Mis en ligne le 13 Août 2014
Questions Fréquentes
Muriel FARTOUKH
Pôle Thorax Voies aériennes
Hôpital Tenon
PARIS
muriel.fartoukh@tnn.aphp.fr
Question 1. Comment évaluer la gravité initiale d’une hémoptysie ?
Question 2. Quelles sont les mesures thérapeutiques disponibles ?
Question 3. Quelle est la place de la radiologie vasculaire interventionnelle ?
Question 4. Quelle est la place de la chirurgie thoracique ?
Question 5. Quelle stratégie thérapeutique en 2014 ?
Question 1. Comment évaluer la gravité initiale d’une hémoptysie ?
L’abondance de l’hémoptysie et son retentissement respiratoire sont des critères classiques de gravité (1). En pratique, l’évaluation de la gravité initiale d’une hémoptysie repose sur les éléments suivants:1. abondance de l’hémoptysie: il n’existe pas de valeur seuil consensuelle du volume ou du débit de sang expectoré, on retient habituellement un volume cumulé supérieur à 200 ml en moins de 48-72 heures ou un débit supérieur à 200 ml en une fois en l’absence d’insuffisance respiratoire chronique (ou débit supérieur à 50 ml en une fois en cas d’insuffisance respiratoire chronique préalable). Bien qu’il n’y ait pas de standardisation validée pour la quantification de l’abondance d’une hémoptysie, l’utilisation d’une échelle simple peut aider lors de l’interrogatoire du patient ou de son entourage (figure 1).
Une cuillère à café correspond à moins de 5 ml de sang, un crachoir (ou petit verre de cuisine) plein à 120 ml de sang et un haricot à 300 ml de sang.
2. retentissement respiratoire: signes cliniques d’insuffisance respiratoire aiguë (fréquence respiratoire > 30 cycles/min, ou oxymétrie de pouls < 88% à l’air ambiant) ou nécessité d’administrer une oxygénothérapie à haut débit ou une ventilation mécanique. Seuls 10 à 20% des patients admis en réanimation sont intubés ventilés;
3. comorbidités respiratoires : (pneumonectomie; insuffisance respiratoire chronique stade III; mucoviscidose) ou autres (cardiopathie ischémique sévère; indication formelle à un traitement anticoagulant);
4. étiologie à haut risque hémorragique ou mécanisme impliquant la circulation artérielle pulmonaire (aspergillose, anévrysme artériel pulmonaire, lésion pulmonaire nécrotique au contact d’une artère pulmonaire);
5. retentissement hématologique: anémie aiguë hémorragique, coagulopathie de consommation, avec nécessité d’administration de produits sanguins;
6. retentissement hémodynamique: état de choc hémorragique; ces situations sont exceptionnelles.
Un score pronostique permettant de stratifier le risque d’évolution défavorable chez les patients admis en réanimation pour une hémoptysie maladie a été développé dans l’objectif de proposer une prise en charge thérapeutique ciblée (2). Sa validation est nécessaire avant de pouvoir l’utiliser en pratique clinique.
Question 2. Quelles sont les mesures thérapeutiques disponibles ?
La prise en charge thérapeutique de l’hémoptysie maladie repose sur des mesures médicales, la radiologie vasculaire interventionnelle et la chirurgie thoracique. Elle est essentiellement guidée par l’abondance et le retentissement respiratoire de l’hémoptysie, mais repose également sur le mécanisme et l’étiologie suspectés, l’opérabilité du patient et la résécabilité éventuelle de la lésion causale. Les objectifs thérapeutiques sont symptomatique (contrôler l’hémorragie et éviter l’asphyxie par inondation alvéolaire ou obstruction bronchique) et étiologique (traiter la cause de l’hémoptysie).
Les mesures médicales sont assez peu développées. Elles reposent sur des mesures simples: positionnement en décubitus latéral du côté de l’hémoptysie si celui-ci est connu; oxygénation et ventilation mécanique si nécessaire, en préférant les sondes de gros calibre; contrôle des facteurs favorisant l’hémorragie si possible; et traitement vasoconstricteur par voie générale tel que la terlipressine (glypressineâ) à la dose de 1 mg toutes les 4 à 6 heures par voie intraveineuse lente, en l’absence de contre-indication (insuffisance coronaire ou antécédent d’infarctus du myocarde, troubles du rythme cardiaque, hypertension artérielle non contrôlée, insuffisance vasculaire cérébrale ou périphérique, insuffisance rénale chronique, grossesse). La place de la glypressine dans la stratégie de traitement reste mal codifiée dans la littérature, et dépend des ressources locales (e.g. plateau technique d’artério-embolisation). Si son intérêt semble évident dans certaines situations (hémoptysie massive lors d’un transport extra-hospitalier, hémoptysie non contrôlée, traitement palliatif/aérosol), son administration peut compromettre la réalisation d’une artério-embolisation. Des techniques de tamponnement local, chimique ou mécanique, réalisées sous fibroscopie bronchique souple ou rigide peuvent être nécessaires, mais requièrent une certaine expertise. Toutes ces mesures transitoires sont destinées à stabiliser le patient pour le préparer au traitement par radiologie vasculaire interventionnelle ou chirurgie.
Question 3. Quelle est la place de la radiologie vasculaire interventionnelle ?
La procédure radiologique vasculaire interventionnelle est réalisée sur un patient stabilisé par les mesures médicales, et actuellement toujours après un angio-TDM volumique (ATDMV). L’ATDMV permet de préciser le mécanisme de l’hémoptysie (artériel systémique ou pulmonaire), localiser l’hémoptysie, visualiser directement les artères systémiques bronchiques et non bronchiques (localisation des ostia, trajet, taille et hypertrophie des artères) avant la réalisation de la procédure. De plus, l’ATDMV fournit une meilleure définition des anomalies parenchymateuses pour le diagnostic étiologique, comparativement à la radiographie de thorax. Enfin, l’ATDMV peut également renseigner sur l’abondance de l’hémoptysie (7).
Les contre-indications à la réalisation de l’AEBS sont relatives, devant faire peser le rapport bénéfice/risque pour chaque patient. Un échec de l’AEBS est possible dans 10 à 15% des cas: absence d’hyper-vascularisation systémique, échec de cathétérisme, sonde instable, vasospasme (administration récente de glypressine par voie systémique, cathétérisme), dissection ou hématome.
A court terme, la récidive de l’hémoptysie peut être liée à la méconnaissance de certaines artères (notamment les artères systémiques non bronchiques), à la réalisation de la procédure radiologique sous traitement vasoconstricteur ou administré moins de 6 heures avant la procédure, ou à un mécanisme artériel pulmonaire méconnu initialement ou se développant au contact d’une lésion évolutive proche de la vascularisation pulmonaire (cancer bronchique, aspergillose, tuberculose active, pneumonie nécrosante). A plus long terme, la récidive peut être favorisée par la persistance de l’étiologie ou le redéveloppement d’une HVS (cancer bronchique, aspergillose, tuberculose).
Les complications de l’AEBS sont rares (moins de 5% des cas), dominées par les complications vasculaires, principalement neurologiques. Les évènements indésirables graves, nécessitant l’arrêt de la procédure, sont devenus très rares, la fréquence de ces accidents étant largement influencée par l’expérience des opérateurs. La réalisation systématique d’un ATDMV réduit le taux d’échec de la procédure de radiologie vasculaire interventionnelle, notamment chez les patients les plus âgés, en précisant mieux les indications de la réalisation d’une angiographie pulmonaire pour vaso-occlusion, réduisant ainsi les indications de la chirurgie d’hémostase.
Question 4. Quelle est la place de la chirurgie thoracique ?
Les séries chirurgicales antérieures à 1980 rapportent des taux de mortalité intra-hospitalière élevés (variant de 15% à 40%). Les séries chirurgicales plus récentes fournissent des taux de mortalité intra-hospitalière moindres, de l’ordre de 10 à 15%, probablement du fait d’une meilleure sélection des patients éligibles à la chirurgie, et d’une meilleure préparation à la chirurgie incluant le contrôle de l’hémoptysie par les mesures médicales et la procédure radiologique vasculaire interventionnelle, et l’optimisation de l’oxygénation par fibro-aspiration en cas d’hémoptysie de grande abondance avec obstructions bronchiques multiples par les caillots (9).
Dans les situations d’hémoptysie non contrôlée malgré des mesures médicales bien conduites incluant la radiologie vasculaire interventionnelle, la chirurgie d’hémostase reste la seule option thérapeutique et est associée à une morbi-mortalité extrêmement élevée (mortalité intra-hospitalière de l’ordre de 40%). En dehors de ces situations, la décision de réaliser une résection pulmonaire différée dans un second temps, dans l’objectif de prévenir une éventuelle récidive doit reposer sur une analyse au cas par cas du rapport bénéfice/risque. Certaines lésions réputées à risque de récidive (lésion cavitaire isolée associée à une hyper-vascularisation des artères systémiques non bronchiques; aspergillose; segment pulmonaire atrophiques secondaire à une infection chronique) paraissent être de bonnes indications chirurgicales. A l’inverse, des lésions bilatérales, telles que des dilatations des bronches bilatérales, ne seraient pas de bonnes indications à la réalisation d’une chirurgie. Une hémoptysie de mécanisme artériel pulmonaire relève d’un traitement chirurgical jusqu’à preuve du contraire (10).
Question 5. Quelle stratégie thérapeutique en 2014 ?
L’orientation vers un centre spécialisé disposant d’un plateau technique adéquat (réanimation, radiologie vasculaire interventionnelle et chirurgie thoracique) repose sur l’existence de critères de gravité à la prise en charge. Le transport doit être médicalisé, avec un patient stabilisé par les mesures médicales. L’administration de glypressine par voie intra veineuse doit être évitée dans la mesure du possible afin de ne pas retarder la réalisation de l’AEBS. Les éléments radiologiques disponibles (notamment les CD-rom) doivent être fournis afin ne pas répéter inutilement l’ATDMV.
A l’heure actuelle, l’algorithme de prise en charge suivant peut être proposé (figure 2), incitant à réaliser en première intention un ATDMV pour guider la procédure de radiologie vasculaire interventionnelle en cas d’hémoptysie abondante, d’insuffisance respiratoire aiguë, ou encore de terrain particulièrement fragile. En cas de succès, la chirurgie thoracique élective peut être proposée dans un second temps pour prévenir la récidive dans le cadre de lésions localisées compliquées d’épisodes d’hémoptysie abondante ou répétée dans le même territoire (dilatation des bronches localisée), de lésions étiologiques à haut risque hémorragique immédiat et de récidive (aspergillose, cancer bronchique), ou de lésions relevant d’un mécanisme artériel pulmonaire chez des patients sélectionnés. Si l’embolisation est techniquement impossible, si l’hémoptysie persiste ou récidive précocement malgré une ou plusieurs embolisations, la seule option thérapeutique envisageable est la chirurgie d’hémostase, malgré ses risques.
ATDMV: angio-TDM volumique.
Les principaux éléments déterminants dans la stratégie thérapeutique sont l’existence d’une insuffisance respiratoire aiguë et l’abondance de l’hémoptysie. L’existence d’une insuffisance respiratoire aiguë doit faire réaliser un ATDMV dans les plus brefs délais afin de guider la procédure radiologique interventionnelle. En l’absence d’insuffisance respiratoire aiguë, c’est l’abondance de l’hémoptysie et les comorbidités, le mécanisme et la cause qui conditionnent la prise en charge vers des mesures médicales éventuellement associées à une procédure radiologique interventionnelle. Au mieux, après contrôle de l’hémoptysie par les mesures médicales et radiologiques, la chirurgie thoracique à court/moyen terme est indiquée, notamment dans le cadre de lésions localisées compliquées d’épisodes d’hémoptysie grave ou répétée dans le même territoire (dilatation des bronches localisée), de lésions étiologiques à haut risque hémorragique et de récidive (aspergillose, cancer bronchique) ou de lésions relevant d’un mécanisme artériel pulmonaire proximal. Dans tous les cas le traitement étiologique doit être mis en œuvre.
Références
(2) Fartoukh M, Khoshnood B, Parrot A, Khalil A, Carette MF, Stoclin A et al. Early prediction of in-hospital mortality of patients with hemopytisis: an approach to defining severe hemoptysis. Respiration 2012; 83:106-114.
(3) Fartoukh M, Khalil A, Louis L, Carette MF, Bazelly B, Cadranel J et al. An integrated approach to diagnosis and management of severe haemoptysis in patients admitted to the intensive care unit: a case series from a referral centre. Respir Res 2007; 8:11-20.
(4) Lordan JL, Gascoigne A, Corris PA. The pulmonary physician in critical care. Illustrative case 7: assessment and management of massive haemoptysis. Thorax 2003; 58:814-819.
(5) Mal H, Rullon I, Mellot F, Brugiere O, Sleiman C, Menu Y et al. Immediate and long-term results of bronchial artery embolization for life-threatening hemoptysis. Chest 1999; 115:996-1001.
(6) Khalil A, Parrot A, Nedelcu K, Fartoukh M, Marsault C, Carette MF. Severe hemoptysis of pulmonary arterial origin: signs and role of multidetector row CT angiography. Chest 2008; 133:212-219.
(7) Bruzzi JF, Rémy-Jardin M, Delhaye D, Teisseire A, Khalil C, Rémy J. Multi-Detector Row CT of hemoptysis. Radiographics 2006; 26:3-22.
(8) Andréjak C, Parrot A, Bazelly B, Ancel PY, Djibré M, Khalil A et al. Surgical resection for severe hemoptysis. Ann Thorac Surg 2009; 88:1556-1565.
(9) Shigemura N, Wan IY, Yu SC, Wong RH, Hsin MK, Thung HK et al. Multidisciplinary management of life-threatening massive hemoptysis: a 10-year experience. Ann Thorac Surg 2009; 87:849-853.
(10) Mal H. Place de la chirurgie dans la prise en charge des hémoptysies graves. Rev Mal Respir 2005; 22:717-719.
(11) Chalumeau-Lemoine L, Khalil A, Prigent H, Carette MF, Fartoukh M, Parrot A. Impact of multidetector CT-angiography on the emergency management of severe hemoptysis. Eur J Radiol 2013; 82:e742-e747.