Targeted Temperature Management for Cardiac Arrest with Nonshockable Rhythm – New England Journal of Medicine – October 2019
(DOI: 10.1056/NEJMoa1906661)
Analyse de l’article par le Dr Romain Jouffroy, SAMU de Paris,
CHU Necker – Enfants Malades, pour le Comité ACUTE de la SFAR
Rationnel :
Le pourcentage global de survie à la sortie de l’hôpital après arrêt cardiaque (AC) est assez stable depuis plusieurs années et évalué à 7,6% dans une récente méta-analyse [1]. Outre les facteurs pronostiques non modifiables liés au terrain et aux délais de découverte (no flow) et de début de réanimation cardiopulmonaire (low flow), la survie globale dépend de l’obtention d’un retour à une activité cardiaque spontanée (RACS), exclusion faite des patients pour lesquels la mise en place d’une assistance circulatoire (eCPR) est retenue, et de la qualité des thérapeutiques instaurées en réanimation. Ces thérapeutiques visent d’une part à traiter la cause de l’AC mais aussi à limiter les lésions, notamment neurologiques irréversibles, induites par les mécanismes d’ischémie-reperfusion.
Depuis les années 2000, les effets neuro-protecteurs de l’hypothermie thérapeutique sont controversés. En effet, le bénéfice de l’hypothermie thérapeutique modérée (32°C – 34°C au cours des 24 premières heures post-AC) est établi pour l’AC extrahospitalier par rythme choquable (meilleure survie à la sortie de l’hôpital avec un état neurologique satisfaisant) mais reste discuté pour l’AC extrahospitalier par rythme non choquable [HACA Study Group, NEJM 2002 / Bernard SA, NEJM 2002] [2-4].
L’objectif de l’étude HYPERION de Lascarrou et al. publiée dans le New England Journal of Medicine le 2 Octobre 2019 était de déterminer l’efficacité de l’hypothermie thérapeutique modérée au cours des 24 premières heures sur l’état neurologique (évalué à J90) de patients victimes d’AC extra-hospitalier (ACEH) et intra-hospitalier (ACIH) par rythme non choquable.
Méthode :
Cette étude contrôlée, randomisée, en ouvert, pragmatique, en aveugle pour l’évaluation du critère de jugement principal a été effectuée au sein de 25 services de réanimation français entre le 26 janvier 2014 et le 12 janvier 2018.
Les patients éligibles à une inclusion étaient des adultes victimes d’arrêt cardiaque extrahospitalier (ACEH) ou intrahospitalier (ACIH) avec un rythme initial non choquable (quelle que soit la cause de l’AC) avec un score de Glasgow inférieur ou égal à 8 à l’admission en réanimation ou préalablement à l’instauration de la sédation pré-hospitalière.
Les critères d’exclusion incluaient notamment une durée de no-flow supérieure à 10 minutes, une durée de low-flow supérieure à 60 minutes, une instabilité hémodynamique majeure (dose d’adrénaline ou de noradrénaline supérieure à 1microg/kg/min) et une durée supérieure à 300 minutes entre la survenue de l’AC et l’inclusion.
Les patients étaient randomisés (1:1) en deux groupes : hypothermie thérapeutique modérée (33±0,5°C) pendant les 24 premières heures ou normothermie (37±0,5°C) pendant les 48 premières heures.
Les méthodes utilisées (refroidissement interne ou externe par un matériel dédié ou non) pour obtenir les températures cibles étaient celles couramment utilisées par chaque service de réanimation. La sédation a été maintenue au cours des 12 premières heures conformément aux recommandations de l’International Liaison Committee on Resuscitation (ILCOR) de 2010 [5]. Dans le groupe hypothermie, le réchauffement a été progressivement effectué entre 0,25 et 0,5°C par heure jusqu’à obtention d’une température supérieure à 36°C.
Le critère de jugement principal était le taux de survie avec un état neurologique satisfaisant (défini par un Cerebral Performance Category [CPC] score 1 ou 2) 90 jours après l’ACEH par un psychologue en aveugle du groupe de randomisation. Un score CPC de 1 ou 2 sur une échelle qui compte 5 niveaux traduit une performance cérébrale normale ou modérément altérée.
Les critères de jugement secondaires étaient la mortalité, la durée de ventilation mécanique, les durées de séjour en réanimation et à l’hôpital, la survenue d’infections nosocomiales et les effets secondaires hématologiques.
Le nombre de sujets nécessaire a été déterminé à partir d’une différence absolue de 9% de bon pronostic neurologique entre le groupe hypothermie (23%) et le groupe normothermie (14%). L’inclusion de 584 patients était prévue pour obtenir une puissance de 80%.
Deux analyses intermédiaires des données (non divulguées aux investigateurs) et un recueil des événements indésirables ont été effectués après inclusion de 200 et de 400 patients, respectivement.
Une analyse avec ajustement sur le service de réanimation et la cause de l’AC, cardiaque ou non, a été effectuée.
Les données manquantes ont été traitées en considérant que le patient était décédé.
Principaux résultats :
581 patients, 284 dans le groupe hypothermie et 297 dans le groupe normothermie, ont été randomisés parmi les 2723 ACEH pris en charge.
Trois patients du groupe hypothermie ont été exclus de l’analyse en raison du refus de leur participation à l’étude.
Les ACEH représentaient 72,6% et les ACIH 27,4% des AC ; 2/3 des AC étant d’origine non cardiaque.
Dans le groupe hypothermie, le refroidissement a débuté 16 minutes après l’admission (valeur médiane avec écart interquartile de 0 à 53 minutes) et a été interrompu pour 36 patients (12,7%).
Entre 12 et 24 heures après randomisation, la température moyenne était de 33,5±1,1°C dans le groupe hypothermie et de 37,0±0,7°C dans le groupe normothermie.
A J90, 29 patients du groupe hypothermie (10,2%) et 17 patients du groupe normothermie (5,7%) avaient un score CPC de 1 ou 2 (différence absolue de 4,5%, [IC 95%, 0,1-8,9]. Après ajustement, les résultats restaient similaires avec une différence absolue de risque de 4,9% [IC 95%, 0,5-9,3].
La mortalité à J90 était de 82,3% pour l’ensemble des patients inclus : 81,3% dans le groupe hypothermie et 83,2% dans le groupe normothermie sans différence significative.
Aucune différence n’a été observée entre les 2 groupes pour la durée de ventilation mécanique, la durée de séjour en réanimation et la survenue d’événements indésirables.
Conclusion des auteurs :
Dans cette étude randomisée, les auteurs ont constaté qu’une hypothermie thérapeutique modérée au cours des 24 premières heures post AC augmente la survie avec un pronostic neurologique favorable à J90.
Points forts :
- Respect du protocole d’étude (ClinicalTrials.gov Identifier: NCT01994772)
- Absence de conflits d’intérêt déclarés
- Essai randomisé multicentrique
- Analyses stratifiées prenant en compte des facteurs confondants potentiels
- Analyses effectuées en per-protocole sans nécessité d’arrêter l’étude
- Inclusion des AC intra et extra-hospitaliers
- Critère de jugement principal pertinent évalué par un investigateur indépendant en aveugle du groupe d’allocation
- Critères de jugement secondaires judicieusement choisis au regard des questions posées par la problématique de l’hypothermie thérapeutique
- Respect de la température moyenne cible dans les 2 groupes de patients et respect de la procédure de réchauffement progressif dans le groupe hypothermie
- Réponse pertinente à une question de pratique clinique quotidienne
- Étude française avec résultats transposables dans nos pratiques cliniques quotidiennes
Points faibles :
- Absence de prise en compte dans l’analyse statistique des données relatives à la phase pré réanimation ayant un impact important sur le devenir : durée du no flow et du low-flow, de la présence d’un témoin, de la réalisation d’une réanimation cardiopulmonaire par le(s) témoin(s) et la dose d’adrénaline administrée pour obtenir le RACS
- Traitement des données manquantes faisant considérer le patient comme décédé dans une étude avec un index de fragilité de 1 (impact majeur du changement de groupe d’un seul patient sur les résultats globaux)
- Absence de précision sur la température mesurée : périphérique ou centrale
- Durées de contrôle de la température inégales entre les 2 groupes (24 heures dans le groupe hypothermie et 48 heures dans le groupe normothermie)
- Grande hétérogénéité des valeurs de température au cours des 6 premières heures après inclusion dans les 2 groupes (Figure 2 de l’article) avec des patients conservant une température supérieure à 38°C dans le groupe normothermie malgré les mesures prises
- Délai de 6 heures dans les 2 groupes pour obtenir la température moyenne cible – durée effective du traitement de 18 heures
- Même si son impact semble limité d’après les données actuelles de la littérature, au-delà de la 30ème heure, dans les 2 groupes, une hyperthermie supérieure à 38°C est observée
- Évaluation du statut neurologique effectuée par téléphone
Discussion de l’article :
L’hypothermie thérapeutique augmente la survie avec un bon pronostic neurologique mais pas la survie globale à J90.
Cet article apporte des éléments supplémentaires au consensus en faveur de l’intérêt de l’hypothermie thérapeutique modérée au décours de la prise en charge des ACIH et des ACEH, ce quel que soit le rythme initial observé. Les effets bénéfiques neurologiques de l’hypothermie thérapeutique profonde (inférieure à 32°C) sont contrebalancés par des effets secondaires délétères : majoration de l’incidence des complications infectieuses, de l’instabilité hémodynamique post RACS et des perturbations hématologiques notamment de l’hémostase. Même si une étude de 2013 remettait en cause le bénéfice réel de l’hypothermie thérapeutique modérée vs. une température cible de 36°C pour des ACEH présumés de cause cardiaque quel que soit le rythme initial [6], les recommandations internationales 2015 [7,8] et les recommandations formalisées d’experts SFAR-SRLF de 2018 [9] préconisent un « contrôle ciblé de la température » avec une cible de température entre 32 à 36°C au cours des 24 premières heures post RACS. Si la question de la valeur cible idéale de température centrale pourrait être d’avantage précisée, il est admis que le réchauffement doit être lent et progressif pour éviter la genèse de lésions neurologiques supplémentaires. Au-delà de la question du contrôle ciblé de la température au décours du RACS, la priorité doit être donnée à la lutte contre l’hyperthermie, particulièrement fréquente et délétère dans la période post-AC [7,8,10,11].
Que retenir ?
Les données de cet article abondent dans le sens de la littérature pour un contrôle ciblé de la température au cours des 24 premières de la prise en charge d’un arrêt cardiaque intra ou extra-hospitalier, ce quel que soit le rythme initial.
L’étude de Lascarrou et collaborateurs est donc une étude prospective randomisée présentant les critères de qualité requis et se positionnant sur une cause fréquente d’arrêt cardio-circulatoire (rythme non choquable). Elle démontre le bénéfice d’une hypothermie modérée stable précoce en opposition aux résultats négatifs relatés dans la méta-analyse de Kalra et al. [12] qui compilait les études avec un objectif de température < 34°C.
Si l’obtention d’une température centrale cible comprise entre 32 et 36°C au cours des 24 premières heures post RACS est une priorité, la lutte contre l’hyperthermie est tout aussi essentielle car particulièrement délétère sur le pronostic neurologique des victimes d’AC.
Références :
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