Jean-Stéphane DAVID, Service d’Anesthésie Réanimation, Centre Hospitalier Lyon Sud, Hospices civils de Lyon, F69495 Pierre Bénite ; Faculté de Médecine Lyon Est, Université Claude Bernard – Lyon 1, 69008 Lyon.
Anne-Claire LUKASZEWICZ, Service d’Anesthésie Réanimation, Hôpital Neurologique, Hospices civils de Lyon, F69500 Bron ; Faculté de Médecine Lyon Est, Université Claude Bernard – Lyon 1, 69008 Lyon.
Pour le CS de la SFAR
Ce que nous savons déjà sur le sujet
L’étude Crash-2 a montré que l’administration d’acide tranexamique (TXA) dans les 3 premières heures suivant un traumatisme avec hémorragie, permettait de réduire la mortalité. Cet effet était étroitement dépendant du moment de l’administration et se montrait d’autant plus efficace que l’administration se faisait dans un délai précoce après le traumatisme. Ces constatations ont conduit à recommander l’utilisation du TXA après tout traumatisme sévère, et ce, dès la phase préhospitalière, en excluant toutefois des recommandations les patients avec un traumatisme crânien (TC), dans la mesure où aucune donnée clinique solide n’était disponible. Cependant, en cas d’atteinte cérébrale traumatique, il est aussi observé une activation de la fibrinolyse laissant penser que le TXA pourrait aussi être utile dans cette indication en permettant de réduire l’expansion d’une lésion hémorragique et donc la mortalité. Les seules données disponibles dans ce contexte, issues de 2 petites études, laissaient penser que l’utilisation de TXA pouvait permettre de réduire la mortalité spécifiquement chez les patients avec un TC (risque relatif [RR] 0·63 [95% intervalle de confiance (IC) 0·40–0·99) sans pour autant apporter d’information sur les éventuels effets secondaires dans cette population (Perrel et al. 2009; Yutthakasemsunt et al. 2013).
Crash-3 est une étude randomisée, multicentrique (175 hôpitaux), internationale (29 pays), en double aveugle, contre placebo, réalisée du 20 juillet 2012 au 31 janvier 2019, dont l’objectif principal était d’évaluer l’effet de TXA administrée dans les premières heures après un TC sur le devenir des patients (mortalité liée au traumatisme, invalidité et effets indésirables) (Roberts et al. 2018).
Méthodes
Patients présentant un TC de moins de 3 heures et ayant un GCS de moins de 13 ou une hémorragie intracérébrale, sans saignement majeur extra-crânien.
L’inclusion (randomisation) devait initialement se faire dans les 8 heures suivant le traumatisme, mais un amendement a conduit à réduire l’inclusion aux 3 premières heures suivant le traumatisme. De même, le critère de jugement principal a été modifié pour la mortalité en relation avec le TC dans les 28 jours suivant le traumatisme alors qu’initialement le critère de jugement principal était la mortalité globale. Le traitement administré est 1 g d’acide tranexamique IV en 10 minutes puis 1 g sur 8h (ou un placebo).
Le calcul d’effectif prévoyait initialement l’inclusion de 10000 patients pour détecter une diminution relative de 15% de la mortalité (20-17%) avec une puissance de 90%. Cependant, après la modification du délai d’administration du traitement et du critère de jugement principal, l’effectif a été augmenté à 13000 patients pour avoir 10000 patients traités dans les 3 heures après le traumatisme.
Critères de jugement
- Principal: mortalité à J28 en relation avec le TC. Il a été initialement prévu une analyse de sensibilité après exclusion des patients les plus sévères (GCS 3 ou mydriase bilatéral aréactive)
- Secondaires: mortalité en relation avec le TC, mortalité dans les 24 premières heures, mortalité toute cause, thrombose artérielle ou veineuse, séquelle, crise convulsive, neurochirurgie, durée d’hospitalisation en soins intensifs et effets secondaires à J28.
Résultats principaux
Au total, 12737 patients ont été randomisés dont 9202 patients (4649 dans le bras TXA et 4553 dans le bras placebo) dans les 3 premières heures suivant le traumatisme (données disponibles concernant le critère principal pour 9127 patients (99,1%)). 2560 patients sont décédés (20,1%, et 19,1% pour ceux randomisés dans les 3 premières heures). Il faut noter que les groupes ont été bien appariés et qu’aucune différence significative n’a été observée pour les caractéristiques de base (âge, paramètre hémodynamique, score de Glasgow …).
Parmi les patients randomisés dans les 3 premières heures, aucune différence significative n’a été observée pour le critère de jugement principal (mortalité en relation avec les TC) entre les 2 groupes (TXA 18,5% vs. Placebo 19,8%; RR 0.94 ; IC95% [0,86-1,02]). Après exclusion des patients avec un GCS 3 ou une mydriase bilatérale aréactive, la différence pour le critère de jugement principal n’était toujours pas significative (TXA 12,5% vs. Placebo 14% ; RR 0,89 ; IC95% [0,80-1,00]; p = 0,059). De même pour la mortalité globale aucune différence n’a été observée (RR = 0,96 ; IC 95% [0,89-1,04]. Aucune différence n’a également été observée en ce qui concerne les effets secondaires, en particulier pour les évènements thromboemboliques (TXA 1,6% vs. Placebo 1,6% ; RR 0,98 ; IC 95% [0,74-1,28]).
Dans ce travail, les auteurs ont quand même observé que, dans le groupe de patients avec un score de Glasgow 9-15 ou chez ceux qui gardaient une réactivité pupillaire, le traitement TXA était associé à une moindre mortalité en relation avec le TC (respectivement RR 0,78 ; IC95% [0,64-0,95] et RR 0,87 ; IC95% [0,77-0,98]) mais également toutes causes confondues (données non publiées, TXA 6,9% vs. Placebo 8,3% ; RR 0,83 [IC 95% 0,69-0,99]). Aucune différence significative n’était observée pour les patients les plus graves. La mortalité à 24 heures en relation avec le TC, était significativement plus faible chez les patients du bras TXA (RR 0,81 ; IC95% [0,69-0,95]) sur l’ensemble des patients et après exclusion des patients les plus graves (GCS 3, pupille aréactive) (RR 0,72 ; IC95% [0,56-0,92]).
Un autre point intéressant est que les auteurs ont retrouvé une relation entre le timing de l’administration du TXA (< 3H) et la mortalité mais toujours uniquement dans le groupe de patients avec un GCS 9-15, après ajustement sur le GCS, la PAS et l’âge. Pour les plus graves, quoi que l’on fasse, cela ne changeait rien.
Discussion
Crash-3 est techniquement une étude négative puisque l’objectif principal n’a pas été atteint malgré l’inclusion d’un grand nombre de patients (9202 patients pour 10000 attendus) et la qualité de la randomisation. Cela est probablement en relation avec l’inclusion de patients plus graves que prévu. Cependant, la qualité méthodologique de cette étude, qui est la première étude randomisée évaluant l’acide tranexamique chez les TC graves, permet une interprétation fiable des résultats.
Le TXA aurait un bénéfice sur la mortalité à J28 chez les patients avec un TC modéré (GCS 9-12 et deux pupilles réactives), probablement par la limitation de l’aggravation des lésions cérébrales ou extracérébrales, en particulier si le traitement est administré dans les 3h après l’impact. Il n’a pas été retrouvé d’événement indésirable majeur limitant l’indication de TXA, même si ces événements ont pu être sous-estimés dans cette étude.
Ce que cet article nous apporte
L’utilisation de TXA ne modifie pas le pronostic des patients qui présentent un TC dans cette étude, en comparaison avec un placebo mais n’augmente pas non plus la morbidité. Cette étude suggère que TXA doit être administrée le plus précocement possible dans la prise en charge du polytraumatisé et que la présence d’un TC ne modifie pas cette indication. Chez les patients qui présentent un TC modéré, un bénéfice est observé sur la mortalité à condition que le traitement TXA soit administré dans les 3 premières heures suivant le traumatisme. Un point de vigilance tout de même concerne l’augmentation non significative de la mortalité hors TC dans le groupe TXA. Enfin, il sera intéressant de voir les résultats de l’étude ancillaire Crash-3 IBMS qui va s’attacher à analyser spécifiquement l’effet du TXA sur les TC isolés.
REFERENCES
- CRASH-3 Trial Collaborators. Effects of tranexamic acid on death, disability, vascular occlusive events and other morbidities in patients with acute traumatic brain injury (CRASH-3): a randomised, placebo-controlled trial. Lancet 2019; 394:1713–1723.
- Perel P, Roberts I, Bouamra O et al. Intracranial bleeding in patients with traumatic brain injury: a prognostic study. BMC Emerg Med. 2009 Aug 3;9:15.
- Roberts I, Belli A, Brenner A et al. Tranexamic acid for significant traumatic brain injury (The CRASH-3 trial): Statistical analysis plan for an international, randomised, double-blind, placebo-controlled trial [version 2; referees: 3 approuvée, 1 approuvée with reservations] Wellcome Open Research 2018, 3:86
- Shakur H, Roberts I, Bautista R, Caballero J, Coats T, Dewan Y, et al.; CRASH-2 Trial Collaborators. Effects of tranexamic acid on death, vascular occlusive events, and blood transfusion in trauma patients with significant haemorrhage (CRASH-2): a randomised, placebo-controlled trial. Lancet 2010; 376:23–32.
- Yutthakasemsunt S, Kittiwatanagul W, Piyavechvirat P et al. Tranexamic acid for patients with traumatic brain injury: a randomized, double-blinded, placebo-controlled trial. BMC Emerg Med. 2013 Nov 22;13:20.