Mis en ligne le 27 Mars 2014
Questions Fréquentes
Pr Philippe SEGUIN
Pr Yannick MALLEDANT
Réanimation Chirurgicale
CHU de RENNES
RENNES
Q1. Quels sont les éléments de gravité initiaux ?
Q2. Y a t il une place pour l’antibiothérapie préventive ?
Q3. L’alimentation entérale est-elle contre indiquée ?
Q4. Comment faire le diagnostic d’infection de nécrose et quelle prise en charge ?
Q5. Comment diagnostiquer une pancréatite biliaire et que faire ?
Q1. Quels sont les éléments de gravité initiaux ?
La gravité peut être pressentie sur des arguments cliniques. Ainsi, la présence de comorbidités et l’obésité (BMI > 30 kg.m-2) constituent des éléments reconnus. De même, une surmortalité est observée lorsqu’il existe des ecchymoses pariétales et des flancs, une surdistension abdominale liée à la présence d’un iléus et/ou d’une ascite. Mais c’est surtout la présence d’une ou plusieurs défaillances d’organe qui constitue un signe d’alerte fort, justifiant l’admission en réanimation [1]. A cet égard, l’utilisation du score du Sepsis Related Organ Failure Assessement (SOFA) s’est avérée aussi pertinent à prédire la mortalité que le score APACHE II. Les anciens scores spécifiques type Ranson sont eux d’un très faible apport car complexes à utiliser, basés sur le recueil de variables dans un délai de 24 à 48 heures ; ils se révèlent parfois moins pertinent que le simple examen clinique. Ils sont actuellement remplacés par le BISAP qui prend en compte l’âge, la présence d’une confusion, d’un SIRS, d’un épanchement pleural et d’une urée élevée [2, 3]. Cette dernière anomalie, présentée comme le reflet d’une déshydratation, rejoint l’utilité de l’hématocrite initial qui ≥ 50% se révèle prédictif d’une gravité certaine. Des tests biologiques peuvent aider à évaluer la gravité dont la CRP témoin de l’importance de l’inflammation. Néanmoins, induite par l’IL6, elle n’est pertinente qu’au delà des 36 à 48e heures d’évolution de la maladie où un taux <150 mg.L-1 écarterait une forme grave. L’imagerie par tomodensitométrie peut être utilisée tout en sachant son absence totale d’intérêt, voire son côté délétère pour la fonction rénale, à la phase initiale, hormis le doute diagnostique ou la crainte d’une perforation associée. L’envahissement progressif de la cavité péritonéale, à partir du pancréas lésé, mais surtout l’importance de la nécrose de la glande après injection de produit de contraste témoigne, à la faveur d’un score >7/10, s‘accompagnent d’un fort risque de morbidité et mortalité [4]. De façon générale, l’admission de ces patients en réanimation ou en secteur de soins intensifs doit être large. En effet, l’expression de la gravité peut être différée notamment chez les patients admis précocement. De plus, la qualité de la prise en charge initiale, notamment le rétablissement très actif d’une volémie correcte et la compensation des pertes hydro-électrolytiques conditionnent en grande partie l’évolution ultérieure en assurant une perfusion d’organe(s) satisfaisante [5].
1. Banks PA, Bollen TL, Dervenis C, et al. Classification of acute pancreatitis – 2012: revision of Atlanta classification and definition by international consensus. Gut 2013; 62: 102-11.
2. Wu BU, Johannes RS, Sun X, et al. The early prediction of mortality in acute pancreatitis: a large population-based study. Gut 2008; 57: 1698-703.
3. Papachristou GI, Muddana V, Yadav D, et al. Comparison of BISAP, Ranson’s, APACHE-II, and CTSI scores in predicting organ failure, complications, and mortality in acute pancreatitis. Am J Gastroenterol 2010; 105: 435-41.
4. Balthazar EJ, Robinson DL, Megibow AJ, Ranson JH. Acute pancreatitis: value of CT in establishing prognosis. Radiology 1990; 174: 331-6.
5. Wall I, Badalov N, Baradarian R, et al. Decreased morbidity and mortality in patients with acute pancreatitis related to aggressive hydratation. Pancreas 2011; 40: 547-50.
Q2. Y a t il une place pour l’antibiothérapie préventive ?
Aucune, même si cette question a fait l’objet de débats controversés. En effet, la surinfection péripancréatique étant la principale cause de morbidité et de mortalité retardées, il était tentant de vouloir la prévenir par l’administration d’antibiotique(s) systémique(s) et ce dès les premiers jours. Néanmoins, les carences méthodologiques des premières études, l’émergence de germes résistants aux agents antimicrobiens utilisés ainsi que des surinfections à levures ont clairement conduit à écarter une telle démarche thérapeutique. La méta-analyse de la Cochrane Database de 2006 souligne d’ailleurs, dans sa conclusion, la nécessité d’études complémentaires de meilleure qualité [1]. Dans cet esprit, les travaux plus récents, ayant comparé prophylaxie versus placebo, n’ont pas montré de différence de mortalité entre les groupes [2-3]. De ce fait, il existe un consensus actuel pour ne pas administrer la moindre antibiothérapie dans cette indication [4]. Seules les pancréatites avec authentique angiocholite ou les exceptionnelles perforations digestives initiales relèvent d’une antibiothérapie probabiliste.
1. Villatoro E, Bassi C, Larvin M. Antibiotic therapy for prophylaxis against infection of pancreatic necrosis in acute pancreatitis. Cochrane Database Syst Rev 2006 ;18:CD002941.
2. Isenmann R, Rünzi M, Kron M, Kahl S, Kraus D, Jung N, Maier L, Malfertheiner P, Goebell H, Beger HG. German Antibiotics in Severe Acute Pancreatitis Study Group. Prophylactic antibiotic treatment in patients with predicted severe acute pancreatitis: a placebo-controlled, double-blind trial. Gastroenterology 2004 ; 126:997-1004.
3. Dellinger EP, Tellado JM, Soto NE, Ashley SW, Barie PS, Dugernier T, Imrie CW, Johnson CD, Knaebel HP, Laterre PF, Maravi-Poma E, Kissler JJ, Sanchez-Garcia M, Utzolino S. Early antibiotic treatment for severe acute necrotizing pancreatitis : a randomized, double-blind, placebo-controlled study. Ann Surg 2007; 245:674-83.
4. Jiang K, Huang W, Yang XN, et al. Present and future of prophylactic antibiotics for severe acute pancreatitis. World J Gastroenterol 2012; 18: 279-84.
Q3. L’alimentation entérale est-elle contre indiquée ?
Bien au contraire, de par ses effets bénéfiques sur la trophicité de la muqueuse intestinale, la réduction du risque infectieux voire la mortalité, la nutrition entérale, notamment lorsqu’elle est débutée précocement, est à privilégier. Le dogme selon lequel la nutrition entérale « aggraverait » la pancréatite est largement battu en brèche. Son bénéfice dans les formes les plus graves de pancréatite est d’ailleurs souligné dans deux méta-analyses récentes [1] [2]. En effet, cette voie d’administration, comparée à la nutrition parentérale, diminue les risques d’infections, notamment de la loge pancréatique, de défaillance multiviscérale ou encore la mortalité. Le principe d’une nutrition précoce, si possible dans les 48 premières heures, semble le plus intéressant et là encore au dépend de la nutrition parentérale [3]. Basée sur le concept du risque d’exacerbation des douleurs abdominales par stimulation de la sécrétion pancréatique, l’intérêt d’une alimentation nasojéjunale a longtemps prévalu. Néanmoins, il est clairement montré que l’alimentation nasogastrique semble aussi bien tolérée que celle administrée en site jéjunal tout en diminuant les complications infectieuses [4]. Par contre, elle peut s’avérer difficile notamment lorsqu’existe une compression duodénale justifiant, en cas de laparotomie, la réalisation d’une jéjunostomie d’alimentation. Le type de mélange diététique utilisé ne semble pas déterminant et l’intérêt d’une immunonutrition non démontré.
1. Cao Y, Xu Y, Lu T, Gao F, Mo Z. Meta-Analysis of Enteral Nutrition versus Total Parenteral Nutrition in Patients with Severe Acute Pancreatitis. Ann Nutr Metab 2009; 53: 268-275.
2. Petrov MS, van Santvoort HC, Besselink MG, van der Heijden GJ, Windsor JA, Gooszen HG. Enteral nutrition and the risk of mortality and infectious complications in patients with severe acute pancreatitis: a meta-analysis of randomized trials. Arch Surg 2008; 143: 1111-7.
3. Al-Omran M, Albalawi ZH, Tashkandi MF, et al. Enteral versus parenteral nutrition for acute pancreatitis. Cochrane Database Syst Rev 2010: CD002837.
4. Singh N, Sharma B, Sharma M, et al. Evaluation of early enteral feeding through nasogastric and nasojejunal tube in severe acute pancreatitis: a noninferiority randomized controlled trial. Pancreas 2012; 41: 153-159.
Q4. Comment faire le diagnostic d’infection de nécrose et quelle prise en charge ?
L’infection de la nécrose est une complication grave qui survient chez 40 à 70 % des patients dans la deuxième ou troisième semaine d’évolution [1]. La pérennisation, l’aggravation ou la survenue de défaillance(s) d’organe(s) dans un contexte septique avec fièvre, hyperleucocytose, doit conduire à s’interroger sur la présence d’une nécrose infectée. En dehors des cas où la présence de bulles d’air dans la cavité rétropéritonéale oriente fortement, le diagnostic de nécrose infectée repose sur la ponction, guidée par TDM, à l’aiguille fine des foyers de nécrose. Ces ponctions peuvent être réalisées sur un ou plusieurs sites et répétées si besoin. Le traitement anti infectieux est débuté dès les résultats de l’examen direct. La tradition d’un complément chirurgical immédiat pour une nécrosectomie « à la demande » et la pose de drains de gros calibre permettant des lavages postopératoires a été récemment contestée. Un drainage percutané parfois suivi d’une approche rétropéritonéale minimaliste peut se révéler suffisant [2]. Mieux, en cas de stabilité du patient, sous couvert d’une antibiothérapie adaptée, l’attente d’une liquéfaction des collections et de la constitution d’une gaine fibrineuse doit être considérée [3]. Au bout de 3 à 4 semaines, en fonction de la topographie des collections résiduelles, des sanctions chirurgicales, radiologiques ou endoscopiques doivent être discutées de façon pluridisciplinaire. Les modalités pratiques de l’antibiothérapie sont conditionnées par l’écologie locale. Cette dernière est toujours secondairement adaptée aux vues des résultats des cultures et de l’antibiogramme. La durée n’est pas codifiée mais 7 à 10 jours d’antibiothérapie semblent raisonnables.
1. Frossard JL, Steer ML, Pastor CM. Acute pancreatitis. Lancet 2008; 371: 143-52.
2. van Stantvoort HC, Besselink MG, Bakker OJ, et al. A step-up approach or open necrosectomy for necrositing pancreatitis. N Engl J Med 2010; 362: 1491-502
3. Mouli VP, Vishnubhatla S, Garg PK. Efficacity of conservative treatment without necrosectomy for infected pancreatitis necrosis: a systematic review and meta-analysis. Gastroenterology 2013; 144: 333-40
Q5. Comment diagnostiquer une pancréatite biliaire et que faire ?
L’origine biliaire de la pancréatite figure en première position dans l’ensemble des séries (40-70 %) [1]. Le diagnostic repose, du moins au plus pertinent, sur la multiplication par 3 des ALAT, l’échographie abdominale, l’IRM et surtout l’échoendoscopie (sensibilité proche de 100 %). La nécessité ou non d’une sphinctérotomie précoce a fait l’objet de nombreuses études et débats. Les recommandations actuelles ne le justifient qu’en présence d’une réelle angiocholite ; dans ce cas, elle doit toujours être réalisée le plus précocement possible, idéalement dans les 24 premières heures [2]. La cholecystectomie secondaire devra se faire dans un délai relativement court pour éviter les récidives.
1. Lowenfeld AB, Maisonneuve P, Sullivan T. The changing character of acute pancreatitis: epidemiology, etiology and prognosis. Curr Gastroenterol Rep 2009; 11: 97-103
2. Fogel EL, Sherman S. ERCP for gallstone pancreatitis. N Engl J Med 2014; 370: 150-7