Article commenté pour le CS de la SFAR par :

Jean-Stéphane DAVID, Service d’Anesthésie Réanimation, Centre Hospitalier Lyon Sud, Hospices civils de Lyon, F69495 Pierre Bénite ; Faculté de Médecine Lyon Est, Université Claude Bernard – Lyon 1, 69008 Lyon.

Fréderic AUBRUN, Service d’Anesthésie Réanimation, Hôpital de la Croix Rousse, Hospices civils de Lyon, F69004 Lyon ; Faculté de Médecine Lyon Est, Université Claude Bernard – Lyon 1, 69008 Lyon.

 

CE QUE NOUS SAVONS DEJA SUR LE SUJET

Les fractures de l’extrémité supérieur du fémur (ESF) concernent désormais plus de 1,5 million de personnes dans le monde et plus de 75000 patients en France. Dans les pays occidentaux, compte tenu du vieillissement de la population, il est attendu que le nombre de patients à prendre en charge augmente progressivement dans les années qui viennent. Ces patients bénéficient dans leur très grande majorité d’une intervention chirurgicale et l’on sait désormais que plus celle-ci est réalisée précocement, meilleur est le pronostic et plus faible sont les complications. Ainsi, dans de récentes Recommandations Formalisées d’Experts, il était suggéré de réaliser ces interventions dans un délai maximum de 48h. Cependant, les études ayant suggéré l’intérêt d’une chirurgie précoce étaient essentiellement rétrospectives et de faible effectif.

HIP-Attack est une étude randomisée, internationale, réalisée dans 69 hôpitaux de 17 pays pour laquelle les auteurs ont émis l’hypothèse qu’une chirurgie ultra-précoce (groupe « soins accélérés », chirurgie réalisée dans les 6 heures du diagnostic de fracture) en comparaison d’une chirurgie précoce (groupe « soins standard, <24 h), en cas de fracture de l’ESF, s’associerait à une baisse de la mortalité et des complications majeures.

 

METHODES

Patients âgés de plus de 45 ans admis à l’hôpital en période ouvrée, pour une fracture de l’ESF. Ont été exclus les patients traités par des anticoagulants, ceux qui présentaient une fracture sur prothèse, une fracture ouverte ou faisant suite à un traumatisme de haute cinétique, enfin ceux qui refusaient l’étude. Les patients ont été randomisés 1:1 dans l’un des 2 groupes d’étude avec une stratification par centre et des blocs de stratification (accéléré versus standard, type de geste) dont la taille n’était pas connue des investigateurs et personnels de recherche. Les patients, les équipes soignantes (AR, orthopédiste, IDE, …) et les personnels de recherche étaient au courant du bras de randomisation mais le recueil des données était réalisé en aveugle.

En termes d’organisation, les patients du groupe « soins accélérés », dont la chirurgie devait être réalisée dans les 6 premières heures, étaient considérés comme prioritaires et passaient, le cas échéant, devant les patients devant bénéficier d’une chirurgie réglée.

Le calcul d’effectif faisait apparaître initialement un effectif de 1200 patients, établi sur un critère de jugement principal qui était un critère composite de complications majeures (mortalité, IDM, AVC, thrombophlébite, sepsis, pneumopathie, saignement majeur) à J30. Ce critère a ensuite été modifié en établissant un co-critère principal composite de complications majeurs à J90 et en portant l’effectif à 3000 patients, calculé sur la base d’une puissance à 88% pour un hasard ratio (HR) à 0,70 en supposant une mortalité à 13% dans le groupe « soins standard » et une puissance à 99% pour un HR à 0,70 pour les complications majeures en supposant un taux de complications majeures à 30% dans le dans le groupe « soins standard ». Enfin, dans l’analyse des résultats, des analyses en sous-groupe étaient effectuées 1) selon le délai entre la fracture et l’arrivée à l’hôpital (<4h, 4-24h et > 24h) et 2) selon la présence d’un état médical précaire à l’admission.

 

Critères de jugement

  • Principal : co-critère principal de mortalité et un composite de complications majeures (infarctus du myocarde, thrombose veineuse …) 90 jours après la randomisation.
  • Secondaires : mortalité en relation avec une pathologie vasculaire ou non vasculaire, les ischémies myocardique, défaillance cardiaque, troubles de la conduction ou du rythme, complications thrombo-emboliques artérielle ou veineuse …

 

RESULTATS PRINCIPAUX

Ainsi, sur un total de 27701 patients sélectionnés, 2970 ont été randomisés : 1487 dans le groupe « soins accélérés » et 1483 dans le groupe « soins standard ». Le délai médian entre le diagnostic de la fracture et l’intervention chirurgicale était de 6 h (intervalle interquartile, 4-9) dans le groupe de chirurgie accélérée et de 24 h (10-42) dans le groupe de soins standard ; différence absolue médiane de 18 h (intervalle de confiance [IC] 95%, 17-19), p < 0,0001. A 90 jours de la chirurgie, il n’y avait aucune différence significative entre le groupe « soins accélérés » et le groupe « soins standard » pour la mortalité (9% vs. 10% ; HR 0,91 [IC95%, 0,72-1,14]) ou pour le critère composite « complication majeure » (22% vs. 22% ; HR 0,97 [IC95%, 0,72-1,14]). A l’opposé, l’analyse des critères de jugement secondaires a montré qu’une chirurgie ultra-précoce était associée à une diminution de la survenue de délirium (9 vs. 12% : odds ratio [OR] 0,72 [IC95%, 0,58-0,92] ; p = 0,0089), d’accidents cérébraux ischémiques (0.3% vs. 0.9% ; HR 0,35 [IC95%, 0,13-0,97] ; p = 0,047) ou d’infection sans sepsis (11 vs. 14% ; HR 0,80 [IC95%, 0,65-0,98] ; p = 0,032). Le délai moyen entre la randomisation et la sortie de l’hôpital était de 10±8 jours dans le groupe « chirurgie accélérée » et de 11±9 jours dans le groupe « soins standard », avec une différence moyenne absolue de 1 jour (IC95%, 1-2 ; p < 0,0001).

Il a été observé que les patients du groupe « chirurgie accélérée » pouvait se tenir debout plus vite après la randomisation (25h [21-45] vs. 46h [31-71], différence absolue médiane 21h [IC95%, 21-22], p< 0.001).

Enfin, une analyse post-hoc concernant le co-critère principal, tenant compte de la présence ou non d’une augmentation de la troponine avant randomisation, identifiait une interaction avec la mortalité suggérant une réduction du risque de mortalité chez les patients du groupe « soins accélérés » ayant une augmentation de troponine par rapport aux patients du groupe « soins standard » (10% vs. 24% ; HR 0,38 [IC95%, 0,21-0,66]).

 

DISCUSSION

HIP-Attack est techniquement une étude négative puisque l’hypothèse alternative n’a pas été rejetée. Ce travail ne permet donc pas de conclure sur le bénéfice d’une chirurgie ultra-précoce par rapport à une chirurgie précoce après fracture de l’ESF. Cependant, il faut rappeler que les travaux précédemment publiés évoquaient un bénéfice à opérer les patients dans les 48 premières heures en comparaison d’une chirurgie effectuée à plus long termes avec donc un point d’inflexion de mortalité à 48h. Il est possible, dans ce travail, qu’un délai d’opération (très) précoce dans les 2 groupes ait limité la possibilité de montrer une différence sur le critère principal de jugement. Il eût ainsi fallu plutôt comparer une chirurgie ultra-précoce à un délai plus communément observé dans la pratique quotidienne (48h). Dans nombre de centres français, la proportion de patient opérés dans les 48 premières heures reste souvent inférieure à 60-70 %. Soulignons également que le délai de chirurgie < 6h est conceptuellement intéressant mais en pratique très difficile à mettre en œuvre, sauf peut-être dans les grosses structures disposant d’un plateau chirurgical dédié à l’urgence. Cette étude présente un certain nombre de limites. Le grand nombre de centres et de pays (17) mais également le fait que les patients aient été inclus exclusivement dans les heures ouvrées ont pu avoir un impact car d’une part les pratiques peuvent différer d’un système de soins à un autre et d’autre part, le fait d’être pris en charge en période de garde peut constituer un facteur de mauvais pronostic. On note également qu’il n’y a pas eu d’informations données sur le statut physiologique des patients comme avec le score ASA, le Clinical Frailty Score ou le Charlson Comorbidity Index.

 

CE QUE CET ARTICLE NOUS APPORTE

Si l’on fait abstraction du résultat négatif concernant la mortalité et les complications majeures, qui ne permet ainsi pas de trancher sur le débat du délai optimal de la chirurgie après fracture de l’ESF (précoce vs. ultra-précoce), on retient tout de même que lorsque les patients sont opérés plus tôt, on observe une réduction du délirium, des infections, une réduction des scores de douleur modérée à sévère tout en améliorant la réhabilitation et la réduction de la durée de séjour à l’hôpital. De manière aussi très intéressante on observe que chez les patients qui présentaient une élévation de troponine à l’admission (sans infarctus), il était observé une réduction de la mortalité en cas de chirurgie ultra-précoce alors que, pour ces patients, les habitudes allaient plutôt dans le sens d’une période d’optimisation pré-opératoire avec avis cardiologique.

Ainsi, ce travail nous incite, dans la suite de la RFE, à optimiser le parcours de soins des patients qui présentent une fracture de l’ESF et à nous organiser, en particulier sur le bloc opératoire, pour les prendre en charge le plus précocement possible, et en tout état de cause, dans les 48 premières heures suivant l’admission à l’hôpital.

 

REFERENCES

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