂ© Ă plus fortes doses, le risque dâinfarctus du myocarde devient significativement plus important [4]. Ce risque cardiovasculaire associĂ© aux AINS est particuliĂšrement significatif chez les patients ayant des antĂ©cĂ©dents dâinfarctus du myocarde : les ISCOX-2 quelle que soit la dose et les AINS-T augmentent la mortalitĂ© chez ces patients Ă risque [9]. Depuis 2013, lâAgence EuropĂ©enne du MĂ©dicament contre indique, ainsi, le diclofenac chez tous les patients ayant des antĂ©cĂ©dents de pathologie cardiovasculaire et recommande un usage prĂ©cautionneux chez les patients ayant des facteurs de risque. AprĂšs une mise sous surveillance, la prescription dâibuprofĂšne nâa, elle, pas Ă©tĂ© limitĂ©e chez ces patients. Par ailleurs, les AINS augmentent la pression artĂ©rielle [10] et aggravent lâinsuffisance cardiaque. La prise dâAINS (y compris dâISCOX-2) au long cours est associĂ©e Ă un risque jusquâĂ deux fois plus Ă©levĂ© dâhospitalisation pour insuffisance cardiaque chez les patients ĂągĂ©s [11, 12]. Il existe Ă©galement un risque accru de fibrillation atriale [13].
Quâen est il en pĂ©ri opĂ©ratoire lors de lâadministration sur une courte durĂ©e?
Suite aux rĂ©sultats de lâĂ©tude de Nussmeier et al publiĂ©e en 2005 [14] rapportant un risque dâĂ©vĂšnement cardiovasculaire trĂšs augmentĂ© chez les patients traitĂ©s par parĂ©coxib et valdĂ©coxib aprĂšs chirurgie cardiaque, la sĂ©curitĂ© de lâemploi des ISCOX-2 en pĂ©ri opĂ©ratoire a Ă©tĂ© remise en cause. Le valdĂ©coxib a Ă©tĂ© retirĂ© du marchĂ© en 2005. Lâagence de sĂ©curitĂ© sanitaire amĂ©ricaine (FDA) a depuis Ă©mis un avis contre indiquant les AINS-NS et les ISCOX-2 aprĂšs chirurgie cardiaque. En chirurgie non cardiaque, plusieurs Ă©tudes [15] et une mĂ©ta analyse [16] incluant 32 Ă©tudes nâont pas montrĂ© dâaugmentation du risque cardiovasculaire avec lâutilisation des ISCOX-2 en postopĂ©ratoire par rapport au placebo. Pour les AINS-NS, il existe quâune seule Ă©tude rĂ©trospective portant sur 10873 patients opĂ©rĂ©s dâarthroplasties de hanche ou de genou. Le risque dâinfarctus pĂ©riopĂ©ratoire nâĂ©tait pas diffĂ©rent entre les patients recevant un AINS-NS, un ISCOX-2 ou aucun de ces 2 traitements [17]. Il faut rappeler ici que la douleur est un facteur de risque bien dĂ©fini dâischĂ©mie myocardique postopĂ©ratoire et que lâanalgĂ©sie permet dâen rĂ©duire lâincidence [18].
Au final, il nâest pas recommandĂ© dâutiliser un ISCOX-2 dans les situations dâhypoperfusion rĂ©nale ou chez les patients ayant des antĂ©cĂ©dents athĂ©ro-thrombotiques artĂ©riels (AOMI, AVC, IDM). Pour les AINS-NS, les preuves dans le pĂ©ri opĂ©ratoire manquent. Chez les patients ayant des antĂ©cĂ©dents athĂ©ro-thrombotiques artĂ©riels (AOMI, AVC, IDM), la prescription dâAINS-NS doit ĂȘtre associĂ©e Ă un bĂ©nĂ©fice analgĂ©sique supĂ©rieur au risque potentiel associĂ©. Dans tous les cas, il ne faut probablement pas prolonger le traitement au delĂ de 5 Ă 7 jours de traitement.
Est il licite de prescrire des AINS à visée analgésique en postopératoire de chirurgie non cardiaque chez un patient traité au long cours par aspirine ?
Lâadministration concomitante dâaspirine Ă faibles doses et dâibuprofĂšne rĂ©duit la protection myocardique apportĂ©e par la prescription dâaspirine. En effet, lâinhibition irrĂ©versible de lâaggrĂ©gation plaquettaire induite par lâaspirine est inhibĂ©e par lâibuprofĂšne rĂ©duisant ainsi la protection cardiovasculaire de lâaspirine [19, 20]. Il a Ă©tĂ© montrĂ© que ceci nâĂ©tait pas un effet de classe mĂ©dicamenteuse ; le rofecoxib, le cĂ©lecoxib et lâacĂ©taminophĂšne ne modifiant pas la pharmacologie de lâaspirine. Il faut rappeler que lâinhibition de lâaggrĂ©gation plaquettaire induite par les AINS-NS Ă©tant seulement temporaire (contrairement Ă lâaspirine), ils ne confĂšrent pas de protection cardiovasculaire. Une Ă©tude trĂšs rĂ©cente a mis en Ă©vidence un risque accru de saignement et dâĂ©vĂšnements cardiovasculaires chez les patients traitĂ©s pour un infarctus du myocarde rĂ©cent et par AINS [21]. Au final, il semble donc que lâassociation aspirine et AINS-NS peut ĂȘtre responsable dâune perte de la protection apportĂ©e par lâinhibition de lâaggrĂ©gation plaquettaire. Il est donc dĂ©conseillĂ© dâadministrer des AINS-NS en postopĂ©ratoire chez un patient ayant une indication formelle Ă un traitement par aspirine.
Risque hémorragique
Lâinhibition de COX-1 entraĂźne une rĂ©duction de la production de thromboxane A2 et donc une modification de lâhĂ©mostase primaire avec un allongement du temps de saignement. Dans le contexte pĂ©riopĂ©ratoire, la traduction clinique en terme de risque hĂ©morragique est variable. Dans une mĂ©ta analyse ancienne [22], lâincidence du saignement au site opĂ©ratoire Ă©tait significativement plus importante (1,7% vs 0,2% dans le groupe contrĂŽle) chez les patients traitĂ©s par AINS-NS. Lâincidence de cette complication reste toutefois faible. Dans certaines chirurgies, comme lâamygdalectomie, ce risque hĂ©morragique a pu ĂȘtre considĂ©rĂ© comme supĂ©rieur au bĂ©nĂ©fice rendu par les AINS-NS. Cependant, lâanalyse de la littĂ©rature rĂ©cente individualisant chaque AINS ne met pas en Ă©vidence de diffĂ©rence dans le risque de saignement y compris aprĂšs amygdalectomie avec lâibuprofĂšne ou le kĂ©toprofĂšne [23, 24]. La mĂ©ta-analyse la plus rĂ©cente publiĂ©e en 2013 et portant sur 1747 enfants et 1446 adultes, ne retrouvait pas de risque augmentĂ© de saignement aprĂšs amygdalectomie avec ces deux mĂ©dicaments [23]. Au final, le risque hĂ©morragique est faible et ne justifie pas la sous-utilisation des AINS-NS dans certaines indications, y compris en association avec la dexamĂ©thasone en injection unique. En effet, lĂ encore, il est dĂ©montrĂ© que le risque hĂ©morragique nâest pas majorĂ© [25].
En ce qui concerne, les ISCOX-2 et le risque de saignement, la non-inhibition des plaquettes est un avantage thĂ©orique. Ainsi, aucun saignement nâa Ă©tĂ© rapportĂ© chez les patients traitĂ©s par ISCOX-2 dans la mĂ©ta analyse dâElia [22]. Le cĂ©lĂ©coxib, dans une Ă©tude randomisĂ©e, sâest montrĂ© aussi efficace que le kĂ©toprofĂšne en terme dâanalgĂ©sie post opĂ©ratoire aprĂšs amygdalectomie et avec moins de rĂ©intervention chirurgicale [26]. Des rĂ©sultats identiques ont Ă©tĂ© rapportĂ©s aprĂšs chirurgie gynĂ©cologique et mammaire [27].
Il faut cependant ĂȘtre vigilant chez les patients traitĂ©s par anticoagulants. Il nâexiste pas de donnĂ©es dans le contexte pĂ©riopĂ©ratoire mais une Ă©tude ayant inclus plus de 8000 patients traitĂ©s par anticoagulants (rivaroxaban ou enoxaparine) pour une thrombose veineuse profonde et de façon concomitante par AINS a montrĂ© un risque de saignement multipliĂ© par 2,5 [28].
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