Auteurs: Jean Guglielminotti, Ruth Landau et coll.

Références sur pubmed : Guglielminotti J, Landau R, Daw J, Friedman AM, Li G. Association of Labor Neuraxial Analgesia with Maternal Blood Transfusion. Anesthesiology. 2023 ; 139 : 734-745.

Commentée par Lionel Bouvet pour le comité scientifique de la SFAR

La lecture du comité scientifique de la SFAR

Mise en contexte de la question abordée par les auteurs

L’hémorragie du post-partum est la première cause de mortalité maternelle aux Etats-Unis (1). En France, le dernier rapport du Comité National d’Experts sur la Mortalité Maternelle place l’hémorragie maternelle en 5e cause de décès maternels sur le triennum 2013-2015, en baisse depuis 15 ans, mais évitable dans 90% des cas (2). L’hémorragie du post-partum est également la principale cause de morbidité maternelle sévère en France (3). La transfusion est un critère mesurable durant les hémorragies du post-partum et porteur intrinsèque de morbidité pour les patientes (4).

Niveau de preuve dans ce contexte avant les résultats de cette étude

Il a été rapporté que l’utilisation de l’analgésie péri-médullaire pour l’accouchement par voie vaginale était associée à une diminution significative du risque de morbidité maternelle sévère, en lien notamment avec une association entre l’analgésie péri-médullaire et la réduction du risque d’hémorragie sévère du post-partum (5,6). A l’inverse, l’anesthésie générale est associée à un risque accru de morbidité maternelle et d’hémorragie du post-partum (7,8).

Mise en perspective des forces / limites méthodologiques de l’étude

Cette étude rétrospective a analysé les données issues de plus de 12 millions de naissances par voie basse ou césarienne en cours de travail aux Etats-Unis. L’ajustement des différences et des odds ratio par appariement par score de propension sur 33 variables portant sur les caractéristiques des patientes et des établissements constituait une force de cette étude.

La principale limite était liée à la qualité des données provenant de certificats de naissance qui n’enregistraient pas de données relatives au risque transfusionnel préalable (anémie maternelle préexistante) ou au risque d’hémorragie maternelle (anomalie d’insertion placentaire notamment), et qui ne garantissaient pas un recueil exhaustif des transfusions maternelles. Dans une étude de validation antérieure, la sensibilité pour identifier la réalisation d’une transfusion sanguine à partir des données de l’acte de naissance n’était que de 12 %, expliquant les faibles taux de transfusion retrouvés par les auteurs, avec en outre un risque de distribution non aléatoire des données manquantes. A noter cependant que pour corriger une éventuelle erreur de classification concernant l’administration ou non d’une transfusion sanguine, une analyse de sensibilité probabiliste a été réalisée et a retrouvé des résultats cohérents avec l’analyse principale. Autre limite, l’analyse n’a pas pu prendre en compte les femmes qui ont eu plus d’un accouchement au cours de la période d’étude, faute de pouvoir identifier les patientes. Enfin, l’association observée entre l’analgésie péri-médullaire et la transfusion sanguine n’est pas nécessairement causale.

Conclusion de l’étude

L’analgésie péri-médullaire pendant le travail obstétrical était associée à une réduction ajustée de 45% du risque de transfusion sanguine maternelle lors des accouchements par césarienne en cours de travail et, dans une moindre mesure, lors des accouchements par voie vaginale (réduction ajustée de 7%).

Implications potentielles de ces nouvelles connaissances aux vues des données préexistantes.

Sur la pratique de l’expert

Ces résultats sont en lien avec la réduction du risque d’hémorragie sévère du post-partum rapportée chez les patientes bénéficiant d’une analgésie péri-médullaire, qui peut s’expliquer, notamment, par l’amélioration des conditions d’examen de la filière génitale et des manœuvres de révision utérine chez les patientes bénéficiant d’une analgésie péridurale, permettant un diagnostic et une pris en charge plus précoces de l’hémorragie. La présence d’un cathéter péridural fonctionnel permet en outre de réaliser les césariennes décidées en cours de travail sous anesthésie péridurale, évitant le recours à l’anesthésie générale qui est associée à une majoration significative du risque d’hémorragie du post-partum (7,8), en plus du risque lié à la difficulté de gestion des voies aériennes et d’inhalation pulmonaire du contenu gastrique. L’implication plus importante des équipes anesthésiques pour la surveillance des patientes bénéficiant d’une analgésie péri-médullaire pourrait aussi expliquer ces résultats, faisant de l’analgésie péri-médullaire, et plus largement, la présence de personnels d’anesthésie-réanimation en maternité, un indicateur de la qualité des soins en maternité, à prendre en compte dans les politiques de santé.

Sur la recherche future dans cette aire médicale.

Il serait intéressant de confronter les données de cette étude américaine à la situation en France où le taux d’analgésie péridurale est plus élevé qu’aux Etats-Unis, et où, contrairement à ce pays, le taux d’analgésie péridurale n’est pas affecté par le statut migratoire ou social des femmes (9). L’association de l’analgésie péri-médullaire avec la réduction du risque d’hémorragie et de transfusion maternelle pourrait aussi être un facteur explicatif de la réduction de l’incidence de la dépression maternelle du post-partum qui a été rapportée chez les patientes qui ont bénéficié d’une analgésie péridurale (10), en complément de l’effet sur l’analgésie du travail et du post-partum, à prendre en compte dans les futurs travaux de recherche.

 

Références

  1. Maternal Mortality Review Committees: Building U.S. capacity to review and prevent maternal deaths: Report from nine maternal mortality review committee. https://stacks.cdc.gov/view/cdc/51660.
  2. Les morts maternelles en France : mieux comprendre pour mieux prévenir. 6e rapport de l’Enquête Nationale Confidentielle sur les Morts Maternelles (ENCMM), 2013-2015. Saint-Maurice : Santé publique France, 2021. 237 p.
  3. Chantry AA, Deneux-Tharaux C, Bonnet MP, Bouvier-Colle MH. Pregnancy-related ICU admissions in France: trends in rate and severity, 2006-2009*. Critical care medicine. 2015 ;43:78-86.
  4. Thurn L, Wikman A, Westgren M, Lindqvist PG: Incidence and risk factors of transfusion reactions in postpartum blood transfusions. Blood Adv 2019; 3:2298–306.
  5. Guglielminotti J, Landau R, Daw J, Friedman AM, Chihuri S, Li G. Use of Labor Neuraxial Analgesia for Vaginal Delivery and Severe Maternal Morbidity. JAMA Netw Open 2022 ; 5:e220137. doi: 10.1001/jamanetworkopen.2022.0137.
  6. Driessen M, Bouvier-Colle MH, Dupont C, Khoshnood B, Rudigoz RC, Deneux-Tharaux C, Pithagore G: Postpartum hemorrhage resulting from uterine atony after vaginal delivery: Factors associated with severity. Obstet Gynecol 2011; 117:21–31
  7. Butwick AJ, Ramachandran B, Hegde P, Riley ET, El-Sayed YY, Nelson LM: Risk factors for severe postpartum hemorrhage after cesarean delivery: Casec ontrol studies. Anesth Analg 2017; 125:523–32
  8. Guglielminotti J, Landau R, Li G: Adverse events and factors associated with potentially avoidable use of general anesthesia in cesarean deliveries. Anesthesiology 2019; 130:912–22
  9. Brebion M, Bonnet MP, Sauvegrain P, Saurel-Cubizolles MJ, Deneux-Tharaux C, Azria E. Use of labour neuraxial analgesia according to maternal immigration status: a national cross-sectional retrospective population-based study in France. Br J Anaesth 2021; 127: 942-52.
  10. Liu ZH, He ST, Deng, CM, Xu MJ, Wang L, Li XY, Wang DX. Neuraxial labour analgesia is associated with a reduced risk for maternal depression at 2 years after childbirth. A multicentre, prospective longitudinal study. Eur J Anaesthesiol 2019; 36: 745-54

 

Pour compléter votre lecture :

Mots clefsTransfusion ; morbidité maternelle sévère ; analgésie péridurale ; rachianesthésie ; hémorragie du post-partum ; travail obstétrical
Nombre de centres Pays de réalisation50 états des États-Unis et District de Columbia
Design méthodologique de l’étude
  • Etude rétrospective à partir des données des certificats de naissance entre janvier 2015 et décembre 2018 dans les 50 états américains.
  • Analyse univariée suivie d’une analyse après ajustement des différences et des odds ratio par appariement par score de propension
  • Analyse complémentaire en sous-groupes : calculs des odds ratio ajustés de la transfusion sanguine associée à l’analgésie péri-médullaire du travail chez les femmes à bas risque de césarienne, femmes à faible risque infectieux, femmes sans comorbidité
  • Analyse complétée de 2 analyses post hoc pour évaluer le degré de sous-déclaration des transfusions sanguines dans les données des certificats de naissance et son impact sur odds ratio l’analgésie péri-médullaire du travail.
Nombre de patients12 503 042 naissances dont 2 532 011 par césarienne en cours de travail
Critère d’évaluation principalTransfusion maternelle
Intervention de l’étudeUtilisation d’une technique d’analgésie péri-médullaire (péridurale ou sous-arachnoïdienne) maternelle
Populations de l’étudePrincipaux critères d‘inclusion

  • Accouchement par voie basse ou par césarienne en cours de travail

Principaux critères de non-inclusion

  • Accouchement par césarienne programmée ou chez une femme qui n’était pas en travail ni déclenchée
  • Donnée manquante concernant l’analgésie péri-médullaire pendant le travail
  • Information manquante concernant les données maternelles
  • Informations manquantes concernant la race et l’origine ethnique de la mère
  • Naissance n’ayant pas eu lieu dans l’État de résidence
  • Naissance n’ayant pas eu lieu dans un hôpital
  • Mère ne résidant pas aux États-Unis
  • Information manquante concernant le lieu de résidence ou le comté de l’hôpital
Résultat – critère principalParmi les 5 178 986 patientes ayant une probabilité similaire de bénéficier d’une analgésie péri-médullaire pendant le travail, l’incidence des transfusions sanguines était de 0,30% chez les femmes ayant accouché sans analgésie péri-médullaire et 0,20% chez les femmes ayant accouché avec analgésie péri-médullaire ; soit une différence de risque de transfusion en faveur de l’analgésie péri-médullaire de −10.4 pour 10 000 (95%CI : −11.2 à −9.5) naissances et un odds ratio ajusté = 0,87 (IC95%: 0,82 à 0,91).
Résultat – critères Secondaires d’intérêt*Concernant les césariennes en cours de travail, l’odds ratio ajusté du risque de transfusion chez les femmes ayant bénéficié d’une analgésie péri-médullaire était de 0,55 (IC95% : 0,48 à 0,64)

*Concernant les accouchements par voie vaginale, il était de 0,93 (IC95% : 0,88 à 0,98).

Un risque plus faible de transfusion sanguine associée à l’analgésie péri-médullaire était retrouvée par méthode de pondération du score de propension inverse et lors de l’analyse en sous-groupes, avec un effet plus important lorsque la naissance avait eu lieu par césarienne en cours de travail. Les analyses post hoc confirmaient que l’analgésie péri-médullaire du travail était associée à un risque plus faible de transfusion maternelle comparativement à l’absence d’analgésie péri-médullaire.