Mis en ligne le 5 novembre 2018
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The AIRWAYS-2 Randomized Clinical Trial

(doi:10.1001/jama.2018.11597)

Analyse de l’article par le Dr Romain Jouffroy, SAMU de Paris,

CHU Necker – Enfants Malades, pour le Comité ACUTE de la SFAR

Bien que controversée, l’intubation trachéale (IT) demeure la méthode de référence recommandée (avis d’experts suite à des études observationnelles) de la gestion des voies aériennes et d’oxygénation lors de la prise en charge de l’arrêt cardiaque extra (ACEH) ou intra hospitalier [1,2]. L’IT a montré des meilleurs résultats que la ventilation au masque faible [3 – 5]. Mais l’IT nécessite une formation (50 gestes réussis pour obtenir un pourcentage de réussite de plus 90%) et un maintien des compétences pour maintenir un taux de réussite élevé en particulier dans le contexte pré hospitalier. Le développement de dispositifs d’accès aux voies aériennes supérieures moins invasifs (dispositifs supra-glottiques comme le masque laryngé ou un dispositif similaire comme l’iGel), pour lesquels la courbe d’apprentissage est plus courte, la mise en place plus rapide et plus simple (limitant les interruptions du massage cardiaque externe), et permettant également un maintien plus facile des compétences [6], a suggéré leur utilisation dans la prise en charge de l’ACEH. En Angleterre, bien que le standard de soins reste l’IT, le masque laryngé (iGel) est ainsi devenu la technique d’abord des voies aériennes la plus utilisée dans l’ACEH depuis 2013 [7,8].

Cependant l’impact de l’utilisation du masque laryngé sur le pronostic de l’ACEH n’a pas été évalué.

L’objectif de l’étude de Benger et al. publiée dans le JAMA était de déterminer si l’utilisation du masque laryngé par rapport à l’IT dans la prise en charge de l’ACEH non traumatique permettait d’obtenir un meilleur pronostic neurologique.

Objectifs de l’étude :

Le critère de jugement principal était le pronostic neurologique à 30 jours ou à la sortie de l’hôpital évalué par l’échelle de Rankin (échelle allant de 0=récupération ad integrum à 6=décès) séparée en 2 groupes : 0 à 3 (bon pronostic) et 4 à 6 (mauvais pronostic).

Les critères de jugement secondaires étaient les pourcentages de succès de la ventilation (défini par le soulèvement du thorax), de régurgitation et d’inhalation.

Méthode :

Cette étude contrôlée, randomisée, en cluster, a été effectuée au sein de 4 services du Emergency Medical Service (EMS) provider en Angleterre, entre juin 2015 et août 2017 (fin du suivi des patients en février 2018).

L’étude a été financée par le National Institute for Health Research, Health Technology Assessment (Angleterre).

Les patients éligibles à l’inclusion étaient des adultes présentant un ACEH non traumatique, pris en charge par des paramedics formés à l’essai.

Les critères d’exclusion étaient les sujets privés de liberté, ayant un dispositif de gestion des voies aériennes en place préalablement à l’inclusion, inclus dans un autre essai randomisé contrôlé, bénéficiant d’une réanimation cardiopulmonaire non conforme aux recommandations en vigueur et/ou présentant une ouverture de bouche inférieure à 2 cm.

L’inclusion était effectuée par les paramedics formés à la technique utilisée (IT ou masque laryngé) après randomisation. L’IT était réalisée à 4 mains (2 paramedics). 2 tentatives étaient possibles avant de considérer l’échec de la technique avec recours à une méthode alternative.

La randomisation a été effectuée, au niveau de chaque paramedic, par tirage au sort électronique aléatoire avec un ratio global 1:1 avec des blocs de taille variable (4 à 8) et stratifié selon l’organisation de l’EMS (4 niveaux), l’expérience des paramedics (2 niveaux) et la distance entre la base de l’ambulance et la destination hospitalière habituelle (2 niveaux).

Avant de débuter les inclusions, chaque paramedic bénéficiait d’une formation théorique et pratique à la mise en place du masque laryngé ou à l’intubation trachéale, selon son groupe de randomisation.

Les paramedics avaient la possibilité de dévier de la randomisation en fonction du contexte clinique (en fonction de l’anatomie du patient notamment).

La conduite de la réanimation hospitalière suivait les recommandations internationales en vigueur.

Le nombre de sujets nécessaire a été déterminé à partir d’une amélioration escomptée de 2% du pronostic neurologique favorable (Rankin 0 à 3) par l’utilisation du masque laryngé par rapport à l’IT. L’analyse statistique a été effectuée par méthodes de régression logistique pour les outcomes binaires et de régression proportionnelle de Cox pour les outomes temps-dépendant.

Des analyses exploratoires de sous-groupes et de sensibilité ont été effectuées.

Principaux résultats :

9296 (69%) patients ont été éligibles parmi les 13462 ACEH pris en charge.

4166 patients ont été exclus (principalement en raison de rigidité cadavérique, futilité de la RCP et décision du patient).

4410 ont été inclus dans le bras IT et 4486 dans le bras « masque laryngé ».

Le pourcentage de bon pronostic était non significativement différent : 6,4% dans le bras « masque laryngé » et 6,8% dans le bras IT. Parmi les 81% (7576 patients) ayant eu un abord des voies aériennes, 163 des 4158 (3,9%) du bras « masque laryngé » avaient un bon pronostic par rapport à 88 des 3418 (2,6%) du bras IT (OR 95CI : 1.57 [1.18-2.07]).

Les analyses secondaires ont observé :

* dans le bras « masque laryngé », le pourcentage de succès de ventilation était plus élevé (87,4% vs 79,0% – OR 95 CI : 1.92 [1.66-2.22]) que dans le bras IT

* il n’y avait pas de différence dans les pourcentages de régurgitation et d’inhalation entre les 2 bras : 26,1% vs 24,5% et 15,1% vs 14,9% dans le bras « masque laryngé » et le bras IT respectivement.

Conclusion des auteurs :

Dans cette étude randomisée, les auteurs ont constaté qu’au cours de la prise en charge d’un ACEH, le masque laryngé n’est pas associé à une amélioration du pronostic neurologique à 30 jours par rapport à l’intubation trachéale.

Points forts :

  • Essai randomisé
  • Collectif important de patients
  • Caractère multicentrique de l’étude
  • Cluster au niveau du paramedic
  • Possibilité pour le paramedic d’adapter la randomisation dans l’intérêt du patient (switch possible entre IT et masque laryngé)
  • Faible pourcentage de données manquantes sans nécessité de recourir à des techniques d’imputation
  • Intérêt clinique de la problématique sous-jacente
  • Conformité entre le protocole d’étude déclaré et celui réalisé

Points faibles :

  • Même si l’IT reste la méthode de référence, en Angleterre l’utilisation du masque laryngé (iGel) est la règle depuis 5 ans [7,8] ce qui peut expliquer le choix préférentiel du recours au masque laryngé vs l’IT et donc le déséquilibre entre les 2 bras
  • Possibilité de crossover entre les bras « masque laryngé » et IT
  • Choix peu pertinent bien que pragmatique du critère définissant la ventilation comme efficace (« soulèvement du thorax »)
  • Absence réelle de vérification de la bonne position du masque laryngé et de la sonde d’intubation alors que la capnographie, recommandée pour confirmer la bonne position du dispositif de contrôle des voies aériennes supérieures, est décrite dans l’article (pas de données disponibles)
  • Faible pratique du nombre d’IT par paramédic alors qu’il est reconnu que le volume de pratique est un facteur déterminant du succès de l’IT. Ceci peut expliquer le faible pourcentage de succès de l’IT observé dans cette étude
  • Intubation trachéale réalisée à 2 opérateurs
  • Absence de standardisation de la prise en charge péri AC pré et intra hospitalière
  • Absence de documentation du nombre de patients ayant eu une procédure de limitation et un arrêt des thérapeutiques actives
  • Analyses de sous-groupes biaisées par un déséquilibre du nombre de patients entre les bras « masque laryngé » et IT
  • Données non directement transposables au système pré-hospitalier médicalisé français où l’IT est la règle.

Discussion de l’article :

La discussion de la technique d’abord des voies aériennes et de l’apport d’oxygène dans la prise en charge de l’ACEH reste débattue à ce jour. Une étude française récente [9], ainsi que l’étude de Wang et al (PART study) [10] parue dans le même numéro de la revue rapportent des résultats contradictoires en ce qui concerne l’effet propre sur le devenir de la technique d’abord des voies aériennes supérieures. L’étude de Wang et al [10] ayant comme critère de jugement principal la survie à 72 heures s’est avérée en faveur du « masque laryngé » vs l’IT alors que dans l’étude française [9], il a été conclu à la non-infériorité entre la ventilation au masque et l’IT. La différence de résultats de ces études est probablement en rapport avec le choix de critère de jugement différent entre les études.

D’un point de vue étiologique, l’ACEH de l’adulte n’étant pas le plus souvent d’origine respiratoire mais plutôt d’origine cardiaque coronarienne, sous tendant une faible dette en oxygène, ceci peut en partie expliquer l’absence de différences observées entre les études comparant différentes techniques de contrôle des voies aériennes supérieures.

En outre, l’utilisation d’un critère de jugement principal fort comme le pronostic neurologique à 30 jours est discutable pour juger de de l’effet propre de la technique de contrôle des voies aériennes et d’apport d’oxygène à la phase précoce de la prise en charge de l’ACEH. En effet, quelle que soit la technique utilisée à la phase toute initiale de la prise en charge de l’ACEH, le pronostic neurologique constitue un critère global de jugement nettement impacté par les thérapeutiques pré- (priorité au massage cardiaque externe versus la ventilation) et intra-hospitalières associées et les événements hospitaliers (limitation et arrêt des thérapeutiques actives, iatrogénie). Un tel critère de jugement n’est probablement pas directement ou très peu impacté par la technique de contrôle des voies aériennes et d’oxygénation, même si elle est indéniable que cette dernière joue un rôle crucial initial.

Un autre élément à considérer est la dose d’oxygène délivrée lors de la prise péri AC. En per-RCP, il est recommandé de délivrer une dose d’oxygène la plus élevée possible (association positive avec le retour à une activité cardiaque spontanée (RACS)).

Si l’oxygène est essentiel, de récentes études humaines et animales soulignent son caractère potentiellement délétère nécessitant une titration personnalisée et un monitorage de la dose d’oxygène délivrée en post-RACS (objectif de SpO2 entre 94 et 98%).

Que retenir ?

La question de la technique d’abord des voies aériennes et d’apport d’oxygène dans la prise en charge de l’ACEH reste débattue à ce jour. Si l’intubation trachéale demeure la référence, elle ne doit pas en soi être un objectif occultant le but principal qu’est l’apport d’oxygène, ce dernier pouvant être effectué par des méthodes alternatives sans majoration du risque de complications associées et permettant donc de privilégier l’objectif principal de la RCP : le massage cardiaque externe le plus continu possible.

A contrario, si l’apport d’oxygène est essentiel à la phase initiale de la prise en charge de l’ACEH, les déterminants du pronostic neurologique à long terme sont nombreux, notamment la qualité de la réanimation péri-AC, pré- et intra-hospitalière.

Références :

  1. Gwinnutt CL. Should we intubate patients during cardiopulmonary resuscitation? BMJ. 2017
  2. Soar J, Nolan JP. Airway management in cardiopulmonary resuscitation. Curr Opin Crit Care 2013
  3. Hasegawa K, Hiraide A, Chang Y, Brown DFM. Association of prehospital advanced airway management with neurologic outcome and survival in patients with out-of-hospital cardiac arrest. JAMA. 2013
  4. Fouche PF, Simpson PM, Bendall J, Thomas RE, Cone DC, Doi SA. Airways in out-of-hospital cardiac arrest: systematic review and meta-analysis. Prehosp Emerg Care. 2014
  5. Benoit JL, Gerecht RB, Steuerwald MT, McMullan JT. Endotracheal intubation versus supraglottic airway placement in out-of-hospital cardiac arrest: a meta-analysis. Resuscitation. 2015;
  6. Cook T, Howes B. Supraglottic airway devices: recent advances. Contin Educ Anaesth Crit Care Pain. 2011
  7. Duckett J, Fell P, Han K, Kimber C, Taylor C. Introduction of the I-gel supraglottic airway device for prehospital airway management in a UK ambulance service. Emerg Med J. 2014
  8. Haske D, Schempf B, Gaier G, Niederberger C. Performance of the i-gel™ during pre-hospital cardiopulmonary resuscitation. Resuscitation. 2013
  9. Jabre P, Penaloza A, Pinero D, et al. Effect of bag-mask ventilation vs endotracheal intubation during cardiopulmonary resuscitation on neurological outcome after out-of-hospital cardiorespiratory arrest: a randomized clinical trial. JAMA. 2018
  10. Wang HE, Schmicker RH, Daya MR, et al. Effect of a strategy of initial laryngeal tube insertion vs endotracheal intubation on 72-hour survival in adults with out-of-hospital cardiac arrest: a randomized trial. JAMA 2018.