Mis en ligne le 10 Avril 2013
Questions Fréquentes
Dr Anne GODIER
Anesthésie Réanimation
Hôpital Cochin
Paris
Pr Sophie SUSEN
Pôle d’Hématologie et de Transfusion
Université Lille Nord de France, Hôpital universitaire
Lille
Question 1 – Que désigne le terme de transfusion massive?
Question 2 – Comment savoir si la transfusion va être massive?
Question 3 – Comment administrer le plasma au cours de la transfusion massive?
Question 4 – Quelle est la place de la transfusion de plaquettes?
Question 5 – Faut-il administrer des concentrés de fibrinogène et quand?
Question 6 – Faut-il administrer de l’acide tranexamique lors de la transfusion massive?
Question 7 – Quelle est la place du facteur VII activé recombinant lors de la transfusion massive?
Question 8 – Quels sont les autres facteurs à prendre en compte?
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Question 1 – Que désigne le terme de transfusion massive?
La transfusion massive n’a pas de définition consensuelle et correspond à la transfusion d’un nombre élevé de concentrés de globules rouges (CGR) en un temps donné, indépendamment des autres produits sanguins. Longtemps évoquée pour plus de 10 CGR en 24h, elle est définie à présent sur des délais plus courts, plus proches des problématiques cliniques de l’hémorragie massive: plus de 5 CGR en 3 h, ou plus de 8 CGR en 6h. Elle implique implicitement un débit de saignement élevé.
La transfusion massive est réalisée dans les situations à risque de coagulopathie précoce, terme générique désignant les altérations de l’hémostase au cours des hémorragies. Cette coagulopathie complique l’hémorragie du patient traumatisé sévère, les ruptures d’anévrismes aortiques, l’hémorragie du post-partum, de certaines chirurgies et les hémorragies gastro-intestinales. Elle en augmente la morbi-mortalité.
Question 2 – Comment savoir si la transfusion va être massive?
C’est la question du triage des patients, celle qui détermine quel protocole de transfusion choisir, entre protocole transfusion massive (ratios et packs de transfusion) ou protocole guidé par les tests d’hémostase du laboratoire.
– en traumatologie, le triage est parfois évident: un état de choc hémorragique, un bilan lésionnel d’emblée important imposent le recours à la transfusion massive. Il en est de même pour une anémie aiguë ou une baisse rapide de l’hémoglobine, ce d’autant que les globules rouges participent à l’hémostase. Le tableau est parfois plus flou et la décision de déclencher le protocole de transfusion massive plus difficile. Le triage peut alors être envisagé sur la présence ou l’absence de coagulopathie à l’arrivée. Des scores (ISS, TRISS, RTS), sont disponibles; s’ils sont utiles, ils restent difficiles à utiliser pour trier les patients.
Lorsque des tests courant de laboratoire sont utilisés, la coagulopathie traumatique aigue est le plus souvent définie par un INR>1,5. Néanmoins, ce seuil sous-estime le nombre de patients pouvant bénéficier d’une transfusion massive. Frith a identifié que une valeur de ratio du TQ (TQ patient/ TQ témoin) inférieure à 1,2 est associée à une augmentation des besoins transfusionnels et de la mortalité [1]. Ce nouveau seuil, associé à des critères cliniques, pourrait donc être un outil de triage efficace. Néanmoins, les résultats du TQ réalisé au laboratoire arrivent trop tardivement pour être utiles au triage. Des outils de monitorage délocalisé aux résultats plus rapides pourraient représenter une aide efficace au triage et à la prise en charge thérapeutique. Les évaluations du TQ sur sang total au lit du patient pourraient être des alternatives utiles mais leur place nécessite encore d’être évaluée car les premiers résultats sont discordants. Les méthodes thromboléastographiques permettent ce triage par la mesure de l’amplitude du caillot à cinq minutes [2]mais ne sont que peu disponibles.
– hémorragie du post-partum: la concentration en fibrinogène au moment du diagnostic de l’hémorragie permet de trier les patientes puisqu’une une valeur inférieure à 2g prédit sa sévérité [3]. Néanmoins, une hémorragie sévère ne requière que peu fréquemment une transfusion massive. La clinique orientera secondairement le choix du protocole.
– chirurgie: un faisceau d’arguments cliniques permettra de déclencher le protocole de transfusion massive: débit de saignement élevé avec lésions inaccessibles à l’hémostase chirurgicale, état de choc non contrôlé, coagulopathie clinique, hypothermie ou acidose.
Question 3 – Comment administrer le plasma au cours de la transfusion massive?
L’actualisation des recommandations sur la transfusion de plasma [4] a formalisé la prise en charge:
– Il est recommandé, pour la transfusion massive, de transfuser le plasma en association avec les concentrés de globules rouges avec un ratio PFC:CGR compris entre 1:2 et 1:1 [4].
– Il est recommandé que la transfusion de plasma débute au plus vite, idéalement en même temps que celle des concentrés de globules rouges en cas de transfusion massive prévisible [4].
Le retard de la transfusion de plasma majore la mortalité dès la première heure, comme l’a montré une étude menée en traumatologie [5]. Il faut donc initier la transfusion de plasma sans délai, ce nécessite la mise en place de protocoles de transfusion massive dans les centres prenant en charge habituellement des patients présentant une hémorragie massive [4]. Ces protocoles visent à réduire les délais d’initiation de la transfusion de plasma (coursiers, décongélation sur appel du SAMU).
Ces protocoles définissent le nombre de produits sanguins ainsi que leur séquence d’administration. Ces produits peuvent être distribués conjointement, en “packs transfusionnels”, au sein desquels la notion de ratio est retrouvée. Ces packs incluent un nombre prédéfini de CGR, de plasma et de plaquettes, à transfuser simultanément et de façon répétée jusqu’à stabilisation du patient. Des CGR de groupe O Rh- et des plasmas de groupe AB sont utilisés jusqu’à détermination du groupe du patient. Par la suite, la transfusion se poursuit en isogroupe ou en ABO compatible.
Il faut réfléchir à réduire le délai de disponibilité du premier plasma. Le plasma lyophilisé, produit par le centre de transfusion des armées, représente une solution. Il répond à toutes les caractéristiques exigibles du plasma thérapeutique, telles que définies par l’AFSSAPS, mais n’est pour l’instant utilisable que dans les opérations militaires extérieures. Une étude clinique chez les traumatisés sévères civils et une demande d’extension de son agrément au secteur civil sont en cours.
Question 4 – Quelle est la place de la transfusion de plaquettes?
Les données concernant les plaquettes lors de la transfusion massive sont peu nombreuses. Chez le traumatisé sévère, la thrombopénie est souvent un marqueur de gravité; il existe une dysfonction plaquettaire associée; et l’augmentation du ratio plaquettes:CGR est associée à une réduction de la mortalité.
Cela suggère que l’administration de plaquettes doit plus précoce en cas d’hémorragie massive. Si les données publiées sont insuffisantes pour trancher formellement entre une administration de plaquettes dès le premier CGR, comme pour les plasmas, ou un peu plus tardivement en fonction de la numération plaquettaire, la plupart des protocoles de transfusion massive incluent les plaquettes plutôt en deuxième ligne, après l’administration d’un premier lot de CGR et de PFC. Les recommandations européennes [6]de prise en charge des patients polytraumatisés précisent que les plaquettes doivent être administrées pour maintenir une numération plaquettaire au-dessus du seuil de 50 ×109/L. Chez les polytraumatisés présentant une hémorragie majeure ou un traumatisme crânien, le seuil de transfusion peut être augmenté à 100 ×109/L.
En pratique, il y a deux situations:
– il existe un protocole transfusionnel local détaillant le contenu des packs. Les plaquettes sont transfusées à la posologie et aux temps prédéfinis.
– il n’y a pas encore de protocole local ou la situation est atypique. La réalisation d’une numération plaquettaire est rapide et permet de déclencher (ou non) la transfusion de plaquettes. Le seuil de 100.109/L semble en accord avec les données publiées [6]. La posologie à prescrire n’est pas connue et dépendra de toute façon des habitudes de la banque du sang. On peut proposer soit 1 unité plaquettaire pour 1 CGR, soit 0,7 x1011 pour 7 kg de poids, ce qui représente une dose plus élevée et est une prescription plus compréhensible. En effet, 1 unité plaquettaire contient environ 0,5 x1011 plaquettes, tandis qu’1 concentré plaquettaire contient environ 3 x1011 plaquettes mais il peut être soit issu d’un mélange de 4 à 8 unités de plusieurs donneurs soit issu d’un même donneur (concentré d’aphérèse). Le poids du patient doit donc être indiqué sur la prescription.
Question 5 – Faut-il administrer des concentrés de fibrinogène et quand?
Le fibrinogène est le premier facteur à atteindre un seuil critique au cours d’une hémorragie et c’est un marqueur précoce de la sévérité de l’hémorragie. Il est donc logique de s’intéresser à la concentration en fibrinogène et à une éventuelle supplémentation [7]. Mais les questions en suspend sont nombreuses :
– la démonstration rigoureuse que la concentration en fibrinogène n’est pas qu’un marqueur de gravité, qu’il faut donc seulement observer, mais est aussi un facteur déterminant de l’évolution de la coagulopathie, qu’il faut corriger, n’est pas faite. Or c’est le pré-requis à la discussion de la supplémentation.
– la concentration en fibrinogène à atteindre n’est pas établie. Le seuil de 2g/l est souvent repris, par extrapolation d’une étude ayant montré que ce seuil était un indicateur de gravité dans les hémorragies du post-partum [3]. Hors la concentration en fibrinogène d’une femme enceinte avant l’accouchement est considérablement plus élevée que dans la population générale.
– la transfusion de plasma permet l’apport de fibrinogène. L’effet sur la concentration en fibrinogène d’une administration précoce de plasma avec un ratio PFC/CGR élevé n’a pas été évalué. Il pourrait être suffisant. Ou non.
– ces concentrés exposent à un risque thrombotique potentiel, mal évalué [8,9], conduisant à déconseiller les fortes doses et les concentrations plasmatiques élevées.
– les concentrés sont coûteux. Et les pressions pour augmenter les prescriptions nombreuses.
Par conséquent, les réponses à cette question sujette à des débats parfois houleux, partisans ou insuffisamment soutenus par des arguments scientifiques pourraient être :
– il faut monitorer la concentration en fibrinogène au cours de la transfusion massive [4].
– il faut compenser les hypofibrinogènémies. Le seuil est probablement entre 1,5 et 2g/L [4]. Les concentrés de fibrinogène permettent cette compensation, en particulier si la transfusion de plasma à ratio élevé est insuffisante. La posologie initiale pourrait être de 1 à 2 flacons contenant 1,5g chacun [6].
– il n’y a pas d’argument aujourd’hui pour augmenter la concentration au delà de ces seuils ni pour administrer des concentrés en prophylaxie.
Question 6 – Faut-il administrer de l’acide tranexamique lors de la transfusion massive?
Oui, il faut.
L’acide tranexamique (AT) est très peu couteux, ses effets secondaires sont mineurs et surtout son efficacité a été rigoureusement établie: les mécanismes et conséquences de l’activation de la fibrinolyse ont été mis en évidence dans des modèles expérimentaux in vitro et animaux ainsi que dans des études cliniques observationnelles, tandis que l’intérêt d’administrer un anti fibrinolytique a été démontré dans un essai clinique multicentrique.
En effet, CRASH-2 [10], un essai clinique randomisé a évalué le bénéfice de l’administration précoce d’AT chez 20 211 traumatisés dans 40 pays. L’AT administré selon un schéma simple (1 g en 10 minutes puis 1 g en 8 heures) a réduit les décès par hémorragie ainsi que la mortalité globale. L’efficacité était d’autant plus marquée que l’administration était précoce [11]. Administré dans les 3 premières heures, l’AT réduisait le risque de décès par hémorragie d’environ 30%.
Par conséquent, l’AT doit être administré aux traumatisés, sévères ou non [12]de façon précoce, probablement même en pré-hospitalier quand cela est possible. L’AT trouve aussi sa place dans les hémorragies du post-partum, comme l’a souligné une étude française [13]et par extension probablement aussi dans les autres situations d’hémorragie grave.
Les effets secondaires sont dominés par la survenue de convulsions, d’autant plus fréquentes que les doses sont élevées. Leur incidence est rare avec le schéma 1g en bolus et 1g en 8h. On a longtemps craint que l’AT soit associé à un risque thrombotique mais aucune étude n’a confirmé cette croyance [14]. CRASH-2 a même montré une diminution des thromboses artérielles associée à l’AT [10].
Donc,oui, l’AT doit être associé à la transfusion massive. Le schéma posologique de 1g en bolus puis 1g IVSE en 8h peut être proposé quelque soit le type d’hémorragie (trauma, obstétrique, chirurgie, hémorragie digestive).
Question 7 – Quelle est la place du facteur VII activé recombinant lors de la transfusion massive?
Sa place est discutable.
Le facteur VII activé recombinant (rFVIIa) est un agent hémostatique puissant largement utilisé chez certains patients hémophiles, chez ceux ayant une thrombasténie de Glanzman ou un déficit congénital en VII.
Par extension il a été utilisé pour la prise en charge des hémorragies massives. Mais :
– son efficacité n’a pas été clairement démontrée [15].
– il expose à un risque thrombotique, à prédominance artérielle, en particulier chez le sujet âgé [16].
– il est coûteux.
Donc, si du rFVIIa devait être utilisé lors d’une hémorragie massive, ce ne serait qu’à titre compassionnel, hors AMM et après échec de l’ensemble des thérapeutiques conventionnelles. Il serait alors injecté à la posologie de 90 mg/kg (80-200 mg/kg), après avoir corrigé les autres paramètres d’hémostase : Ht>24%, plaquettes >50G/l, fibrinogènémie, pH>7,2 (l’absence de correction réduit les chances d’efficacité) [6].
Question 8 – Quels sont les autres facteurs à prendre en compte?
– Prévention et traitement de l’hypothermie
– Prévention et traitement de l’acidose
– Monitorage de la calcémie ionisée et apport de chlorure de calcium si <0,9 mmol/L [6].
Références
4. Transfusion de plasma thérapeutique : produits, indications (actualisation). AFSSAPS 2012.