Cécile POULAIN & Antoine ROQUILLY pour le comite scientifique de la SFAR
Lancet Respir Med 2022; 10: 877–87
Contexte
La pneumonie est une des principales causes de morbi-mortalité dans le monde, malgré des avances récentes dans le diagnostic et le traitement. Un des éléments clés dans le pronostic et le traitement des pneumonies est l’identification bactérienne.
Malgré de nombreuses mesures de prévention, les pneumonies acquises à l’hôpital restent fréquentes, représentant 20% des infections à l’hôpital. Ces pneumonies sont causées par des bactéries à gram-négatif (BGN) dans environ 1/ 3 des cas, ce qui a conduit les différentes recommandations des sociétés savantes à proposer une couverture de ces germes, d’autant plus que la mauvaise couverture de ces germes lors du traitement empirique est associé à une augmentation de la mortalité. De façon similaire, il a été mis en évidence dans les pneumonies communautaires aigues des facteurs de risque d’infection à BGN comme l’admission préalable à l’hôpital ou l’exposition préalable aux antibiotiques. Ces infections sont associées à une augmentation de la mortalité, justifiant une couverture antibiotique à large spectre comme dans les pneumonies acquises à l’hôpital.
Actuellement, l’identification bactériologique conventionnelle ne permet pas de rendre un diagnostic rapide chez les patients avec une suspicion d’infection bactérienne, ce qui amène à un traitement initial empirique. Les recommandations actuelles conseillent la réalisation de prélèvements bactériologiques et le début d’une antibiothérapie à couverture large, associée à une désescalade antibiotique à 48-72h en l’absence d’identification bactérienne, et une adaptation après réception de l’identification bactérienne. Une alternative possible pourrait être l’utilisation d’un diagnostic rapide via des tests moléculaires comme la PCR bactérienne. L’efficacité de la PCR virale a déjà été démontrée pour la réduction de l’antibiothérapie non nécessaire, mais l’efficacité des PCR Multiplex bactériennes restent à prouver. Quelques études ont pu valider leur efficacité et montrer une diminution théorique de la durée d’antibiothérapie (1–3), mais aucune n’a évalué l’impact sur le devenir du patient.
Dans cette étude, les auteurs font l’hypothèse que l’analyse par PCR Multiplex des échantillons de lavage broncho-alvéolaire (LBA) de patients hospitalisés avec une pneumonie à risque de BGN pourrait diminuer la durée d’antibiothérapie inappropriée en comparaison avec un examen bactériologique conventionnel.
Méthodes
Il s’agit d’un essai randomisé, contrôlé, multicentrique, conduit dans 2 hôpitaux de Suisse.
Tous les patients de plus de 18 ans, hospitalisés et ayant une suspicion de pneumonie (communautaire ou acquise à l’hôpital), avec indication à un prélèvement par lavage broncho-alvéolaire et à risque d’infection à gram-négatif étaient inclus.
Les patients ont donné leur consentement par écrit, et l’étude a été approuvée par un comité d’éthique, selon les déclarations d’Helsinki.
Intervention
Les patients étaient randomisés en 1:1 dans deux groupes : diagnostic par PCR Multiplex bactérienne ou une culture conventionnelle. Les médecins étaient en ouvert sur le groupe, mais le comité d’évaluation était en aveugle pour toute une partie de l’évaluation.
Les patients ont tous eu une fibroscopie bronchique avec un lavage broncho-alvéolaire, et ont fait un ECBC pour des analyses ultérieures. Tous les patients ont eu une analyse conventionnelle, et les patients du groupe PCR ont eu une analyse supplémentaire par le panel Unyvero Hospitalized Pneumonia [HPN] Cartidge, qui détecte des germes responsables de pneumonie et des marqueurs de résistance aux antibiotiques. Seuls les résultats concernant les BGN étaient informés aux praticiens en charge du patient.
Les patients recevaient une antibiothérapie probabiliste décidée par le médecin en charge du patient. Pour le groupe PCR, une recommandation concernant l’antibiothérapie était faite au téléphone dans les 5h après le prélèvement. La décision de suivre ou non cette antibiothérapie était à la discrétion du médecin en charge. Les recommandations de prise en charge étaient standardisées, définie a priori et dépendant du germe identifié, en prenant en compte l’écologie locale. Si aucun germe n’était identifié, il était recommandé de changer l’antibiothérapie pour un spectre étroit.
Critères de jugement
Le critère de jugement principal était le temps d’antibiothérapie inappropriée en heures, de la fibroscopie bronchique à la sortie de l’hôpital ou jusque J30 (mesure dans la population en intention-de-traiter). Le critère principal pour définir l’antibiothérapie appropriée était l’efficacité microbiologique, la couverture du spectre et la durée de traitement. Les pathogènes identifiés en culture et PCR étaient inclus pour cette évaluation. L’antibiothérapie inappropriée était prédéfinie comme une antibiothérapie inactive in vitro, avec une résistance intrinsèque, ou une antibiothérapie trop large pour le pathogène identifié. Seuls les mécanismes de résistance identifiés en culture étaient inclus. Une antibiothérapie de plus de 7 jours était toujours considérée comme inappropriée. Si aucun BGN ou résistance n‘était identifié, le spectre était considéré comme trop large. Ils ont réalisé une analyse en per-protocole ne prenant pas en compte les germes atypiques et l’antibiothérapie pour une autre cause que respiratoire.
L’antibiothérapie était analysée par un comité composé de 3 personnes qui discutaient le choix et la durée de l’antibiothérapie anti-BGN, et le choix de la modification de l’antibiothérapie selon un formulaire standardisé.
Les critères de jugement secondaires étaient le temps pour la stabilité clinique, la durée de séjour à l’hôpital en jours, la mortalité à J30, les évènements indésirables (étude de la sécurité), et la performance diagnostique pour la PCR Multiplex sur le lavage broncho-alvéolaire.
Analyse statistique
Les auteurs ont calculé qu’il fallait inclure 128 patients soit 64 dans chaque groupe, pour une réduction de 12h du temps moyen d’antibiothérapie inappropriée avec un écart type de 24h, un risque alpha à 0,05 et une puissance de 80%.
Comme prévu dans le protocole a priori, une analyse de la variance observée de la durée d’antibiothérapie a été réalisée après l’inclusion de 100 patients. Le nombre de sujets nécessaire a été recalculé avec les mêmes hypothèses, mais en prenant compte la nouvelle variance pour se protéger du risque de type I. Devant la mise en évidence d’une variance plus élevée que prévue, il a été nécessaire de poursuivre les inclusions pour un total de 200 patients.
Les analyses statistiques étaient non-paramétriques pour les données continues avec un Mann-Whitney et les paramètres catégorielles étaient analysés par un Chi 2. Les courbes de survie de la mortalité et l’antibiothérapie inappropriée étaient obtenues après un Kaplan-Meier. Les risques étaient calculés avec une régression proportionnelle de Cox.
Résultats
Entre le 31 mai 2017 et le 25 septembre 2019, les auteurs ont screenés 740 patients et 208 ont été inclus et randomisés pour recevoir la PCR (n=100) ou l’examen conventionnel bactériologique (n=108). 523 n’avaient pas les critères d’inclusion et 9 ont eu une déviation du protocole.
Les caractéristiques démographiques étaient similaires dans les deux groupes. Les patients étaient âgés en moyenne de 65.9 ans (+/- 14.0), 135 (65%) étaient des hommes. 117/208 (56%) étaient immunodéprimés, dont 64 (55%) recevaient des immunosuppresseurs et 41 (35%) de la chimiothérapie.
Les comorbidités les plus fréquentes étaient l’hypertension artérielle (89/208 soit 43%), un cancer solide (64/208 soit 31%) et la BPCO (57/208 soit 28%). Tous les patients avaient eu une radiographie ou un scanner thoracique, et 187 d’entre eux (90%) avaient un foyer alvéolaire. 157 (75%) avaient une pneumonie aigue communautaire, 48 (23%) une pneumonie acquise à l’hôpital et 3 (1%) une exacerbation aigue de BPCO. La fibroscopie bronchique était réalisée en moyenne après 4.1 jours d’hospitalisation (+/- 6.3 jours). 136/208 patients recevaient déjà des antibiotiques lors de la fibroscopie bronchique, avec une durée moyenne de 33,2h. Après la fibroscopie, 190 soit 91% des patients recevaient un traitement antibiotique.
La durée d’antibiothérapie inappropriée était significativement plus courte de 38.6h (IC95% 19.5-57.7) dans le groupe PCR par rapport au groupe contrôle (moyenne ajustée de 47.1h [34.7-59.5] vs 85.7 [78.8-95.6], p < 0.0001), ce qui traduit une diminution de la durée d’antibiothérapie inappropriée de 45%. Les patients dans le groupe PCR avaient une plus grande probabilité de ne pas avoir une antibiothérapie inappropriée par rapport aux patients du groupe contrôle (HR 3.16 [IC 95% 2.23-4.76], p <0.0001). L’antibiothérapie dans le groupe PCR était plus courte de 22.5% par rapport au groupe contrôle (127.2 (+/- 88.3) vs 161.3 (124.1), p = 0.054)
Concernant les critères de jugement secondaire, il n’y avait pas de différence entre les deux groupes. Il n’y avait pas de différence dans les effets indésirables.
Durant l’étude, 399 antibiothérapies ont été analysées et 65 (16%) d’entre elles ciblaient les micro-organismes atypiques, dont P jirovecii. Sur les 334 antibiothérapies restantes, 196 (59%) étaient inappropriées, principalement dues à un spectre trop large (157 soit 81%) et à cause d’une durée trop longue (23 soit 12%). Il y avait 83 (46%) des 179 antibiothérapies inappropriées dans le groupe PCR et 113/155 dans le groupe contrôle (p < 0.0001). 91 patients ont eu une antibiothérapie pour une autre indication, de façon équilibrée dans les 2 groupes.
Dans le groupe PCR, il y avait une indication à changer l’antibiothérapie selon les résultats de PCR chez 61 des 92 patients qui ont reçu une antibiothérapie. Les antibiothérapies ont été adaptées chez 46 soit 75% de ces 61 patients.
Discussion
Cette étude est la première étude multicentrique, randomisée, contrôlée qui montre que l’inclusion des résultats de PCR Multiplex réalisés sur un lavage broncho-alvéolaire dans un programme d’antibiotic stewardship permet une diminution de l’antibiothérapie inapproprié sans modification du devenir des patients.
Dans cette étude, les auteurs ont montré que la PCR ciblant les BGN pour analyser les échantillons issus de lavage broncho-alvéolaire chez les patients admis à l’hôpital avec une pneumonie permettait une désescalade chez 66% des patients, ainsi qu’une réduction de la durée inappropriée d’antibiotiques. L’utilisation de ce panel était associée à un protocole standardisé d’antibiothérapie selon les germes identifiés, avec une adhésion correcte (66%) au protocole. A noter, les résultats concernant d’autres germes n’étaient pas fournis aux praticiens en charge des patients. Une analyse des performances de l’outil de PCR Multiplex Unyvero a permis de montrer une sensibilité de 55.6% et une spécificité de 86.6% pour l’analyse de BGN, en prenant comme référence la culture standard, qui n’est probablement pas la méthode de diagnostic optimale.
Les points forts de cette étude sont :
- la randomisation, et l’analyse en aveugle des devenirs par un comité spécifique
- la protocolisation de l’antibiothérapie selon les résultats de PCR
Les limites de cette étude soulignées par les auteurs sont :
- La validité externe limitée : réalisation de l’étude dans des hôpitaux de soins tertiaires avec à disposition de nombreux outils diagnostics, l’inclusion de nombreux patients immunodéprimés
- La décision d’hospitaliser les patients non pas uniquement sur le CURB65 mais aussi basé sur les index de co-morbidité comme l’index de Charlson, ce qui s’éloigne des recommandations mais est plus proche de la pratique courante
- L’utilisation systématique de la fibroscopie bronchique pour l’obtention d’un prélèvement respiratoire, qui augmente les coûts et n’est pas disponible dans tous les centres, associé au caractère invasif du prélèvement qui reste discutable
- L’absence d’aveugle des praticiens en charge des patients
- La mauvaise adhésion aux recommandations des sociétés savantes concernant l’antibiothérapie dans la pneumonie aigue communautaire, pouvant résulter en une majoration de l’effet de la PCR
- L’observance modérée au protocole (66%), concordant cependant avec les autres études dans la littérature
Conclusion
Les auteurs concluent que leur étude montre que la prise en charge thérapeutique des patients atteints de pneumonie et admis à l’hôpitalpourrait être affinée avec l’utilisation d’un panel de PCR Multiplex bactérienne pour l’analyse des échantillons obtenus après lavage broncho-alvéolaires, et que cette approche mérite d’être prise en compte dans les futuresstratégies de gestion des antibiotiques.