Mis en ligne le 2 juillet 2018
Article du mois

Restrictive versus liberal fluid therapy for major abdominal surgery (RELIEF trial)

N Engl J Med 2018 (doi : 10.1056/NEJMoa1801601)

P.S. Myles, R. Bellomo, T. Corcoran, A. Forbes, P. Peyton, D. Story, C. Christophi, K. Leslie, S. McGuinness, R. Parke, J. Serpell, M.T.V. Chan, T. Painter, S. McCluskey, G. Minto, and S. Wallace, for the Australian and New Zealand College of Anaesthetists Clinical Trials Network and the Australian and New Zealand Intensive Care Society Clinical Trials Group

Article commenté par Emmanuel FUTIER (CHU de Clermont-Ferrand) pour le comité scientifique de la SFAR.

Contexte

L’administration de solutés de remplissage vasculaire pendant la période opératoire fait partie intégrante de toute intervention chirurgicale et constitue, de fait, une pratique de soin quotidienne pour tout médecin anesthésiste-réanimateur.

La question du volume optimal de soluté devant être administré pendant la période opératoire reste largement débattue même si les objectifs en terme de volume ont été considérablement revus à la baisse ces dernières années sous l’impulsion de la publication de plusieurs essais randomisés – réalisés pour l’essentiel d’entre eux sur de petits effectifs de patients – et méta-analyses.1-4 L’application de stratégies dites restrictives d’apports liquidiens, par opposition aux stratégies dites libérales (bien que ces stratégies n’aient jamais été réellement définies5 et que la littérature traduise de l’extrême variabilité des pratiques) s’est progressivement imposée comme un standard de soin en chirurgie abdominale, notamment dans une optique de réhabilitation améliorée après chirurgie.6 Pour autant, l’utilisation de stratégies restrictives, particulièrement si aucun monitorage du volume d’éjection et/ou du débit cardiaque n’est mis en place afin d’identifier et traiter précocement une hypovolémie, exposent à un risque d’hypoperfusion tissulaire et de dysfonction d’organes en postopératoires comme ceci a été récemment identifié dans plusieurs larges études observationnelles.7,8

Afin de clarifier les incertitudes persistantes quant au bénéfice d’une restriction liquidienne, les réseaux de recherche « Australian and New Zealand College of Anaesthetists (ANZCA) » et « Australian and New Zealand Intensive Care Society (ANZICS) » ont décidé de réaliser une large étude multicentrique comparant stratégies restrictives et libérales d’apports liquidiens en chirurgie abdominale.

Question clinique
Une stratégie restrictive d’apport liquidien, par rapport à une stratégie libérale, permet-elle de réduire l’incidence des complications postopératoires et améliorer la survie sans incapacité chez les patients opérés d’une chirurgie abdominale ?

 

Méthodologie

  • Étude multicentrique internationale (7 pays, 47 centres), prospective, randomisée en simple aveugle.
  • Population étudiée:

Les patients adultes opérés d’une chirurgie abdominale (laparoscopie ou laparotomie) ayant un risque majoré de complications postopératoires étaient éligibles pour inclusion.

  • Risque de complications postopératoires définis par 1 critère au moins parmi : âge ≥ 70 ans ; antécédent de coronaropathie, d’insuffisance cardiaque, de diabète (traité par insuline IV ou orale) ; insuffisance rénale (créatinine plasmatique > 200 µmol/l) ; obésité morbide (IMC ≥ 35 kg/m2) ; albuminémie préopératoire < 30 g/l ; seuil anaérobie < 12 ml/kg/min ; ou 2 critères au moins parmi les suivants (score ASA 3 ou 4, insuffisance respiratoire chronique, IMC 30-35 kg/m2, hémoglobine préopératoire < 10 g/dl, créatinine plasmatique 150-199 µmol/l, seuil anaérobie 12-14 ml/kg/min)
  • Critères de non-éligibilité : score ASA 5, insuffisance rénale chronique dialysée, chirurgie urgente, chirurgie hépatique, chirurgies à risques faibles ou modérés de complications.
  • Intervention:

Les patients étaient randomisés pour recevoir un soluté cristalloïde balancé (Hartmann) selon 2 stratégies :

  • Groupe restrictif : bolus IV ≤ 5 ml/kg à l’induction puis perfusion de 5 ml/kg par heure d’intervention. Perfusion IV de 0,8 ml/kg/h pendant les premières 24h en postopératoire
  • Groupe libéral : bolus 10 ml/kg à l’induction puis perfusion de 8 ml/kg par heure d’intervention. Perfusion IV ≥ 1,5 ml/kg/h pendant les premières 24h en postopératoire

Dans les 2 groupes, un algorithme de traitement des hypotensions artérielles (objectif : maintien d’une PAS > 90 mmHg) et de transfusion (objectif : maintien d’un taux d’Hb ≥ 9 g/dl) était proposé. L’utilisation d’un monitorage hémodynamique (doppler œsophagien, pulse contour) et l’administration de solutés colloïdes (albumine, gélatine, hydroxyéthylamidon) étaient laissées à la discrétion des cliniciens en fonction de l’expertise de chaque centre. Enfin, dans les 2 groupes, les patients bénéficiaient d’une stratégie de type réhabilitation améliorée après chirurgie (RAC) et l’adhésion aux items sélectionnés était évaluée.

  • Critère de jugement principal: survie à 1 an sans invalidité. L’invalidité était évaluée par un questionnaire (« WHO Disability Assessment Schedule (WHODAS) ») complété par le patient ou son représentant (conjoint ou soignant). Un comité d’adjudication, en aveugle des groupes, évaluait tous les critères secondaires.
  • Sur l’hypothèse d’une probabilité de survie sans invalidité à un an de 65%, l’inclusion de 2800 patients était initialement prévue. En raison d’une probabilité plus importante que prévue de survie sans incapacité (85%) après randomisation des 2578 premiers patients, un réajustement statistique a été effectué et l’inclusion de 3000 patients a finalement était retenue. Toutes les analyses étaient réalisées sur la population en intention de traiter modifiée (patients randomisés et opérés sous anesthésie générale d’une chirurgie parmi celles éligibles).

Résultats principaux

  • Sur les 5223 patients éligibles entre Mai 2013 et Septembre 2016, 3000 patients ont été randomisés (groupe restrictif : 1501 patients, groupe libéral :1499 patients). Les données de 2983 patients ont été analysées pour le critère principal (groupe restrictif : 1490 patients, groupe libéral :1493 patients)
  • Les caractéristiques des patients à l’inclusion étaient comparables entre les groupes, notamment : (groupe restrictif vs libéral)
    • Age moyen (années) : 66 vs 66
    • Sexe masculin (%) : 52 vs 52
    • Score ASA 2-3 (%) : 93 vs 94
    • Chirurgie colorectale (%) : 43 vs 44
    • Chirurgie laparoscopique (%) : 31 vs 31
    • Analgésie péri-médullaire (%) : 27 vs 26
    • Durée médiane de chirurgie (heure) : 3 vs 3
  • Volumes de solutés administrés:

Le volume médian (intervalle interquartile) de solutés cristalloïdes administrés pendant la période opératoire était de 1677 ml (1173 – 2294) soit 6,5 ml/kg/h (5,1 – 8,4) dans le groupe restrictif et 3000 ml (2100 – 3850) soit 10,9 ml/kg/h (8,7 – 13,5) dans le groupe libéral (p < 0,001).

La différence de solutés colloïdes administrés entre les groupes étaient statistiquement différentes, mais sans relevance clinique : 500 ml (250 – 800) et 500 ml (400 – 1000) dans les groupes restrictif et libéral, respectivement (p = 0,01).

La différence entre les volumes de solutés cristalloïdes administrés pendant les 24h postopératoires était également statistiquement significative : 1556 ml (1200 – 1960) et 2600 ml (2052 – 3150) dans les groupes restrictif et libéral, respectivement (p < 0,001).

La balance liquidienne évaluée 24 heures après la chirurgie était significativement plus importante dans le groupe libéral : 1380 ml (540 – 2338) et 3092 ml (2010 – 4241) dans les groupes restrictif et libéral, respectivement (p < 0,001).

  • Les patients du groupe restrictif recevaient plus fréquemment un vasopresseur (78% vs. 82%, p = 0,019) mais étaient moins enclin à être transfusés en concentrés globulaires (5% vs. 7%, p = 0,015).
  • Il n’y avait pas de différence entre les items RAC entre les groupes.
  • Critère principal: le taux de survie à 1 an sans invalidité était comparable entre les groupes (81,9% dans le groupe de liquide restrictif et 82,3% dans le groupe des fluides libéral ; Hazard ratio (HR) 1,05 ; IC 95% 0,88 à 1,24 ; p = 0,61).
  • Critères secondaires(dans les 30 jours postopératoires) : les patients du groupe restrictif développaient plus d’insuffisance rénale (8,6% vs. 5% ; p < 0,001) et ce quel que soit le stade KDIGO considéré, et nécessitaient plus fréquemment un recours à une épuration extra-rénale (0,9% vs. 0,3% ; p = 0,004 après ajustement statistique pour comparaisons multiples). Une infection du site opératoire (16,5% vs. 15,3% ; p = 0,003 après ajustement statistique pour comparaisons multiples) ou un sepsis (10,6% vs. 8,7% ; p = 0,08) étaient plus fréquemment identifiés chez les patients du groupe restrictif. La mortalité à J90 n’était pas statistiquement différente entre les groupes (2,1% vs. 1,2% ; p = 0,06).

Conclusion des auteurs : chez les patients à risque accru de complications opérés d’une chirurgie abdominale, une stratégie restrictive d’administration des solutés intraveineux n’a pas été associée avec un taux plus élevé de survie sans invalidité à 1 an. En revanche, la stratégie restrictive était associée avec une fréquence plus élevée d’insuffisance rénale aigue.

Discussion

Les données connues

Un nombre certain d’études randomisées ont mis en exergue le risque d’apports liquidiens excessifs pendant la période opératoire. L’utilisation de stratégies restrictives s’est progressivement imposée comme un standard de soin en médecine péri-opératoire. Pour autant, en dépit d’une littérature assez riche sur le sujet, la démonstration d’une supériorité de ces stratégies reste incertaine, en raison notamment de l’hétérogénéité des stratégies elles-mêmes utilisées et de l’hétérogénéité des critères d’évaluation.

Points forts de l’étude

  • Une question clinique importante avec un rationnel physiopathologique clair
  • Étude prospective, multicentrique, internationale
  • Effectif large
  • Population de patients dont les caractéristiques sont facilement extrapolables aux populations de nos blocs opératoires
  • Analyse en intention de traiter
  • Critère principal relevant, utilisant un instrument de mesure validé évaluant les répercussions sur le patient de la période opératoire
  • Comité d’adjudication pour les critères secondaires

Limites de l’étude (pour mettre l’étude RELIEF en perspective…)

  • Étude en simple aveugle (même si du double aveugle n’aurait bien évidemment pas été possible)
  • Choix des volumes de solutés à perfuser arbitraire pour les stratégies restrictives et libérales (mais, une fois encore, il n’existe pas de définition et toutes les études précédentes avaient également fait un choix discutable)
  • Réalisation d’un bolus de remplissage à l’induction : physiologiquement illogique !
  • Algorithmes décisionnels hémodynamiques discutables
  • Seuls 14% des patients bénéficiaient d’une optimisation hémodynamique individualisée. C’est aussi l’un des points (messages) forts de l’étude !
  • Protocole de réhabilitation (RAC) réduit à sa plus simple expression

Ce qu’apporte cette étude

L’étude RELIEF doit, de mon point de vue, être analysée comme un plaidoyer pour une personnalisation du soin en médecine péri-opératoire et, plus particulièrement, pour une individualisation des stratégies de remplissage vasculaire au bloc opératoire. Il est erroné d’opposer des stratégies dont une définition n’a jamais été établie comme il est totalement illusoire d’envisager proposer la perfusion standardisée d’un volume horaire fixe de quelque soluté que ce soit. Il est en revanche bien établi, et cette étude en est une parfaite illustration, qu’une stratégie de remplissage mal conduite peut être responsable chez le patient chirurgical, au bloc opératoire comme en réanimation, d’une morbidité importante. Limiter aveuglement le volume de soluté perfusé (c’est exactement cela qui a été réalisé dans cette étude), tout comme l’administration de quantités excessives de solutés, peut être dangereux même chez des patients ayant un risque modéré de complications et pour des durées relativement courtes d’intervention chirurgicale (3 heures). Bien que la significativité statistique ne soit pas atteinte dans l’étude RELIEF, la mortalité à J90 des patients alloués à la stratégie restrictive est quasiment multipliée par un facteur 2 (la survenue d’1 seul décès supplémentaire aurait suffi à rendre cette différence statistiquement significative !).

L’étude RELIEF est un exemple de ce qu’il ne faut pas faire en pratique clinique, à savoir : limiter excessivement et aveuglement (sans monitorage) l’apport de soluté, attendre une hypotension (signe tardif, peu sensible et peu spécifique d’hypovolémie) pour traiter, administrer un vasopresseur lorsqu’un remplissage vasculaire est requis.

En conclusion, prudence est mère de sérénité. Une stratégie inappropriée de gestion des apports liquidiens fait courir un risque difficilement acceptable aux patients dont nous nous occupons quotidiennement. Les recommandations formalisées d’experts de la Société Française d’Anesthésie et Réanimation sur l’optimisation hémodynamique au bloc opératoire ont été publiées en 2013. Monitorons nos patients !

  1. Lobo DN, Bostock KA, Neal KR, Perkins AC, Rowlands BJ, Allison SP. Effect of salt and water balance on recovery of gastrointestinal function after elective colonic resection: a randomised controlled trial. Lancet. 2002;359(9320):1812-1818.
  2. Brandstrup B, Tonnesen H, Beier-Holgersen R, et al. Effects of intravenous fluid restriction on postoperative complications: comparison of two perioperative fluid regimens: a randomized assessor-blinded multicenter trial. Ann Surg. 2003;238(5):641-648.
  3. Corcoran T, Rhodes JE, Clarke S, Myles PS, Ho KM. Perioperative fluid management strategies in major surgery: a stratified meta-analysis. Anesth Analg. 2012;114(3):640-651.
  4. Rahbari NN, Zimmermann JB, Schmidt T, Koch M, Weigand MA, Weitz J. Meta-analysis of standard, restrictive and supplemental fluid administration in colorectal surgery. Br J Surg. 2009;96(4):331-341.
  5. Bundgaard-Nielsen M, Secher NH, Kehlet H. ‘Liberal’ vs. ‘restrictive’ perioperative fluid therapy–a critical assessment of the evidence. Acta Anaesthesiol Scand. 2009;53(7):843-851.
  6. Alfonsi P, Slim K, Chauvin M, et al. [Guidelines for enhanced recovery after elective colorectal surgery]. Ann Fr Anesth Reanim. 2014;33(5):370-384.
  7. Thacker JK, Mountford WK, Ernst FR, Krukas MR, Mythen MM. Perioperative Fluid Utilization Variability and Association With Outcomes: Considerations for Enhanced Recovery Efforts in Sample US Surgical Populations. Ann Surg. 2016;263(3):502-510.
  8. Shin CH, Long DR, McLean D, et al. Effects of Intraoperative Fluid Management on Postoperative Outcomes: A Hospital Registry Study. Ann Surg. 2017.
  9. Myles P, Bellomo R, Corcoran T, et al. Restrictive versus liberal fluid therapy in major abdominal surgery (RELIEF): rationale and design for a multicentre randomised trial. BMJ Open. 2017;7(3):e015358.