Mis en ligne le 1 février 2016
Article du mois

Nichol G, N Engl J Med 2015 Dec 3;373(23):2203-14

Analyse de l’article par le Pr. Benoît VIVIEN, SAMU de Paris,

CHU Necker – Enfants Malades, pour le Comité Urgences de la SFAR

La réanimation cardio-pulmonaire (RCP) d’un patient en arrêt cardiaque nécessite, entre autres, la réalisation d’un massage cardiaque externe (MCE) et d’une ventilation en pression positive, afin de maintenir une circulation et une oxygénation suffisantes [1]. Avant le contrôle des voies aériennes par intubation endotrachéale (ou mise en place d’un dispositif supra-glottique pour les anglo-saxons), le MCE et la ventilation sont classiquement synchronisés sur un mode 30/2 depuis les recommandations internationales de 2005, c’est-à-dire sur une alternance continue de 30 compressions et de 2 insufflations. L’inconvénient majeur de cette modalité de RCP est lié aux interruptions régulières et fréquentes du MCE pour effectuer les manœuvres ventilatoires, qui pour chacune d’entre elles réduisent le débit sanguin et consécutivement diminuent l’efficacité globale de la RCP. Parmi les différentes stratégies envisagées pour pallier cet inconvénient, il a été proposé la réalisation d’une ventilation en continue, de manière indépendante, simultanée et donc asynchrone par rapport au MCE qui quant à lui serait donc effectué en continu sans interruptions dédiées aux manœuvres ventilatoires.

 

Objectif de l’étude :

L’objectif de cette étude était de comparer l’efficacité, en terme de pronostic de survie chez des patients adultes en arrêt cardiaque, d’une RCP asynchrone avec MCE et ventilation tous deux continus et indépendants, versus une synchronisation 30/2 classique du MCE et de la ventilation lors de la RCP.

Méthodes :

Cet essai nord américain prospectif randomisé multicentrique a inclus 114 services d’urgences nord-américains. Les patients adultes en arrêt cardiaque extra-hospitalier non-traumatique recevaient une RCP asynchrone (MCE continu à 100 compressions par minute et ventilation continue à 10 insufflations par minutes, groupe interventionnel) ou une RCP classique en 30/2 (alternance de 30 compressions thoraciques à un rythme de 100/minutes et de 2 insufflations en moins de 5 sec., groupe contrôle). La randomisation était effectuée pour les différents centres participants en clusters, avec inversion des groupes interventionnel/contrôle tous les 6 mois.

Le critère de jugement principal était la survie à la sortie de l’hôpital. Les critères de jugement secondaires étaient l’état neurologique selon le score de Rankin (de 0 = asymptomatique à 6 = décès, pronostic favorable si score ≤ 3), et les effets adverses.

A partir des résultats d’une étude précédente (ROC PRIMED), le nombre calculé de patients devant être inclus était de 23 600 (11 800 par groupe) pour montrer une amélioration de la survie, qui devait passer de 8,1% dans le groupe contrôle à 9,4% dans le groupe interventionnel, avec une puissance de 90% et un p à 0,05.

Principaux résultats :

23711 patients ont été inclus dans l’analyse primaire : 12653 dans le groupe interventionnel et 11058 dans le groupe contrôle. L’essai n’a pas montré de différence significative concernant la survie à la sortie de l’hôpital : 9,0% (1129 sur 11613 patients analysables) dans le groupe interventionnel versus 9,7% (1072 sur 11035 patients analysables) dans le groupe contrôle (différence –0,7% [IC95%, -1,5 à 0,1], p = 0,07). Il n’y avait pas non plus de différence significative en terme d’état neurologique favorable à la sortie de l’hôpital : 7,0% dans le groupe interventionnel versus 7,7% dans le groupe contrôle (différence –0,6% [IC95%, -1,4 à 0,1], p = 0,09). Le nombre de jours hors hospitalisation était réduit de manière minime mais significative dans le groupe interventionnel : –0,2 jours [IC95%, -0,3 à -0,1], p = 0,004).

En revanche, l’analyse per-protocole effectuée sur 6529 patients du groupe interventionnel versus 3678 patients du groupe contrôle a montré une survie significativement diminuée dans le groupe interventionnel : –2% [IC95%, -2,9 à 1,1], p < 0,001.

Conclusion des auteurs

Chez des patients adultes en arrêt cardiaque extra-hospitalier non-traumatique, une RCP basée sur un massage et une ventilation effectués simultanément en continu de manière asynchrone ne permet pas d’améliorer la survie ni le pronostic neurologique à la sortie de l’hôpital, en comparaison avec une RCP autorisant des interruptions régulières du massage cardiaque externe pour effectuer les manœuvres ventilatoires.

Points forts

  • Etude randomisée avec un collectif de patients important.
  • Méthodologie rigoureuse avec sélection des centres participants selon leur capacité à effectuer un monitorage de la RCP, et mise en œuvre de processus de contrôle qualité internes.
  • Comité de surveillance indépendant.
  • La qualité de la RCP, évaluée par le temps dédié au MCE, était particulièrement élevée : 77% dans le groupe contrôle et 83% dans le groupe interventionnel, soit bien supérieurs au 60% préconisé par les dernières recommandations internationales.

Points faibles

  • L’efficacité de la ventilation, en terme de volume insufflé et de FiO2, n’était pas monitorée, et pouvait éventuellement être différentes entre les 2 groupes.
  • Les taux de tentative d’intubation (54%) et de succès de l’intubation trachéale (84%) dans les 2 groupes sont particulièrement bas et loin de nos standards français. De plus, l’intubation trachéale était retardée jusqu’à la 6ème minute, c’est-à-dire après le 3ème cycle de RCP.
  • Les complications respiratoires ne sont pas décrites dans les 2 groupes : il aurait été intéressant de savoir si les pneumopathies d’inhalation et les complications d’ordre barotraumatique (hémoptysies, pneumothorax…) étaient plus fréquents dans le groupe interventionnel. De telles complications sont susceptibles à elles seules d’augmenter la mortalité, et pourraient donc « neutraliser » l’effet bénéfique lié à un massage cardiaque externe ininterrompu.
  • Les procédures de réanimation après reprise d’une activité circulatoire spontanée et après admission hospitalière n’étaient pas standardisées, en particulier en terme de contrôle ciblé de la température et de réalisation d’une coronarographie.
  • De nombreux patients ont été exclus lors de l’analyse per-protocole, surtout dans le groupe contrôle, car il ne pouvait pas être établi avec certitude de quel type de RCP, continue ou discontinue, ils avaient réellement bénéficié.
  • Il n’y a pas eu d’ajustement du nombre de sujets nécessaires devant être inclus, alors que des analyses intermédiaires ont été effectuées.
  • La randomisation des centres en clusters avec inversion des groupes tous les 6 mois a conduit à un déséquilibre des groupes. Par ailleurs, certains centres ont été fermés par le comité de surveillance, sans que les motifs de ces fermetures n’aient été justifiés, ce qui a également pu participer au déséquilibre final entre les deux groupes.

Discussion de l’article

Une RCP efficace constitue le prérequis fondamental pour espérer une survie avec un état neurologique favorable chez un patient victime d’un arrêt cardiaque, aussi bien extra-hospitalier qu’intra-hospitalier. La qualité du massage cardiaque externe représente le principal facteur limitant de cette RCP, et toutes les interruptions, qu’elles soient effectuées pour des insufflations, la défibrillation, ou toute autre motif, sont responsables d’une baisse du débit de perfusion coronaire [2], et en terme pronostique sont associées à une diminution du taux de survie [3]. L’idée selon laquelle un MCE continu permettrait d’améliorer la survie est supportée par des études expérimentales ainsi que par plusieurs études cliniques rétrospectives.

Dans ce travail, les auteurs n’ont pas pu démonter leur hypothèse de travail, c’est-à-dire qu’un massage cardiaque continu avec une ventilation continue asynchrone permettait d’améliorer la survie et le pronostic neurologique, en comparaison avec une RCP en 30/2 telle que préconisée par les recommandations internationales depuis 2005 [1]. Dans ce travail, cette stratégie interventionnelle serait même significativement plus délétère en terme de survie (7,6% versus 9,6%), selon une analyse per-protocole effectuée à partir de patients sélectionnés selon l’adhésion des équipes préhospitalières au protocole de RCP, mais il faut souligner que cette significativité disparait après ajustement selon les facteurs confondants.

Une des difficultés des études sur la RCP effectuée lors de la prise en charge d’un arrêt cardiaque, qui est d’ailleurs soulignée dans un éditorial accompagnant cet article [4], est liée aux nombreuses interactions dues à la modification d’un seul élément de la thérapeutique, qui est susceptible d’engendrer des effets bénéfiques et/ou délétères sur cette RCP. Il en est ainsi dans ce travail, où la réalisation d’insufflations en continu pendant la poursuite du massage cardiaque externe peut être à l’origine de complications d’ordre respiratoire non négligeables telles que pneumopathies d’inhalation et barotraumatismes, pouvant impacter la survie de manière négative. Ces informations, qui n’ont malheureusement pas été présentées dans cet article, pourraient éventuellement à elle seules expliquer l’échec de confirmation de l’hypothèse initiale des auteurs.

Enfin, un effet Hawthorne (amélioration de la qualité de la RCP du seul fait de la participation à l’étude) ne peut être exclu, et peut expliquer le taux de compression déjà élevé dans le groupe contrôle (77%), bien supérieur aux 60% préconisés par les dernières recommandations internationales [1]. Avec un taux de compression déjà aussi élevé, il est évidemment plus difficile de montrer l’effet positif d’une amélioration subséquente telle que celle obtenue dans le groupe interventionnel (83%).

Que retenir de cet article ?

Le premier message à retenir de ce travail est l’absence de supériorité d’une stratégie de RCP associant massage cardiaque externe et ventilation effectués simultanément, selon un mode asynchrone, en comparaison avec la stratégie de RCP alternant 30 compressions et 2 insufflations, telle que préconisée par les recommandations internationales depuis 2005, en cas d’arrêt cardiaque non-traumatique chez l’adulte. Il manque à l’évidence une analyse plus approfondie des complications respiratoires dans les deux groupes étudiés, qui aurait éventuellement permis de savoir si le bénéfice lié à une augmentation du taux de compression dans le groupe MCE continu était éventuellement annulée par la survenue de complications d’ordre barotraumatique et/ou par des inhalations liées aux insufflations effectuées simultanément aux compressions thoraciques.

Le deuxième message doit être d’insister sur la réduction au strict minimum des interruptions du massage cardiaque externe. Le taux de compression de 77% du groupe MCE continu dans ce travail dépasse largement la valeur de 60% préconisée par les dernières recommandations internationales, et s’approche du seuil de 80% considéré par les mêmes experts comme un taux optimal, ce qui atteste d’une RCP de qualité, prérequis indispensable pour espérer une survie et un pronostic neurologique favorables.

Le troisième message n’est pas lié à l’objectif même de ce travail, mais représente indéniablement un plaidoyer en faveur de notre système médicalisé préhospitalier basé sur les SAMU et les SMUR : alors que l’arrêt cardiaque représente pourtant la situation la plus facile pour réaliser une intubation trachéale, le taux de succès de ce geste réalisé par des paramédics n’est que de 84% dans ce travail, bien en deçà du taux de succès de 99% que nous connaissons grâce à notre système préhospitalier médicalisé … [5].

Références :

[1] Kleinman ME, Brennan EE, Goldberger ZD, et al. Part 5: Adult Basic Life Support and Cardiopulmonary Resuscitation Quality: 2015 American Heart Association Guidelines Update for Cardiopulmonary Resuscitation and Emergency Cardiovascular Care. Circulation 2015;132:S414-35.

[2] Berg RA, Sanders AB, Kern KB, et al. Adverse hemodynamic effects of interrupting chest compressions for rescue breathing during cardiopulmonary resuscitation for ventricular fibrillation cardiac arrest. Circulation 2001;104:2465-70.

[3] Brouwer TF, Walker RG, Chapman FW, Koster RW. Association between chest compression interruptions and clinical outcomes of ventricular fibrillation out-of-hospital cardiac arrest. Circulation 2015;132:1030-7.

[4] Koster RW. Continuous or Interrupted Chest Compressions for Cardiac Arrest. N Engl J Med 2015;373:2278-9.

[5] Adnet F, Jouriles NJ, Le Toumelin P, et al. Survey of out-of-hospital emergency intubations in the French prehospital medical system: a multicenter study. Ann Emerg Med 1998;32:454-60.