Crombie N, et al. Lancet Haematol. 2022 Apr;9(4):e250-e261. doi: 10.1016/S2352-3026(22)00040-0.
Article commenté par :
Pr Pierre Pasquier (Hôpital d’Instruction des Armées Percy, Clamart)
Pr Jean-Stéphane David (Groupe hospitalier sud, Hospices Civils de Lyon, Pierre Bénite)
pour le comité ACUTE de la SFAR
RePHILL – Comparaison de deux stratégies de réanimation préhospitalière chez des patients traumatisés en état de choc hémorragique en milieu civil : concentrés de globules rouges (CGR) et plasma lyophilisé (PLyo) vs. sérum salé isotonique (0,9 %)
Ce que nous savons déjà sur le sujet :
La prise en charge des traumatisés en état de choc hémorragique repose sur le contrôle immédiat des hémorragies, la lutte contre le diamant létal (coagulopathie, acidose, hypothermie, hypocalcémie) et la transfusion précoce de produits sanguins labiles [1,2]. En traumatologie civile, les preuves du bénéfice de la transfusion de produits sanguins labiles en préhospitalier restent encore débattues malgré plusieurs essais randomisés (PAMPer, COMBAT, PREHO-PLYO) [3-6]. En effet, si l’administration précoce de produits sanguins labiles possède un fort rationnel physiologique, il reste à déterminer précisément quels patients sont les plus susceptibles de bénéficier de cette administration. De plus, les contraintes liées à l’utilisation préhospitalière des produits sanguins labiles sont nombreuses : ressource rare, coût financier, logistique complexe etc… Aussi, les données disponibles ne permettent actuellement pas de recommander formellement la transfusion de produits sanguins labiles en préhospitalier en traumatologie civile.
Les méthodes de l’étude :
L’essai RePHILL a impliqué 4 services d’urgence préhospitaliers au Royaume-Uni, du 29 novembre 2016 au 2 janvier 2021, dans un essai de phase 3, contrôlé, randomisé, en simple aveugle, en groupes parallèles, comparant deux stratégies de réanimation préhospitalière chez des traumatisés en état de choc hémorragique : CGR (groupe O, déleucocyté, Rh NEG, Kell NEG) associés à du PLyo vs. NaCl 0,9 % [7].
L’hypothèse de l’étude était que l’utilisation préhospitalière de l’association CGR – PLyo améliorait la perfusion tissulaire, mesurée par la clairance du lactate et/ou la mortalité, en comparaison à une réanimation volémique menée avec des cristalloïdes seuls.
Le groupe intervention (CGR + PLyo) recevait jusqu’à 2 CGR + 2 PLyo, en alternant 1 CGR puis 1 PLyo. Au-delà de 4 unités de produits sanguins labiles, et si la pression artérielle systolique était encore inférieure à 90 mmHg, alors la réanimation préhospitalière était poursuivie avec du NaCl 0,9%. Le groupe contrôle recevait quant à lui jusqu’à 4 bolus de 250mL de NaCl 0,9%. Le protocole ne proposait pas l’utilisation de catécholamines.
Le critère de jugement principal était un critère composite d’échec de traitement : mortalité (décès à tout moment entre le traumatisme et la sortie de l’hôpital) et/ou impossibilité d’obtenir une décroissance significative de la lactatémie (< 20 % par heure dans les 2 premières heures après la randomisation).
Les critères de jugement secondaires étaient :
- chacun des critères individuels du critère de jugement principal,
- la mortalité, toutes causes confondues, dans les 3 heures et jusqu’à 30 jours après la randomisation,
- les délais préhospitaliers,
- le type et le volume de liquide administré avant et après l’intervention,
- les signes vitaux,
- la concentration de lactate veineux,
- la concentration d’hémoglobine et la coagulopathie associée au traumatisme
- le total de produits sanguins labiles transfusés
- le nombre de jours sans défaillance d’organe,
- l’incidence du syndrome de détresse respiratoire aiguë
- les complications liées à la transfusion.
Les critères d’inclusion étaient : patients âgés d’au moins 16 ans, traumatisés et présentant une hypotension artérielle (pression artérielle systolique < 90 mmHg ou absence de pouls radial perçu) en rapport avec une hémorragie d’origine traumatique.
Les critères d’exclusion étaient : la transfusion préalable de produits sanguins labiles, avant l’évaluation de l’éligibilité, l’opposition connue à la transfusion de produits sanguins labiles, la grossesse (connue ou apparente), le traumatisme crânien isolé sans signe d’hémorragie majeure, les prisonniers (pour des raisons réglementaires). Le 25 janvier 2017, le protocole a été modifié pour exclure également les sujets ayant présenté un arrêt cardiaque traumatique lorsque l’arrêt cardiaque s’était produit avant l’arrivée de l’équipe d’urgence préhospitalière ou que la cause principale n’était pas l’hypovolémie.
Les résultats principaux de l’étude :
432 participants, avec un âge médian de 38 ans, ont été randomisés. Les caractéristiques de base étaient comparables entre les deux groupes. Quatre-vingt-deux pour cent des patients inclus étaient des hommes. Les traumatismes étaient en rapport avec des accidents de la voie publique dans 62% des cas. Il s’agissait de traumatisés graves, avec un Injury Severity Score médian de 36 (IQR 25-50).
Le traumatisme impliquait :
- une hémorragie non compressible dans 82% des cas
- un traumatisme fermé dans 79% des cas
- un traumatisme crânien associé dans 48% des cas
Les temps mesurés étaient les suivants :
- un temps moyen de 30 minutes entre l’appel des secours et l’arrivée sur les lieux de l’accident
- un délai moyen de 25 minutes entre l’arrivée sur les lieux et le démarrage du protocole
- un temps moyen de 83 minutes (IQR 65-101) entre l’appel des secours et l’arrivée à l’hôpital
Le transport préhospitalier se faisait par la route dans 62 % des cas. La pression artérielle mesurée à l’arrivée de l’équipe préhospitalière était en moyenne de 73/46mmHg. Avant la randomisation, les participants avaient reçu en moyenne 430 mL de cristalloïdes, et de l’acide tranexamique dans 90 % des cas. Les participants du groupe intervention (CGR+PLyo, n=209) ont reçu en moyenne 1,6 unités de concentrés érythrocytaires (443 mL de CGR) et 1,3 unités de Plyo (266 mL). Les participants du groupe contrôle (n=223) ont reçu en moyenne 2,6 unités de NaCl 0,9% (638 mL).
Le recrutement des participants a été arrêté avant d’atteindre la taille prévue de l’échantillon de 490 patients, en raison de la pandémie de COVID-19 et de la fin programmée du financement de l’étude.
Le critère de jugement principal :
Le critère de jugement principal survenait pour 128/199 (64%) dans le groupe intervention (CGR+PLyo) vs 136/210 (65%) dans le groupe contrôle (NaCl 0,9%) [risque relatif ajusté 1,01 ; intervalle de confiance à 95% : 0,88-1,17].
Les critères d’évaluation secondaires :
En comparant le groupe intervention (CGR+PLyo) vs le groupe contrôle (NaCl 0,9%),
- Pas de différence significative pour :
- la mortalité : 43% vs 45% [risque relatif ajusté 0,97 ; intervalle de confiance à 95% : 0,78-1,2]
- la clairance du lactate diminuée : 50% vs 55%% [risque relatif ajusté 0,94 ; intervalle de confiance à 95% : 0,78-1,13]
- les signes vitaux à l’arrivée au service d’accueil des urgences (fréquence cardiaque, pression artérielle systolique, fréquence respiratoire, saturation pulsée en oxygène)
- la concentration plasmatique de lactate à l’arrivée au service d’accueil des urgences (7,04 vs 6,93 mmol/L, p=0.87)
- la proportion de patients avec un INR > 1.5 (14% vs 16%, p =0,80)
- les taux de décès dans les 3ères heures 16% vs 22%, p=0,08
- Une différence significativement plus élevée dans le groupe intervention pour :
- la concentration d’hémoglobine à l’arrivée au service d’accueil des urgences (13,3 vs 11,8 g/dL, p<0,0001)
- le total de produits sanguins labiles transfusés dans les 24ères heures :
- CGR 6,3 4,4 unités (groupe contrôle), p=0,004
- Plasma 5,0 3,4 unités (groupe contrôle), p=0.002
La fréquence des effets indésirables était similaire entre les groupes et aucun décès lié à la transfusion n’était rapporté. Une analyse bayésienne était également incluse, suggérant qu’il est très peu probable qu’il y ait une différence entre les deux groupes.
Les conclusions des auteurs :
Cet essai de supériorité de phase 3, multicentrique, randomisé et contrôlé n’a pas montré que la réanimation préhospitalière par l’association CGR-PLyo était supérieure à la réanimation préhospitalière par NaCl 0,9%, pour le choc hémorragique traumatique, dans la population civile étudiée.
Les points forts de l’étude
- Il s’agit d’une étude qui adresse une question importante, encore débattue : la transfusion préhospitalière en traumatologie civile améliore t’elle la survie des patients ?
- Etude contrôlée, randomisée, avec analyse en intention de traiter et suivi quasi complet pour les deux groupes.
- Les investigateurs étaient aveugles sur le traitement alloué jusqu’à l’ouverture de « la boîte de traitement » qui différait selon les deux groupes.
- Les équipes médicales qui prenaient en charge les patients ensuite à l’hôpital n’étaient pas informées des groupes de traitement considérés pour leurs patients.
- C’est une étude ambitieuse menée en milieu préhospitalier, avec poursuite à l’hôpital, chez des patients traumatisés graves et instables.
- Les résultats étaient objectifs et leur critère composite peut se justifier avec des évènements rares tels que la mortalité, surtout lorsque mener des essais plus larges paraît difficile en raison de leur coût et de leur organisation complexe.
- Ainsi, en combinant différents paramètres, il peut être plus facile de détecter une différence entre les groupes de traitement.
- Les auteurs notent que les patients qui ont été alloués à l’intervention étaient plus susceptibles de recevoir du sang que les autres et que, par conséquent, le coût et les logistiques liés à l’apport de sang en milieu préhospitalier ne semblaient pas justifiés car aucun bénéfice n’a été constaté dans l’ensemble.
- Les critères d’exclusion étaient limités, conférant a priori à l’étude une valeur extrinsèque correcte.
- Il n’y avait pas de conflit d’intérêt associés à cette étude.
- Il y avait des calculs de puissance préalables, validés par un comité de contrôle des données.
Les limites de l’étude
Limites intrinsèques
- Le nombre de participants randomisés étaient de 432 alors que les calculs de puissance avaient prévu 438 participants (219 par groupe) pour atteindre une puissance de 80 % et détecter une différence de 10% entre les groupes. Finalement 209 cas ont pu être analysés dans le groupe intervention et 210 dans le groupe contrôle.
- Les traumatisés présentaient des signes de choc hémorragique mais peu d’entre eux présentaient une anémie (9 patients seulement dans le groupe contrôle avaient un taux d’hémoglobine < 8g/dL), ce qui a pu contribuer à sous-estimer l’effet de l’intervention.
- De même, seuls 14 et 16% des patients présentaient un INR > 1.5 à l’admission alors que le présupposé et que le bénéfice s’observe avant tout en cas de coagulopathie avéré.
- Le critère de jugement principal était un critère composite, combinant des paramètres dont l’importance est variable (mortalité, critère clinique, et clairance du lactate, critère biologique). Aussi, les résultats sont difficiles à interpréter.
- Les intervalles de confiance sont larges et ne permettent pas de conclure préférentiellement pour un effet favorable ou défavorable.
- L’étude est ouverte, ce qui aurait pu entraîner un biais de performance ou un biais de détection, en particulier pour des résultats plus subjectifs tels que des événements indésirables.
- Les délais entre le traumatisme et le geste d’hémostase n’étaient pas décrits. Ils sont pourtant plus importants en terme d’impact sur la mortalité que les délais entre le traumatisme et l’arrivée à l’hôpital.
- Une fois que l’allocation du traitement était révélée, les équipes médicales n’étaient pas aveugles aux traitements, ce qui pourrait causer un biais de détection (par exemple, si les cliniciens savent qu’un patient a déjà été transfusé, l’attention portée à la nécessité de recourir à nouveau à la transfusion de produits sanguins labiles peut être moins vigilante que pour un patient qui n’aurait pas été transfusé).
- Le délai entre la randomisation et l’arrivée à l’hôpital était court, pouvant limiter l’impact potentiel de cette intervention préhospitalière.
Limites extrinsèques
- La majorité des patients souffraient de traumatismes fermés et non pas de traumatismes pénétrants.
- Le plasma utilisé était du plasma lyophilisé, qui nécessite l’adjonction de 250 mL d’eau pour préparation injectable. Mais ce produit, comme précisé dans des recommandations pour la pratique professionnelle de la SFAR en 2020, permet de palier aux contraintes importantes en lien avec l’utilisation du plasma frais congelé [8].
- Les services d’urgence préhospitaliers au Royaume-Uni comprennent généralement un médecin et un infirmier de soins intensifs, ce qui peut être comparable dans certains systèmes de soins, européens notamment, mais différent dans d’autres, américains notamment.
- La stratégie transfusionnelle utilisait des ratios transfusionnels plasma:CGR de 1:1. Des stratégies transfusionnelles avec des ratios transfusionnels différents (g 2:1) peuvent avoir des résultats différents. De plus la stratégie transfusionnelle n’a pas impliqué la transfusion d’autres produits sanguins labiles tels que des plaquettes [9,10], du sang total, et n’a pas impliqué non plus d’administration de calcium.
- Enfin, on note que contrairement à notre pratique nationale, les catécholamines n’étaient pas proposées en préhospitalier.
Ce que cet article nous apporte
Les défis logistiques et les coûts liés la transfusion préhospitalière de CGR et de PLyo chez des traumatisés graves sont importants. Dans l’essai RePHILL, la transfusion préhospitalière de CGR et de PLyo n’était pas associée à une amélioration du pronostic des traumatisés graves, sur un critère composite de mortalité ou de diminution de la clairance du lactate, en comparaison avec une réanimation par NaCl 0,9%. D’autres études seront sans doute nécessaires pour mieux préciser l’intérêt de la transfusion préhospitalière de produits sanguins labiles, peut-être dans une stratégie transfusionnelle incluant le recours au sang total, dans des environnements (milieux austères, délais prolongés de transport) et/ou des groupes de patients (traumatisme pénétrants) plus spécifiques. L’un des points probablement les plus importants résidera dans la définition plus précise des patients susceptibles de bénéficier de l’administration préhospitalière de produits sanguins labiles : besoin remplissage vasculaire > 1500 mL ? hémoglobine < 11 g/dL ? FAST positive ? shock index > 1,3 ? [11]…
Est-ce que vous voulez dire quelques mots de PREHO-PLYO ?
https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/35881397/
Références
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[2] Spahn DR, Bouillon B, Cerny V, Duranteau J, Filipescu D, Hunt BJ, Komadina R, Maegele M, Nardi G, Riddez L, Samama CM, Vincent JL, Rossaint R. The European guideline on management of major bleeding and coagulopathy following trauma: fifth edition. Crit Care 2019;23(1):98.
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